Céline En Fuite

Céline En Fuite

Un portrait intelligemment construit d’un écrivain essentiel et maudit…

Louis-Ferdinand Céline est un écrivain… Un médecin… Un antisémite… Un être humain ambigu que Didier Marinesque nous raconte en parallèle des propres mots de l’auteur du « Voyage au bout de la nuit ». Un livre à dénicher, à lire, pour découvrir un personnage derrière son œuvre et les haines qu’elle a provoquées !

Céline © Editions Jourdan

Le terme de « maudit » fut utilisé par Verlaine à la fin du dix-neuvième siècle. Un terme qui englobait les créateurs en rupture de société, de reconnaissance, d’acceptation, un terme générique, à sa manière, pour dénommer les artistes s’opposant, avec provocation, aux diktats et aux normes, aux normalisations même, de la société qui, de ce fait, les refuse en tant qu’artistes.

Depuis, la psychologie et la psychiatrie se sont penchés sur cette réalité artistique, y trouvant des origines dans l’enfance et ses traumatismes. Comme de bien convenu, ai-je envie de dire… Parce que l’art ne peut jamais se résumer à une simple analyse plus ou moins scientifique ! La « malédiction » de ces artistes qui refusent d’appartenir à un formatage culturel peut sans doute se résumer au travers de la phrase célèbre de Rimbaud : « Je est un autre ».

Louis-Ferdinand Céline, de par son existence, de par son œuvre aussi, est double… Maudit, dans le sens premier du terme, par la foule comme par l’intelligentsia pour son œuvre, ses mots, et une partie de ses engagements.

Par une partie de la foule, plutôt, et par une partie du monde intellectuel, également ! De Henry Miller à Jack Kerouac, nombreux furent ceux qui défendirent Céline, même en n’appréciant pas l’homme, pour le génie de son œuvre écrite.

Céline © Gallimard

Il est vrai que Céline, auteur de pamphlets résolument et presque violemment antisémites, de « Mea Culpa » en 1936 aux « Beaux Draps » en 1941, devait bien, après la guerre, être défendu vis-à-vis de la justice française.

En 1944, Céline quitte Paris, sachant la victoire alliée proche, sachant aussi que sa personne ne risquait, au moment de la libération, qu’une seule chose : la mort, pour ces écrits qui allaient dans le sens du nazisme, qui donnaient de lui l’image d’un collaborateur plus qu’idéologique. Il n’avait sans doute pas tort, puisque l’écrivain Brasillach fut exécuté, comme d’autres intellectuels, à la suite de procès d’épuration rondement menés.

Et donc, de juin 1944 jusqu’en 1951, Céline va être en fuite… Au travers de l’Allemagne, dans une ville de Sigmaringen devenue lieu de gouvernance d’un pouvoir de plus en plus inexistant, à Berlin, et puis au Danemark.

Et c’est cette longue aventure de sept ans que nous raconte, dans ce livre, Didier Marinesque.

Mais ne nous y trompons pas, ce récit est un récit choral.

Certes, il y a le texte de Marinesque, mais il y a surtout des extraits de Céline, de ses livres, de ses lettres, nombreuses, souvent proches d’une espèce de diarrhée verbale, il y a des extraits de témoignages recueillis par des auteurs repris dans une bibliographie importante, en fin de volume.

Il en résulte, outre l’aspect historique de ce récit, de ce portrait, une manière éclatée de nous faire approcher, lecteurs passionnés ou curieux, de la vérité d’un être humain hors du commun. Ce livre n’est ni un livre d’hommage ni un livre de dénigrement, et c’est sa grande force, sa grande intelligence. Il s’agit presque d’un travail d’universitaire ayant compilé des centaines de documents et d’avis différents, les organisant pour rester, tant que faire se peut, objectif, pour ne rien cacher des parts d’ombre de Céline, mais aussi de son génie littéraire.

Céline © Futuropolis

J’ai lu Céline… Je l’ai découvert, il y a bien longtemps, grâce à Luchini, grâce, ensuite, à Tardi… J’avoue avoir lu pour la première fois, dans ce livre-ci, des extraits de ses pamphlets inacceptables, mais, également, révélateurs d’un état d’esprit qui, depuis la fin du dix-neuvième siècle, s’était multiplié dans le monde dit intellectuel…

Maudit, Céline l’a été et l’est toujours, incontestablement. Sa pensée et ses écrits le placent en marge, totalement, de la société et de ses règles. Ses livres, je parle de tout sauf de ses pamphlets, sont et restent des chefs d’œuvre de musique littéraire, d’inventivité de langage, de rythme tellement de fois, depuis, imité avec pauvreté !

J’ai lu Céline, avec passion, avec plaisir, avec émotion aussi, tant sa façon de raconter, et de se raconter, est d’une puissance presque charnelle.

Céline © Gallimard

Jai lu Céline, et en lisant ce livre de Didier Marinesque, j’ai découvert une vue d’ensemble du « personnage » plus que de l’artiste, une mosaïque de mots, de sentiments, de sensations qui nous dévoile un être aux ambiguïtés évidentes, peu sympathique, amoureux, médecin des pauvres, haï par les uns, adulé par les autres.

Ce livre nous révèle, oui, un Céline qu’il ne faut ni haïr, ni aduler… Sauf, dans un cas comme dans l’autre, pour certains de ses écrits…

Jacques Schraûwen

Céline En Fuite (auteur : Didier Marinesque – éditeur : Jourdan – 249 pages – 2013)

A lire aussi : Le Chien de Dieu, de Terpant et Dufaux : https://bd-chroniques.be/index.php/2018/01/23/le-chien-de-dieu/

Le Miroir des Âmes

Le Miroir des Âmes

Un polar suisse.

Le roman policier n’a pas de frontières, il n’a pas non plus de codes inébranlables. La preuve avec ce livre à la construction très particulière.

A presque cinquante ans, Nicolas Feuz, l’auteur de ce « Miroir des âmes », a un trajet de vie étonnant. Ce Suisse de presque 50 ans, avocat de formation, juge d’instruction et enfin procureur, a choisi, en parallèle de son métier, de s’exprimer très librement au travers d’un style littéraire bien précis, celui de l’enquête policière.

Cet univers appartient, certes, à ses quotidiens, et cela se sent : de page en page, au travers du vocabulaire, des acronymes, on se rend bien compte que rien n’est totalement inventé, que les dialogues ne souffrent d’aucune recherche littéraire, mais se contentent de reproduire la réalité.

Par contre, à côté de cette véracité de l’ambiance, du canevas général, c’est l’imaginaire qui prend le pouvoir au bout de la plume (ou du clavier d‘ordinateur…) de Nicolas Feuz.

L’intrigue de ce roman n’est d’ailleurs pas des plus simples. Il y a un attentat, dans les rues de Neufchâtel. Parmi les victimes peu touchées, le procureur Jemsen, dont la mémoire, à son réveil, se révèle ne plus fonctionner que par bribes. Il y a un tueur en série qui utilise le verre de Murano comme arme presque surréaliste. Il y a des politiciens haut placés qui se sentent investis d’une mission de bien public et, de ce fait, glissent sur les pentes de l’extrémisme idéologique. Il y a un bordel, ses pensionnaires, une femme venue de l’Est, Alba, personnage esclave et terriblement trouble.

Il y a aussi, et surtout peut-être, une vision de la société suisse d’aujourd’hui, avec ses contradictions.

Et puis, il y a une construction narrative presque déstabilisante, au début en tout cas. Ce sont des petits chapitres, deux pages, ou trois. Ce sont des allers-retours entre le présent et le passé. Ce sont des angles de vue différents, celui du procureur, de sa greffière, de la prostituée, des flics. Et c’est cette construction, presque comme un découpage en bande dessinée, qui rend ce roman palpitant, malgré quelques improbabilités, quelques raccourcis trop rapides.

Ce qui rend également ce livre passionnant, c’est le fait que, et son titre le montre bien, les histoires qui nous y sont racontées, pour horribles qu’elles soient, ne sont jamais que des miroirs. Miroirs des personnages, miroirs de la pensée, de la politique, de la peur… Des miroirs déformants, pour des êtres déformés, en quelque sorte. Jusqu’à la « chute » qui nous montre que même les âmes peuvent se révéler interchangeables à la lumière des souvenirs, des lâchetés, des angoisses, et du hasard…

Jacques Schraûwen

Le Miroir des Âmes (auteur : Nicolas Feuz – éditeur : Le Livre de Poche numéro 35474 – 262 pages – 2018)

Les nouvelles enquêtes de Nestor Burma : Les Belles de Grenelle

Nestor Burma © French Pulp Editions

Nestor Burma, ce n’est pas uniquement Guy Marchand, même si cet acteur a réussi à incarner en profondeur ce détective privé parisien.

Nestor Burma, c’est un anti-héros créé par un auteur inclassable et, j’ose le dire, génial, Léo Malet.

C’est en 1943 que Nestor Burma, sans doute le premier vrai détective privé de la littérature française, a vu le jour, en une époque où l’interdiction, plus ou moins, de la littérature américaine en France Occupée laissait l’opportunité à des auteurs français de se lancer dans un genre littéraire très particulier, celui des polars, des romans noirs.

« Les Nouveaux Mystères de Paris », titre générique des enquêtes de Nestor dans la seule capitale française, enquêtes entamées dans les années 50, était un hommage à la littérature feuilletonnesque du dix-neuvième siècle. C’est que Léo Malet est un écrivain qu’il est impossible d’enfermer dans une seule case.

Politiquement anarchiste, d’abord, proche, ensuite, du mouvement dada et puis du surréalisme, Léo Malet a toujours eu, semble-t-il, l’écriture chevillée autant au corps qu’à l’âme. Une âme révoltée, toujours. Contre un monde qui, au fil des aventures qu’il a imposées à son détective de choc, se fait de plus en plus éloigné de « l’humain ». Contre les profiteurs de la guerre, contre les traîtres à leur propre enfance, contre les cons toujours proches de ceux d’Audiard.

Nestor Burma, aujourd’hui, redevient un personnage littéraire actuel, contemporain. Avec trois livres dans lesquels je me suis plongé.

Le premier, « Les loups de Belleville » est, à mon humble avis, à très vite perdre dans les oubliettes des nanars inutiles…

Le deuxième, « Crime dans les Marolles », aurait pu être plus intéressant. Mais l’auteure, Nadine Monfils, se perd dans une intrigue inspirée par la réalité, elle se veut presque enquêtrice elle-même, elle essaie de faire preuve d’un humour qui tombe à plat, et tout cela fait de ce livre quelque chose d’indigeste, déjà pour le Belge que je suis, certainement pour tous ceux qui ne connaissent que peu les Marolles, traitées ici comme en une carte postale presque exotique et un peu ridicule !

Deux déceptions, donc, et pas qu’un peu !

Et puis, il y a Michel Quint, enfin ! Un écrivain, un vrai, qui a su retrouver le style de Malet sans pour autant le copier, qui a su insuffler à son récit tous les codes qui semblaient n’appartenir, pourtant, qu’au seul Léo Malet.

Il y a dans ces « Belles de Grenelle » quelques pages rythmées comme des poèmes, il y a des descriptions de lieux (la foire du livre, à Paris, par exemple) que Malet aurait certainement adoré faire, il y a, comme avec le Nestor Burma originel, l’omniprésence de la boisson comme révélateur de nostalgie, de mélancolie, d’inventivité, de douce folie, de rêveries s’ouvrant à la réalité.

Comme Malet, Michel Quint parle de la vie et de la mort, toujours intimement mêlées, chacune se nourrissant de la puissance de l’autre pour créer des paysages dans lesquels les sentiments, au sens large du terme, occupent tout l’espace.

Et comme chez Léo Malet, c’est aussi d’amour que ce livre nous parle, puisque Nestor Burma enquête sur le meurtre de celle qui fut le premier amour de sa vie, égorgée dans le parc Georges Brassens.

Michel Quint aime les mots, il les apprivoise, avec un naturel presque poétique, il aime les symboles, il aime les personnages, les « trognes », et il écrit avec un plaisir communicatif… Il y a dans son style littéraire quelque chose de Malet, mais aussi de Dimey.

Et ces « Belles de Grenelle » deviennent ainsi, de par sont talent et son intelligence, plus qu’un hommage à Léo Malet : une vraie continuité !…

Jacques Schraûwen

Les nouvelles enquêtes de Nestor Burma : Les Belles de Grenelle (auteur : Michel Quint – éditeur : French Pulp Editions)