Papi Génial et Esope le Loup

Papi Génial et Esope le Loup

Deux bandes dessinées muettes pour enfants sages ou pas…

Les vacances d’été sont en cours, même si elles ressemblent plutôt à un début d’automne, et les enfants ont droit, eux aussi, à leurs bds ! Je veux parler des jeunes enfants, à partir de 4-5 ans…

Je vous présente deux livres qui appartiennent à une collection qui s’appelle « ma première bd ». Une démarche originale et, ma foi, intelligente de l’éditeur Kennes !

Une collection qui va permettre, par le biais du plaisir des yeux, aux enfants de s’immerger, à leur rythme, dans le neuvième art.

Esope Le Loup © Kennes

En quoi les livres de cette collection sont-ils « pour enfants » ?

Par le graphisme et la mise en pages, le découpage, d’abord.

Par le fait, également, que ces bandes dessinées sont, tout simplement, muettes. Rien que du dessin, mais en construction « neuvième art », et les quelques bulles se remplissent de symboles, qui expliquent visuellement ce que les personnages disent.

Papi Génial © Kennes

C’est simple, c’est joli, c’est de l’animation sur papier, en quelque sorte, ça ouvre le sens de l’observation chez le lecteur, son imagination aussi, ça fait de même avec la maman ou le papa qui, pour une première « lecture », va aider l’enfant à comprendre les démarches qu’il va devoir faire pour entrer de plain-pied dans le récit.

Le premier des deux livres que je vous présente aujourd’hui est dû à Tony Emeriau, et s’intitule « Papi génial et sa bulle qui va partout ».

Papi Génial © Kennes

Deux enfants, Ninon et Oscar, accompagnés de robochien, ont papi qui a inventé une machine extraordinaire. Il suffit de montrer à cet engin une photo ou un dessin, et la machine vous transporte là où vit ce qui y est représenté. Dans cet album, ils partent à la rencontre d’un gros robot de l’espace qui n’est pas gentil du tout !

Papi Génial © Kennes

Tony Emeriau nous raconte une histoire simple, gentillette, extrêmement colorée, souriante aussi, avec un peu de sf, et une aventure avec des vrais rebondissements. Le dessin d’Emeriau, plein de symboles, est très efficace, inspiré par l’animation, par le graphisme manga aussi.

Le second album, Esope le Loup, n’est pas vraiment du même acabit.

Esope Le Loup © Kennes

Le principe est le même, pas de texte. Mais le personnage central, Esope le loup, est plus roublard que bien sage ! Il est même toujours prêt à faire des bêtises… Il y a, dans ce livre de Liroy, deux petites histoires.

Esope Le Loup © Kennes

La première nous montre Esope, en vacances, qui se vante d’être un athlète redoutable et qui va être obligé de ruser pour ne pas être ridiculisé.

La seconde nous le montre croyant qu’en plantant n’importe quoi, tout finit par pousser. Et obligé de déchanter, mais finissant quand même par se venger !

Le dessin, ici, est plus franco-belge, mais tout aussi coloré, et il fait preuve de prouesse dans les expressions des visages, très variées, très parlantes surtout !

Esope Le Loup © Kennes

Oui, laissez-vous tenter, parents, grands-parents, et prenez plaisir à lire ces « premières bd » avec des enfants qui, j’en suis certain, s’en régaleront !

Jacques Schraûwen

Papi Génial et Esope le Loup, deux bd pour enfants, éditées par les éditions Kennes.

Fin De Bail

Fin De Bail

Des histoires courtes dans un univers où l’absurde le dispute au fantastique

Pendant les années 80, Philippe Berthet s’est fait le collaborateur de gens comme Foerster ou Antonio Cossu. Et c’est avec ce dernier qu’ils ont créé quelques petits bijoux réunis (enfin) dans cet album !

Fin De Bail © Editions du tiroir

Je l’ai déjà dit, je le répète : Philippe Berthet est un dessinateur dont le talent, indéniable, appartient totalement à l’histoire de la bd, à l’histoire du polar sombre, du roman noir dessinés…

Antonio Cossu, qui fut son complice à plusieurs reprises, est de ceux qui ont amené dans la bande dessinée « pour tous » des délires fantastiques qui, tout comme ceux de Foerster, ont marqué eux aussi l’évolution du neuvième art.

Fin De Bail © Editions du tiroir

Et cet album nous permet de découvrir (ou de redécouvrir) cinq « nouvelles » en bd qui ont vu s’associer, intimement ai-je envie de dire, les talents de ces deux auteurs, Berthet et Cossu.

Chacun étant dessinateur et scénariste, ils nous offrent des histoires dans lesquelles leurs deux personnalités ne deviennent qu’une.

Fin De Bail © Editions du tiroir

La première évidence, en lisant ces cinq petites histoires, c’est que s’y profilent quelques ombres littéraires de bon aloi : Jean Ray, Claude Seignolle aussi, Gérard Prévot sans doute, Maupassant également.

La deuxième évidence, c’est le plaisir des auteurs à créer des personnages qui, caricaturaux sans doute, n’en revêtent pas moins toutes les dérives de l’humanité.

Fin De Bail © Editions du tiroir

C’est le cas d’une belle employée pour qui chaque matin est un combat personnel…

C’est le cas pour Titanic Joe dans un univers en déliquescence…

C’est le cas pour ce tueur professionnel qui croise sur sa route un vrai porte-poisse…

C’est le cas de la folie divine d’un aliéné…

Fin De Bail © Editions du tiroir

C’est le cas, enfin, de deux acteurs X qui se regardent sur l’écran et parlent de dialectique amoureuse, avec cette phrase sublime, digne de Guitry : « Qui te parle d’amour ? Il s’agit de couple, ici ! »…

« Fin de bail », c’est un livre qui conjugue plusieurs thématiques scénaristiques traitées avec vivacité : l’horreur, le roman noir, le fantastique, et l’absurdité… Celle de l’imaginaire comme de la réalité, celle de la vie comme de la mort.

Fin De Bail © Editions du tiroir

En outre, il y a un jeu de la part des deux auteurs qui permet de rester très moral, puisque le mal est toujours puni, dans chacune de ces histoires. Un jeu, oui, comme pour nous dire : « Tout cela, c’est pour s’amuser, n’allez surtout pas croire que, dans la vie normale, des gens aussi salauds que ceux que nous avons inventés existent vraiment ! »

« Fin de bail », c’est un livre réjouissant, avec un dessin qui s’attarde avec délice sur les décors, avec des dialogues coupés au couteau… A lire, absolument !

Jacques Schraûwen

Fin De Bail (auteurs : Philippe Berthet et Antonio Cossu – couleurs : André Taymans et Antoine Bréda – éditions du tiroir – mars 2021 – 32 pages)

https://www.editions-du-tiroir.org/

Les dessous de Saint-Saturnin – 1. Le Bistrot d’Emile

Les dessous de Saint-Saturnin – 1. Le Bistrot d’Emile

Tout le monde connaît le petit village de Saint-Saturnin, pour s’y être arrêté par hasard ou y être passé en coup de vent. Mais n’allez pas croire que les petits villages tranquilles et perdus loin de tout sont sans mystères !

Les dessous de Saint-Saturnin 1 © Gallimard

A Saint-Saturnin, sur la place principale, il y a eu, il y a longtemps, une fontaine publique.

On l’a détruite, parce qu’elle gênait la circulation. En espérant sans doute que son absence permettrait à plus de touristes de passage de s’arrêter.

Sur un coin de rue donnant sur cette place, il y avait le « café de la fontaine », un bistrot de vieux tenu par des vieux, juste à côté d’une station-service.

Et puis un des propriétaires de ce café peu achalandé est mort… Le mari ou la femme, personne ne le savait vraiment. Toujours est-il que ce lieu sans relief resta fermé pendant un bon bout de temps. Jusqu’à ce qu’arrive, de Balarin-les-flots, un nouveau propriétaire.

Les dessous de Saint-Saturnin 1 © Gallimard

Emile… Il a rebaptisé tout naturellement son acquisition de son nom. Il a repeint, il a un peu rénové, il a ajouté des fleurs. Et il a laissé la porte ouverte. Et, surtout, il a ri…

Cela changeait ces anciens propriétaires, ces rires et ces sifflotements continuels qui faisaient la caractéristique de ce bistrotier. D’une place publique qui n’était qu’un lieu sans relief, Emile fit, en peu de temps, un endroit de rencontres, de sourires, de vie tout simplement.

Tout le monde s’y retrouvait, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, gendarmes et, probablement marlous.

Tout le monde venait chez Emile, et cela faisait marcher le commerce dans tout le quartier. La boucherie, l’épicerie et la boulangerie oublièrent leur léthargie et virent leurs affaires reprendre.

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Les dessous de Saint-Saturnin 1 © Gallimard

Certes, on se demandait où allait Emile, une fois par semaine, le jour de fermeture de son bistrot… Mais sans plus !

Jusqu’au jour où Emile a fermé son café, l’a vendu, s’en est allé, laissant s’installer, à la place de ce bistrot une agence bancaire ! Tenu par un bonhomme austère et par son assistante, jeune et au bagout terriblement efficace.

Je ne vous raconte pas la suite… Elle ressemble à une enquête policière, sans l’être vraiment.

Ce que je peux dire, ce que je veux dire, c’est que ce petit livre de quelque 95 pages est diablement sympathique.

De par son dessin, d’abord. Souple, simple, vif, allant à l’essentiel, c’est-à-dire aux visages et aux attitudes, dans la lignée aussi de dessinateurs comme Wolinski ou Autheman. Autheman à qui est dédié ce livre, d’ailleurs, au travers du lieu de « Balarin-les-flots »

Mais au-delà du récit en tant que tel, une histoire qui est celle de quelques personnages quotidiens, des femmes et des hommes qu’on croise dans tous les villages, dans tous les quartiers, dans toutes les cités, derrière cette aventure qui n’a rien d’aventurier ni d’exceptionnel, l’auteur, Bruno Heitz nous parle de la vie, tout simplement…De notre vie, de notre société, de notre monde qui, de changement en changement, de progrès en progrès, élimine lentement mais sûrement ce qu’est véritablement la vie en société, socialement, culturellement. Il nous rappelle, sans bruit, que la première des cultures à laquelle nous appartenons, ou devrions appartenir, c’est celle de notre existence mêlée aux existences de nos voisins. Le premier des réseaux sociaux, c’est celui de la rencontre, de regards en échange, de verres bus ensemble, d’éclats de rires inattendus.

La symbolique est évidente, d’ailleurs, de voir un bistrot populaire remplacé par une banque qui, petit à petit, coupe tous les liens humains qui existaient : le facteur comme élément important pour que subsiste, d’âge en âge, un lien social réel… La petite épicerie, la boulangerie artisanale, la coiffeuse désormais obligée de faire elle-même le café pour ses clientes…

Les dessous de Saint-Saturnin 1 © Gallimard

Le bistrot d’Emile, c’était la convivialité sans froufrous. La banque, c’est le monde de l’argent et d’une certaine forme de progrès qui ne cherche qu’à détruire ce qui appartient à « hier »…

De ce fait, on peut dire de ce petit livre, qui annonce d’autres chroniques de Saint-Saturnin, qu’il est une fable. Une fable amorale de par sa fin, vous verrez, mais ne fable qui, en cet aujourd’hui fait de distanciations obligatoires, éveille des échos évidents !

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce petit livre, vite lu, tendre sans manichéisme facile, sans caricature non plus. Un livre très humain, finalement, comme devraient l’être nos quotidiens à toutes et à tous !

Jacques Schraûwen

Les dessous de Saint-Saturnin – 1. Le Bistrot d’Emile (auteur : Bruno Heitz – éditeur : Gallimard – mai 2021 – 95 pages)