La Revue Dessinée numéro 45

La Revue Dessinée numéro 45

La bd est multiforme, et les revues en sont parfois les messagers… C’est le cas avec « La Revue Dessinée », publiée par Casterman et qui en est donc à son 45ème numéro.

copyright casterman

 Il s’agit de ce qu’on peut appeler un magazine d’information en BD… Un magazine qui se veut indépendant, sans publicité… Un peu plus de 200 pages mélangeant reportages graphiques et petits dossiers didactiques… Le tout d’une manière généraliste, mais quand même fortement ancrée dans un univers franco-français.

copyright casterman

Dans ce numéro 45, bien des sujets sont abordés. L’euthanasie, par exemple, source de polémique chez nos voisins… J’aurais aimé, pour cet « article-là », que les auteurs dénoncent les mensonges éhontés qui ont été faits dans pratiquement tous les médias français au sujet de l’euthanasie en Belgique… Le sujet traité dans cette revue en aurait été, comment dire, moins « orienté »… Mais on parle aussi, dans cette revue dessinée, de sémantique, de cinéma, du scandale des ehpad, de fromage même, et on y raconte aussi l’histoire des trottoirs !

copyright casterman

Mais c’est d’un autre sujet abordé dans cette revue que je voudrais vous parler. Un sujet d’actualité, celui de la montée des eaux… Avec, comme focus, la Normandie… Avec, comme reporter-dessinateur, un Belge au talent incontestable, Jean Cremers. Intitulé « Quand la mer monte », petite référence à Jean-Claude Darnal, cette bande dessinée nous emmène sur quelques plages et dans quelques villes normandes, des lieux de plus en plus menacés par les effets du changement climatique. Avec un dessin clair, précis, extrêmement lumineux, Jean Cremers abandonne son plaisir à raconter des histoires pour faire un vrai reportage… Avec ce que cela crée comme contraintes, parfaitement assumées.

Jean Cremers

Un reportage qui met en évidence les différentes techniques que les municipalités utilisent pour se battre, à leur niveau, à leur manière, contre l’inexorable montée des eaux. Des techniques plus que des technologies, des efforts pas toujours couronnés de succès, du moins à moyen et long terme, et qui, souvent, oublient les « anciens » et de leur manière de comprendre leur terre…

Jean Cremers

Ce que ce reportage met aussi en évidence, c’est cette espèce d’isolement que la Normandie, du simple fait que la politique oublie ce qu’elle devrait être, et que les décisions qu’elle prend ne tiennent aucun compte, tellement souvent, de la réalité du terrain, donc des gens…

Jean Cremers

Jean Cremers, amoureux de la mer, ne cherche pas, ici, à étaler son talent, sa façon très personnelle de s’enfouir dans des scénarios mettant en évidence l’humain qui, comme le disait Baudelaire, devrait toujours chérir la mer… Il se fait, ici, le complice d’un reportage auquel, philosophiquement, politiquement aussi sans doute, il croit fermement… Et le résultat est une belle réussite…

copyright casterman

Jacques et Josiane Schraûwen

La Revue Dessinée numéro 45 – éditeur : Casterman

64_page numéro 27 – une revue bd belge fête ses dix ans !

64_page numéro 27 – une revue bd belge fête ses dix ans !

Il s’agit d’une revue de récits graphiques… C’est-à-dire, plus simplement, une revue, indépendante, ouverte à la jeunesse de la bande dessinée, à des auteurs variés qui y trouvent l’occasion, la chance aussi parfois, de montrer leurs talents…

copyright 64page

Et cette revue fête cette année, en effet, ses dix ans d’existence, et cela mérite bien d’être souligné ! Et soutenu !…  Chaque numéro se construit autour d’une thématique précise. Ici, dans ce numéro 27, il s’agit du Japon…

copyright 64page

Un thème qui permet de découvrir des auteurs qui ne manquent vraiment pas d’intérêt, et dont certains, j’en suis sûr, brilleront bientôt… Wanwine, Harotin, Di Nunzio, Gemmel, réussissent par exemple à sortir des sentiers battus, chacun à sa manière, pour nous donner sa propre interprétation du Japon.

copyright 64page

Ce numéro, également, a un côté éditorial important, avec un très bel article consacré à Taniguchi. Avec, aussi et surtout, un hommage à l’immense Cécile Bertrand, morte il y a quelques mois, une dessinatrice de presse active dans les pages de cette revue, depuis des années, une dessinatrice de presse ayant bien souvent aidé les jeunes, une femme engagée, aussi, sans compromissions, et dont le décès s’est déroulé dans une sorte d’indifférence inacceptable… Cet hommage, donc, était plus que nécessaire !

copyright 64page

Elle fut coloriste, elle fut dessinatrice pour jeune public, elle fut aussi une collaboratrice active de cette revue 64_page. Elle fut surtout, et depuis des années, une observatrice de la vie qui nous entoure, du monde qui nous enserre. Tout au long de ses dessins de presse, vifs, efficaces, lucides… Intelligents et engagés, toujours, mais sans tape-à-l’oeil inutile!

copyright 64page

Cécile avait l’humilité du vrai talent… Elle était un regard… Elle ne s’est jamais mise en avant pour le seul plaisir d’un égo inutile… C’était, tout simplement, quelqu’un de bien… De vivant… De souriant…  Quelqu’un dont les engagements étaient ceux de la bienveillance, au long des conseils qu’elle prodiguait aux nouveaux venus dans le monde de plus en plus censuré du dessin politiquement incorrect…

copyright 64page

Cette revue, hors des sentiers battus, avec une vraie qualité d’impression et une belle variété de contenu, mérite, oui, d’être découverte… D’être soutenue, aussi ! N’hésitez pas à vous y abonner…

Jacques et Josiane Schraûwen

64_page numéro 27 (www.64page.com/abonnements)

copyright 64page
copyright centre de prévention du suicide

Bandes dessinées anciennes : Vivre ? – Un livre ancien, un livre intelligent…

Ce livre date d’il y a presque quinze ans. Je l’ai découvert lors de la fête de la BD, à Bruxelles… Et je pense que cet album mérite de ne pas être oublié, pour plusieurs raisons…

copyright centre de prévention du suicide

La première raison, et la plus importante sans doute, c’est son sujet : le suicide ! Oui, cette réalité dont les médias nous parlent, de temps en temps, comme pour se donner l’alibi de la réflexion sociétale et humaniste… Cette réalité qui touche, de nos jours, dans un silence souvent terrible, bien des gens, de toutes les générations, de toutes les origines sociales, cette volonté qu’a un être humain à décider de quitter définitivement le monde des vivants. Un monde dans lequel il ne se sent plus la possibilité d’exister…

copyright centre de prévention du suicide

Edité par le Centre de prévention du suicide, en 2010, cet album n’a pas été destiné à la vente. Il a été, si mes renseignements sont bons, distribué dans des bibliothèques, des centres médicaux, des manifestations publiques. On peut aujourd’hui le retrouver, je pense, en cherchant un peu… Son but était de faire réfléchir, d’ouvrir les yeux, simplement, sans discours moralisateur, sans appel de fonds, sans d’autre ambition que de laisser 13 dessinateurs de bd et un scénariste nous livrer leurs réactions dessinées face au suicide…

copyright centre de prévention du suicide

Quatorze auteurs, oui, qui, chacun à sa manière, se sont interrogés sur ce qu’est ce geste ultime, sur ce qu’il peut représenter, pour eux-mêmes, pour celles et ceux qui l’ont accompli, pour celles et ceux qui s’en sont revenus de ce lieu entre mort et vie, pour celles et ceux qui en ont été les compagnons ou les observateurs. Cela fait une couverture de Schuiten, d’abord, et, ensuite, douze récits rapides, incisifs parfois, poétiques aussi, douze petites histoires dessinées qui sont autant de jalons, non pas pour comprendre le geste du suicide, mais pour en approcher les méandres…

copyright centre de prévention du suicide

Ne cherchez pas dans ce livre un quelconque « message » bien structuré, bien scénarisé… Chaque auteur, et on le sent de page en page, a eu la liberté de nous offrir un propos sans jamais chercher à l’édulcorer… Cela fait des récits positifs, cela fait des récits pleins de regrets, cela fait des récits sombres et puissants, cela fait un livre hétéroclite qui, finalement, nous parle de nous, de nos propres angoisses, de nos propres manques d’attention, aussi, parfois, souvent…

copyright centre de prévention du suicide

Avec un album tel que celui-ci, ouvrant ses pages à plusieurs auteurs, on ne peut, lecteur, qu’apprécier certains chapitres, en aimer moins d’autres, c’est évident. Et c’est aussi la force de ce bouquin, justement, de ne rien imposer comme regard, comme réflexion. Encore moins comme « morale » ou jugement. Cédric Hervan nous décrit le suicide comme un dernier voyage conscient… Dimitri Piot nous raconte la nécessité, presque poétique, de retrouver le bonheur que la mort de l’aimée a effacé… Cédric Manche nous raconte le hasard qui peut arrêter ce qui semble inéluctable… Bernard Swysen construit une sorte d’enquête policière autour d’une mort volontaire… Jean-Marc Dubois, avec un dessin aux somptueux aplats de noir, nous parle de la mémoire peut-être plus forte que la mort… Marianne Duvivier, dans un style poétique qui lui appartient totalement, réussit à faire croire en l’espérance… Johan De Moor s’essaie à l’humour presque potache… Etienne Schréder parle de lui, et de la force de l’écriture, de la lecture… Renaud Collin et Vincent Zabus dessinent et écrivent la nécessité de l’écoute, la simple écoute de l’autre… Xavier Löwenthal réussit à mettre le doigt sur l’indifférence, cette terrible indifférence qui fait de la mémoire une force inutile… Romain Renard, en touches extrêmement sensitives, aborde la thématique des tentatives de suicide. Et l’excellent Maxime De Radiguès clôture ce livre avec la simple nécessité de l’amitié, de contacts réels entre les vivants…

copyright centre de prévention du suicide

Le voyage dans les paysages de la mort volontaire ne m’a pas été douloureux… Il m’a fait comprendre, et qui n’a pas besoin de comprendre, que le suicide est une route qu’on peut emprunter, sans espoir de retour, pour bien des raisons… Il m’a fait réfléchir à mes propres désespérances… A mes propres errances… Au besoin de l’âme de se trouver des raisons d’exister…

Ce livre est important, parce que non moralisateur, seulement ouvert à la réalité que les médias, aveugles tellement souvent, ne rendent visible qu’au travers de chiffres, de statistiques froides et formatées… Le suicide, la mort en général, ce ne sont pas des chiffres… Ce sont des drames, ce sont des volontés, ce sont des départs foudroyants. Ce sont des gestes qui, autour de nous, existent, et qui pourraient être évités, parfois, si nous prenions simplement le temps d’ouvrir les yeux.

D’aimer…

Jacques et Josiane Schraûwen

Vivre ? (album collectif édité en 2010 par « Centre de Prévention du Suicide »02 650 08 69 – ligne de crise 0800 32 123