Mamie N’A Plus Toute Sa Tête – Meurtres en série au pays d’Alzheimer…

Mamie N’A Plus Toute Sa Tête – Meurtres en série au pays d’Alzheimer…

Peut-on sourire de tout ?… Bien entendu, l’humour noir étant, finalement, une façon d’affronter de face les vraies horreurs de la vie et de ses quotidiens.

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Le personnage central de ce livre est un dessinateur de BD. Un de ces êtres que le grand public envie, pour sa « liberté » de création, de gestion du temps ! Le grand public se trompe, lourdement, car, comme me le disait Hermann, le métier de dessinateur de BD est une forme de chaîne qui relie un humain à sa table de travail !

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Ici, cette liberté n’existe pas pour une tout autre raison que le travail et la création. C’est que cet artiste mène, simplement, une double vie… Une double vie que sa femme devine, jusqu’à vouloir avoir la preuve que son dessinateur de mari la trompe ignominieusement… Mais elle se trompe… Ce que Romain vit, au quotidien, c’est l’attention qu’il porte à sa grand-mère… Une mamie comme toutes les autres ?… Eh bien, non, justement, et c’est là que ce livre se plonge et nous plonge dans un délire monumental !

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La Mamie en question a la mémoire qui vacille… Elle se pense encore pendant la guerre 40-45… Elle dialogue encore avec son mari, mort depuis pas mal de temps… Elle a encore la rage au cœur face à un envahisseur qu’elle hait profondément… Elle est, à sa façon, résistante, encore et toujours… Oui, Mamie vit dans un pays qui n’appartient qu’à elle, au nom redoutable d’Alzheimer…

Et dans ce pays, être résistante, c’est être capable de tuer les méchants Allemands qui viennent régulièrement frapper à sa porte ! C’est le cas avec un installateur de compteur que la vieille dame assassine avec un sang froid redoutable. Et c’est là que la seconde vie de son petit-fils commence : réparer les grosses bêtises de sa Mamie ! Comment ?… En découpant les cadavres, en les congelant, en les faisant disparaître.

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Mamie, oui, est une tueuse en série, sans pitié, certaine de son bon droit… Et son petit-fils, Romain, en est le complice désespéré. Désespéré, oui, parce que la police, bien évidemment, finit par enquêter sur des tas de disparitions étranges, et que, de ce fait, le dessinateur sans véritable ambition se retrouve pris dans une sorte de toile d’araignée géante dont il cherche à s’échapper sans pour autant y laisser à sa place sa mamie !

Et donc, d’une part, il y a cette maladie de la vieillesse, dont l’auteur, Romain Dutreix, s’amuse à caricaturer les effets, les transformant en une série de sourires sombres, noirs, pratiquement surréalistes parfois… Et, d’autre part, il y a cette enquête policière, avec, là aussi, des flics pas mal caricaturaux… Et, enfin, il y a le quotidien de ce dessinateur, sa femme, les soupçons non fondés de celle-ci, et la volonté que ce pauvre type a de ne rien détruire de ce à quoi il tient.

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C’est, incontestablement, de l’humour noir, très noir. Traité avec un dessin qui aime montrer des personnages aux traits accentués, un dessin humoristique et provocateur à la fois, qui permet à un « polar psychiatrique » de faire également sourire ! C’est un bel exercice de style que cet album, une histoire pleine de rebondissements, une aventure humaine pleine de sang, mais aussi de tendresse… Un livre étonnant, intéressant, passionnant même… Bonne lecture !

Jacques et Josiane Schraûwen

Mamie N’A Plus Toute Sa Tête (auteur : Romain Dutreix – éditeur : Dargaud – juin 2024 – 64 pages)

3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

Amateurs d’humour déjanté, de provocation gratuite, de sourires jaunes, ce livre ne pourra que vous plaire !

copyright fluide glacial

J’ai toujours préféré Serre à Sempé, Topor à Allais, Léautaud à Gide, Pierre Tombal à Cédric, Blanche Gardin à Elmaleh…

J’ai toujours aimé que les conventions et la « bonne pensée » soient battues en brèche par des histrions iconoclastes…

Et c’est bien le cas dans cette série dont le troisième album vient de sortir !

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3 Cases pour une chute, cela fait référence, bien évidemment, à ces strips qui, il y a pas mal d’années, fleurissaient au bas des pages de la presse quotidienne… Max l’explorateur, Professeur Nimbus, Hagar du nord, par exemple, ou même les Peanuts.

3 Cases pour une chute, c’est un pied de nez fait à celles et ceux qui aiment s’écouter parler, se regarder dessiner, et qui tirent en longueur un « gag » pour leur propre plaisir.

3 Cases pour une chute, c’est le chemin le plus court entre une situation donnée, sa mise en absurdie, et sa ponctuation inattendue, donc amusante.

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A un peu plus de 35 ans, L’Abbé, l’auteur complet (et très peu ecclésiastique) de cette série et donc, singulièrement, de ce troisième opus, a trouvé dans l’esprit « potache » de Fluide Glacial un terreau où pouvoir faire pousser les fleurs vénéneuses de son humour souvent cruel, toujours en opposition avec les convenances, les conventions, le politiquement correct.

Potache, oui ! Agressif aussi, parfois… Trivial, également, graveleux pourquoi pas ! L’humour de L’Abbé file dans tous les sens, avec une concision qui le rend encore plus efficace.

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Et il le fait avec d’autant plus d’efficacité que son dessin, dans la lignée d’un trait à la Larcenet, ne cherche aucun tape-à-l’œil. Il est souple, bon enfant, passe-partout, pour des gags qui, eux, ne peuvent que, humoristiquement, choquer quelques belles âmes stéréotypées !

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Une bonne série, qui ne s’essouffle pas, un troisième tome qui ne manque ni de piment ni d’absurde… Un humour comme je l’aime : qui va droit au but, qui ne cherche pas à plaire, qui aime choquer ! Et bon Dieu, qu’est-ce que cela fait du bien de sourire à ces clins d’œil qui font oublier les conneries politiciennes ou sportives qui envahissent nos quotidiens !

Jacques et Josiane Schraûwen

3 cases pour une chute : Reloaded (auteur : L’Abbé – éditeur : Fluide Glacial – juillet 2024 – petit format 96 pages)

Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Quatre albums, pour une série complète, pour des portraits humains sans manichéisme… Une excellente série !

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D’album en album, nous suivons le destin de Karl Stieg, locataire dans un immeuble appartenant à un bistrotier qui a, en 1933, changé le nom de son établissement pour, tout simplement, l’appeler de son prénom, « Chez Adolf »… Et d’album en album, d’année en année, de 1933 à 1945, c’est le parcours humain et quotidien des habitants de cet immeuble de Hambourg qui nous est conté.

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La montée du nazisme ainsi, est montrée et racontée sans emphase, sans jugement a posteriori non plus. Cette idéologie n’est pas née de torpeur imbécile, loin s’en faut, mais de révolte, de sentiment d’injustice, d’une forme collective d’humiliation. L’Histoire actuelle n’est-elle pas, à ce titre, en train de dangereusement hoqueter ?

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Et donc, dès l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, c’est toute l’Allemagne qui, progressivement, va se fanatiser autour de cet homme aux discours charismatiques, ou, plus simplement, subir un pouvoir qui, ouvertement, s’est installé, avec ses réalités culturelles, racistes, dictatoriales. Rodolphe, le scénariste de cette saga en quatre volumes, a fait le choix de ne pas nous mettre en présence de héros ou de crapules… Sa façon de décortiquer la grande Histoire est de s’approcher au plus près des gens tels qu’ils sont, et de nous montrer parfois leur lâcheté, parfois leur courage, souvent leur indifférence teintée de peur.

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Le tout début du dernier opus, qui nous montre le célèbre joueur de flûte et les enfants qu’il entraîne vers la mort, est un parfait résumé de ce que les Allemands, chez eux, ont subi, ont dû subir… Avec les jeunesses hitlériennes, par exemple, qui ont formaté toute une génération d’individus obéissants et totalement dépendants… Et c’est bien aux ordres d’un joueur de flûte à la triste moustache que tous les protagonistes de cette série ont dû, bon gré ou mal gré, obéir. Même le personnage central, Karl, professeur dans l’obligation de fermer les yeux, jusqu’à même s’inscrire au parti unique…

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Ce n’est pas un huis-clos que cette série de quatre albums. Mais l’essentiel du quotidien de cette guerre se vit dans un immeuble. C’est là qu’on voit évoluer, intellectuellement, ouvertement ou silencieusement, les personnages. D’espoir infini en désespoir total, de victoires claironnées en défaites meurtrières, ces êtres humains ne sont ni des victimes ni des héros. Pas d’héroïsme, en effet, ici… C’est une histoire à taille humaine, une histoire dans laquelle, malgré l’inéluctable d’une mort annoncée, l’amour et le désir charnel sont comme des barrières dressées face à l’horreur quotidienne.

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C’est un récit qui se découvre un peu au rythme d’une mémoire racontée, se racontant. Un récit qui, ainsi, pose des questions qui ne sont pas que ponctuelles, anecdotiques.

Comment et pourquoi vivre dans un pays fanatisé et assassin de toute liberté ?

Comment et pourquoi continuer à vivre sans se révolter, sans résister ?

Comment l’humain peut-il encore survivre à toutes les défaites qu’il subit, à toutes les horreurs dont, parfois, il est le complice muet, le membre de ce qu’on appelle depuis 1968 la « majorité silencieuse »… La plus dangereuse de toutes les majorités, finalement !

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Comme à son habitude, quand il aborde des sujets historiques, Rodolphe place son scénario dans un contexte historique très finement et sérieusement documenté… Nous parlant, par exemple, de l’escadrille Léonidas dans laquelle des jeunes militaires allemands se savaient condamnés à mourir pour la patrie et son guide.

Ses dialogues, comme toujours aussi, sonnent juste…

  • « Comment dire merci ?… En vivant heureux !
  • Le malheur n’est pas une fatalité. »

Et sa manière de ponctuer son long récit de quatre albums, en nous disant en quelques lignes ce que sont devenus ses anti-héros est une façon fine et intelligente de nous plonger une dernière fois dans une histoire humaine se vivant dans une continuité individuelle, malgré tout, toujours…

Le dessin de Ramón Marcos, d’un réalisme tranquille, ai-je envie de dire, est fait de contrastes, d’approche graphique soutenue des visages de ses personnages. Karl, ainsi, a pratiquement l’air tout le temps impassible, le dessin participant de cette manière à la définition intime de cet homme, axe central du récit. Son dessin restitue aussi, pour créer des ambiances oppressantes, les décors d’une ville qu’on voit, d’album en album, n’être plus qu’un réseau de décombres. Et n’oublions pas l’importance de la couleur, celle de Dimitri Fogolin, qui, à sa manière, évite toutes les exagérations pour privilégier la sensation à l’ostentation.

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Que dire encore que vous n’auriez pas saisi dans les quelques lignes que je viens décrire ?

Ces quatre albums sont plus que de simples réussites. Ils prouvent que la bande dessinée peut aussi restaurer à l’Histoire sa perspective de quotidien et d’humain. En une époque où on nous reparle, la voix tremblante, de pays, de patrie, de résistance, il est important, me semble-t-il, que pour parler de la guerre 40/45, on ne se sente pas obligé de parler de combats aux héroïques relents souvent nauséabonds.

Jacques et Josiane Schraûwen

Chez Adolf – quatre volumes (dessin : Ramón Marcos – scénario : Rodolphe – couleur : Dimitri Fogolin – éditeur : Delcourt – février 2024 pour le dernier tome)