Jeremiah – 41. Casino Céleste

Jeremiah – 41. Casino Céleste

Non, la bande dessinée ne vit pas que dans les salons de Paris, d’Angoulème ou de Bruxelles! Et c’est à Ath, tout simplement, que j’ai le plaisir de croiser la route, et les dessins, d’Hermann…

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Hermann appartient totalement, et le nier serait mensonger, à l’histoire du neuvième art. Son évolution graphique, son évolution au niveau de l’écriture, son caractère bien trempé, son mépris pour les modes imbéciles font de son œuvre, tout simplement, un chemin de liberté que très peu d’autres auteurs ont réussi à tracer !

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Les « pisse-vinaigre », les bien-pensants « pisse-copies » ont pris l’habitude, depuis quelque temps, de dénigrer Hermann… Plus que de la jalousie, il s’agit de la preuve évidente que la triste connerie humaine devient de plus en plus une réalité…

On peut ne pas aimer tel ou tel album… On peut trouver, pourquoi pas, que le trait a changé, que la construction devient chaotique. Mais ces « posts », ces articles aussi qui se permettent de ne dire que du mal me font penser vraiment à une sorte de guerre ouverte de la part d’imbéciles parvenus vis-à-vis d’un talent qu’ils n’auront jamais !

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Voilà qui est dit, n’en déplaise aux décérébrés qui se pensent experts et qui ne sont même pas amateurs !

Et donc, je peux reconnaître que ce 41ème opus de la saga « Jeremiah » est déconcertant à bien des niveaux… Mais le plaisir d’être déconcerté et de découvrir un album de ce que je pourrais appeler de la « bd-rythme », permet de dépasser cette première sensation. Hermann est un artiste qui a toujours évité, le plus possible, les habitudes et leurs routines, leurs tics. Et, oui, j’ai été déconcerté par ce « Casino céleste », et j’ai surtout été séduit…

Du côté du scénario, on retrouve Jeremiah et Kurdy, engagés pour une mission dont ils ne semblent pas plus que les lecteurs connaître le sens, perdus dans un lieu de violence, de haine, de pouvoirs, et aussi de révolte contre deux frères psychopathes…

Ce qui me frappe, en fait, dans ce scénario, c’est qu’il semble suivre le rythme du dessin et de la couleur, s’écrire, en quelque sorte, automatiquement, emporté non par l’imagination de son auteur, mais par celle du dessin, de la lumière, de la couleur.

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« Jeremiah » est une série étrange… On encense, et on a mille fois raison de le faire, l’époustouflant « La Route » de Larcenet… Un album « postapocalyptique » comme l’est toute la saga de « Jeremiah », une série qui se révèle être une véritable fresque « du hasard ». Et d’un côté comme de l’autre, au travers de cette route et de ce casino céleste, ce sont d’identiques points de fuite qui se dessinent… La nécessité d’une révolte, la lutte constante contre l’horreur, la petitesse de tant et tant d’humains… Larcenet déploie un génie graphique sublime pour pénétrer dans cet univers glauque, Hermann se laisse porter par des ambiances crépusculaires, par des couleurs omniprésentes et estompant le réel pour mieux en dessiner les turpitudes et les violences… Il y a chez lui une certaine forme littéraire, visuelle, proche parfois des illuminations d’un Tarentino… Ou du sens des regards que Leone avait…

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Hermann s’amuse à touiller dans toutes les nostalgies qu’il croise… Il aime aussi, de ci de là, agrémenter son livre de quelques références, parfois humoristiques… Par une forme d’amitié entre « confrères », puisqu’on retrouve, dans un personnage terriblement ambigu, l’ami Walthéry. Il a besoin aussi, et Larcenet ne fait pas autre chose d’ailleurs, de garder une forme d’espérance… L’ultime planche de ce « Casino céleste » n’est-elle pas, à ce titre, l’espoir infini que l’Amour puisse rester, finalement, la seule valeur véritablement humaine…

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J’ai eu le plaisir de rencontrer Hermann, au sujet de ce livre, et de le laisser parler… J’ai eu le plaisir de retrouver, une fois encore, un homme droit, un homme sans compromissions, un artiste complet… Oui, je l’ai laissé parler, et je vous propose donc de l’écouter, in extenso… Fidèle à ce qu’il a toujours été !… Un ours à moitié léché, comme le disait La Fontaine !…

Hermann

Jacques et Josiane Schraûwen

Jeremiah – 41. Casino Céleste (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – octobre 2024 – 48 pages)

Les Compagnons De La Libération – Grenoble

Les Compagnons De La Libération – Grenoble

Un compagnon de la libération, c’est un membre de l’ordre de la libération, créé par De Gaulle pour récompenser les personnes ou collectivités ayant aidé à libérer la France.

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Et les éditions Grandangle éditent, depuis plusieurs mois, une série intitulée justement : « Les compagnons de la libération ». Et cette série, pour son dixième tome, nous fait découvrir une ville, Grenoble, dont l’action de résistance, pendant cette guerre qu’on appelle dernière, a été remarquable…

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Le but de cette série, me semble-t-il, n’est pas de mettre en lumière ce qu’est l’héroïsme… Il n’est pas de nous donner des « exemples »… Il est, plus simplement, celui de la transmission, celui de faire de la mémoire la première force de l’intelligence. Une bd, c’est du dessin, c’est aussi du texte… Et Jean-Yves Le Naour, le scénariste de cet album, poursuit bien ce but de transmission…

Jean-Yves Le Naour

Grenoble… Une ville en zone non occupée au début de la guerre, pas très éloignée de la Suisse ou de l’Italie… Une ville dans laquelle ils ont été nombreux à dire non à l’occupant, de mille et une manières différentes. Nombreux, par exemple, furent les « passeurs », avant et après que les nazis n’envahissent également ce sud de la France dite libre…

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Et ce sont tous ces actes, violents souvent, faits d’attentats, de tracts, de luttes, ces actions que les Allemands qualifiaient de terroristes, c’est tout cela que ce livre nous raconte. Par le prisme du regard d’un « ancien », en fin de vie… Et le récit de cet homme à la poursuite de ses souvenirs, restitue d’une certaine façon la manière dont, jeune, il a abordé la guerre presque comme un « grand jeu »…

Jean-Yves Le Naour

La construction narrative de ce livre est assez originale. Le récit, ainsi, met en scène deux époques. Une jeune fille, aujourd’hui, pour un travail scolaire, découvre le passé de résistance de sa ville en rencontrant un vieil homme, dans un home, qui a été acteur de cette résistance.

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Ce faisant, on peut dire que ce livre est, véritablement, un acte de mémoire… Son scénariste, historien, a axé toute sa narration, en effet, autour de cette dichotomie entre la jeunesse et les anciens… Avec une fidélité historique sans faille, avec de nombreux détails qui ne sont pas que ceux de la mémoire, aidé par un dessin de Philippe Tarral, à la fois moderne et précis, Jean-Yves Le Naour réussit un des albums les plus aboutis, peut-être, de cette série.

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Dans ce genre d’ouvrage, on peut penser se trouver en face d’un discours à la fois historique et idéologique. Ce n’est pas le cas avec Jean-Yves Le Naour, loin de là… Au-delà de la « transmission », de l’importance de créer des chemins de mémoire, il nous fait réfléchir, simplement, sur toutes les guerres, quelles qu’elles soient, celles d’aujourd’hui aussi, en faisant des lecteurs, pourrait-on dire, des héritiers capables de choisir de qui, justement, ils héritent, humainement parlant.

Jean-Yves Le Naour

Je ne suis pas, je peux bien le dire, un « fan » des bd guerrières… Surtout de celles qui se contentent de « rendre hommage » à des héros de hasard, à des résistants qui, pour l’occupant, étaient considérés comme des terroristes… Ce n’est pas le cas, ici. On se retrouve dans de la bd historique, sérieusement documentée, sans manichéisme « hollywoodien »… De la bd qui nous parle, d’abord, d’êtres de chair et de sang, tout simplement…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Compagnons De La Libération – Grenoble (dessin : Philippe Tarral – scénario : Jean-Yves Le Naour – éditeur : Grandangle – juin 2024 – 56 pages)

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Pierre Christin : la mort d’un scénariste symbolique de son époque…

Pierre Christin : la mort d’un scénariste symbolique de son époque…

Puis-je l’avouer… Malgré l’importance évidente de ses scénarios dans l’histoire de la bande dessinée, je n’ai jamais réussi à totalement accrocher aux univers qui étaient les siens… Mais il n’empêche qu’avec lui disparaît un auteur important…

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On le connaît, évidemment, pour être l’auteur de « Valérian », série sf à succès créé dans les années 70, empreinte à la fois des codes de la science-fiction classique et d’un regard critique sur le monde de l’aujourd’hui. Il est crédité également d’une participation au navet intégral que Luc Besson a réalisé en s’inspirant de cette bd. Nul n’est parfait…

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Mais Christin, c’est bien plus, heureusement, que cette série…

Il fut le scénariste de Bilal… Pour des albums qui tous, étaient extrêmement marqués politiquement. On a beau dire aujourd’hui que Christin portait un regard sociologique sur la société, il s’agissait aussi d’un regard idéologique… Qui répondait, sans doute, historiquement parlante, à cette époque née dans les années 70 et qui a révolutionné tous les rapports politiques dans le monde.

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Mais Pierre Christin a à son actif des livres qui, personnellement, me semblent bien mieux résister au temps qui passe…

Je pense à sa collaboration avec Annie Goetzinger, moins caricaturale, plus tolérante, moins manichéenne, surtout, avec des livres comme « La Diva et le Kriegsspiel ».

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Je pense aussi, surtout même, au fabuleux « Rumeur sur le Rouergue », dessiné par Jacques Tardi… Un livre qui, je pense, ne s’est pas fait sans mal, mais qui, totalement, n’a pas pris une ride… Grâce, sans doute, à une collaboration entre deux auteurs qui n’avaient pas vraiment le même univers…

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Christin fut aussi écrivain… Voyageur… Professeur… Curieux de tout, en fait, tout simplement.

Avec lui, oui, c’est l’immédiat après mai 68 qui disparaît un peu plus dans l’imaginaire du neuvième art, avec ses dérives politiciennes, mais aussi avec ses honnêtetés intellectuelles et, parfois, politiques.

Jacques et Josiane Schraûwen