Black Squaw – 2. Scarface

Black Squaw – 2. Scarface

Et une Henriet s’expose à Bruxelles jusqu’au 31 juillet 2021

Yann et Henriet, un duo d’auteurs passionnés pour une série passionnante ! Et une très agréable exposition dans la galerie Huberty & Breyne, place du Châtelain, à Bruxelles.

Black Squaw 2 © Dupuis

Envolons-nous pour les années 20, envolons-nous vers les nuages avec une héroïne, la belle Bessie… Une femme qui, dans un Texas où règne le Ku Klux Klan, éprouve bien des peines à réaliser son rêve, celui de voler ! Il faut dire qu’elle a la peau sombre, sa mère étant noire, et son père Cherokee… Elle réussit malgré tout à passer son brevet de pilote, en France, et devient, aux Etats-Unis, la pilote préférée d’un truand de haut vol, Scarface, qui donne son titre à ce deuxième tome… Nous sommes en pleine prohibition, et Saint Pierre et Miquelon, accessibles par avion, sont une plaque tournante de l’alcool de contrebande ! L’avion… Une passion pour le dessinateur de cette série, Henriet…

Alain Henriet : Faire « vrai »

Il s’agit donc d’une bonne bd d’aventure, mais pas seulement. Yann, le scénariste, certes passionné d’aviation, aime mêler à ses scénarios des échos sociaux, voire politiques. Avec Black Squaw, il met en avant le racisme, en comparant, par exemple, la situation en Amérique dans la première moitié du vingtième siècle, et celle en France, infiniment plus tolérante, du moins en apparence…

Black Squaw 2 © Dupuis

Et son plaisir à créer des personnages hauts en couleur rencontre, dans cette série, le plaisir d’Alain Henriet, le dessinateur, à donner vie, d’abord et avant tout, aux personnages, moteurs, toujours, de ses mises en scène.

Alain Henriet : les personnages

Mais Yann aborde aussi, par petites touches, et toujours avec un humour presque à l’anglaise, l’importance qu’ont, pour tout humain, les racines, le métissage, il nous parle aussi de la force des rêves de l’enfance, des compromissions qui ne réussissent cependant pas à détruire ces rêves… L’objet qu’est un avion devient ainsi, par la grâce de son scénario, un symbole presque guerrier de liberté…

Black Squaw 2 © Dupuis

Et la liberté, dans ces albums, est affaire de mouvement… De rythmes… De construction graphique qui, de page en page, donne vie aux personnages comme aux décors.

Alain Henriet : le mouvement

Alain Henriet, le dessinateur, a déjà collaboré avec Yann, pour l’excellente série Dent d’Ours… Les femmes qu’il dessine sont guerrières et obstinées. Les enfants ressemblent aux gamins que dessinait Poulbot, les décors sont somptueux, d’une véracité, d’une vie plutôt, qui mérite le détour.

Black Squaw 2 © Dupuis

Et son dessin prend un superbe relief grâce à sa coloriste, Usagi, dont les variations de tons, de lumières et d’ombres est d’une présence indispensable…

Usagi, la coloriste

Et pour mieux découvrir le talent réaliste et classique de ce dessinateur, pourquoi ne vous rendriez-vous pas dans la Galerie Huberty & Breyne, place du Châtelain, à 1050 Bruxelles ? Il y expose des originaux de son excellente série précédente, Dent D’Ours.

Alain Henriet: l’expo
Black Squaw 2 © Dupuis

Une excellente série, donc, due à deux joailliers de la bd qu’on peut appeler classique ! Dans le meilleur des sens… Celui qui permet de raconter des histoires passionnantes sans, pour autant, renier du présent les remous…

Jacques Schraûwen

Black Squaw – 2. Scarface (dessin : Alain Henriet – scénarsio : Yann – couleurs : Usagi – éditeur : Dupuis – 48 pages – avril 2021)

Exposition jusqu’au 31 juillet 2021 dans la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles. https://hubertybreyne.com/fr/expositions/presentation/428/black-squaw-et-dent-d-ours

Alain Henriet © Alain Henriet
Le Charme du Presbytère

Le Charme du Presbytère

Réalisme et mystère d’après Gaston Leroux

Les romans de Gaston Leroux, écrivain du début du vingtième siècle, appartiennent souvent à un genre bien précis de la littérature policière : les crimes dans des lieux clos. Avec, à la clé, des enquêtes qui aiment à se perdre dans les dédales d’un certain sens du fantastique.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Et cet album, dû aux talents conjugués de Rodolphe au scénario et de Leo au dessin, est une adaptation en noir et blanc d’un des livres les plus connus, les plus fameux de Gaston Leroux : « Le Mystère de la Chambre Jaune ». Une jeune femme se fait agresser dans une chambre fermée de l’intérieur, avec des barreaux solides aux fenêtres, sans aucun passage secret, et nul n’y retrouve l’agresseur ! Pour mener l’enquête, en parallèle de la police, un jeune journaliste, Joseph Rouletabille.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les romans policiers de cette époque, en France, se caractérisent par le plaisir qu’avaient leurs auteurs, à l’instar un peu de la littérature policière britannique, à multiplier les pistes, à démultiplier même les événements secondaires amenant, chacun, à des révélations, des découvertes qui peuvent aider à la résolution du mystère. Dans un roman, cet exercice de style est comme un jeu entre l’auteur et son lecteur. En BD, comme au cinéma, la chose est infiniment plus ardue, et l’important est de ne jamais baisser d’intensité, de peur de perdre le lecteur en cours de route.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Rodolphe, en scénariste chevronné, a choisi, pour ce faire, la voie du classicisme, et son traitement d’un sujet qui pourrait filer dans tous les sens et qui reste cependant totalement linéaire est parfaitement réussi, je tiens à le dire !

Le dessin de Leo, classique lui aussi, d’un noir et blanc tranquille, nous plonge avec un vrai plaisir dans une époque révolue, grâce à des décors soignés, des vêtements et des objets qui, pour discrets qu’ils soient de page en page, contribuent à créer l’ambiance désuète mais d’une belle mélancolie de cette histoire qui parle d’amour, de violence, de science, de chasse, de bellâtre, et de journalisme.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les seuls reproches que j’ai, en fait, sont assez minimes… L’une ou l’autre faute d’orthographe (voir ou lieu de voire, par exemple), et de petites erreurs de perspective dans la mise côte à côte des personnages. Mais ces minuscules manquements n’enlèvent rien, croyez-moi, à l’intérêt de ce livre, tout simplement beau !

C’était la force de Leroux de parler de choses qu’il connaissait : il fut journaliste avant d’être écrivain, et tous les personnages de ses romans, de « Rouletabille » à « Chéri-Bibi », du « Fantôme de l’Opéra » à « La Poupée sanglante » s’inspirent, incontestablement, de réalités que le journaliste Leroux a rencontrés peu ou prou dans sa vie. Et cette véracité se retrouve parfaitement dans cet album.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Je me dois d’avouer que je n’ai jamais été fan de Leroux, auquel je préférais la folie douce et libertaire de Leblanc et de son Arsène Lupin. Mais je me dois de reconnaître que cet album (à suivre !…), outre sa qualité intrinsèque et évidente, donne l’envie de se plonger dans les romans de Gaston Leroux !

Cette bande dessinée n’est pas neuve, mais inédite, pour différentes raisons explicitées en fin de volume.

Et grâce soit rendue à l’éditeur « Une Idée Bizarre » d’avoir enfin édité cette histoire, et de l’avoir fait d’une manière superbe : un grand format, des planches en noir et blanc, une reliure qui fait penser aux vieux albums du Lombard des années 50… Un vrai plaisir des yeux… et des doigts…

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Il ne s’agit certes pas d’une maison d’édition traditionnelle dont vous pouvez trouver les livres chez votre libraire. C’est un éditeur qui se veut associatif, et qui ne s’intéresse qu’à des livres inédits ou à des suites de séries interrompues pour différentes raisons. Un éditeur qui les édite avec un vrai respect de l’œuvre au niveau de la présentation (26 cm x 36 cm – dos toilé – noir et blanc du dessin), et, ma foi, à des prix qui ne sont pas prohibitifs. Des livres en vente exclusivement sur le site internet de cet éditeur. Un site que je vous engage à aller visiter, et qui met en évidence quelques albums qui méritent vraiment le détour, avec des noms comme Jean Dufaux, Luc Cornillon, Armand, Caza… (https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums)

Jacques Schraûwen

Le Charme du Presbytère (dessin : Leo – scénario : Rodolphe, d’après Gaston Leroux – éditeur : Une idée bizarre – 56 pages)

https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums

Ecoline

Ecoline

Pour jeunes et moins jeunes, l’histoire d‘une petite chienne qui devient peintre !

Ecoline… Un nom bien choisi pour un livre qui parle de peinture… Mais s’agit-il vraiment du thème de cet album ? En partie, oui, mais rien qu’en partie…

Ecoline © GrandAngle

En partie oui… Parce que cette fameuse Ecoline qui peint et dont on va suivre les aventures dans le Paris de la fin du dix-neuvième siècle, c’est une petite chienne… Elle aurait dû devenir chien de garde, comme son père, mais elle n’y est pas parvenue, trop obsédée par le plaisir qu’elle prend à peindre, à user de couleurs pour montrer le monde tel qu’elle le voit.

Ecoline © GrandAngle

On pourrait donc croire qu’on se trouve ici en présence d’une aventure dessinée proche de l’univers de Walt Disney. Mais ce n’est pas vraiment le cas, parce que les auteurs nous inventent un monde dans lequel les êtres humains peuvent regarder et acheter des tableaux créés par une chienne ! Il s’agit donc plutôt d’une espèce de filiation avec le Marcel Aymé des Contes du Chat Perché ! Oui, il s’agit d’un « merveilleux » qui s’inscrit dans le réel, pleinement, dans la recherche de liberté qui caractérise chaque être humain. Dans cette cité parisienne, Ecoline va découvrir l’autre face de la vie, celle d’un monde dans lequel il faut porter un collier pour ne pas être emprisonné… Ecoline, artiste dans l’âme et le geste, va ainsi se poser la question de savoir si les chiens peuvent naître pour être libres !

Stephen Desberg : le merveilleux

C’est donc un livre sur le destin d’une artiste, et, donc, sur l’art, et le hasard. Sans hasard, Ecoline n’aurait pas découvert le bonheur de pouvoir communiquer ses émotions, ses impressions…

Ecoline © GrandAngle
Stephen Desberg : l’art, l’émotion

Sans le hasard, elle n’aurait pas été obligée de quitter sa campagne pour Paris et la révolution artistique impressionniste qui y occupe toutes les attentions… Ce livre est résolument poétique, mais sans aucune mièvrerie. Avec des vrais méchants !

Ecoline © GrandAngle

L’imaginaire, pour Stephen Desberg au scénario et Teresa Martinez au dessin, c’est une façon de nous montrer le reflet de notre réel dans un miroir à peine déformant. Le dessin de Teresa Martinez, tout en douceur, avec des tons pastel qui rendent hommage à la fois à l’impressionnisme et à la ville lumière qu’était Paris, nous montre notre monde, mais, en même temps, le monde d’à côté, où tout est possible, surtout l’impossible.

Et j’insiste… Il n’y a, malgré la douceur du graphisme, aucune mièvrerie dans ce livre.

Ecoline © GrandAngle

Il y a de la méchanceté, de l’injustice, il y a du sentiment amoureux, mais il y a aussi une approche du harcèlement, voire du viol. Le tout avec, de la part de Desberg, une approche qui se veut émotionnelle… Avec aussi des références picturales, littéraires et sociales qu’il est bien agréable de découvrir aux détours des pages… Des références aux grands de l’impressionnisme, bien entendu, mais aussi au bal musette, à Verlaine…

Un très agréable livre pour des publics très variés !…

Jacques Schraûwen

Ecoline (dessin : Teresa Martinez – scénario : Stephen Desberg – éditeur : Bamboo/GRANDANGLE – juin 2021 – 72 pages)

Stephen Desberg