Silence d’amour – Une émotion pure, inattendue, rare, et superbement dessinée et racontée…

Silence d’amour – Une émotion pure, inattendue, rare, et superbement dessinée et racontée…

Il y a de ces livres dans lesquels, lorsqu’on réussit à s’y plonger, nous envahissent, totalement, intimement, parce qu’ils nous parlent, sans en avoir l’air, de nous, de nos propres vécus, de nos propres angoisses, de nos propres désarrois à venir…

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C’est le cas avec cet album, incontestablement. Je me dois d’avouer qu’il m’a fallu plusieurs tentatives avant de dépasser une dizaine de pages de lecture. Tout simplement parce que, étrangement, j’ai eu l’impression de lire ma propre existence, j’ai eu la sensation que ce que je vivais depuis deux ans était décrit avec vérité et justesse de ton par ce dessinateur, Matthieu Parciboula, un peu comme s’il avait vécu ces deux années à m’observer… C’est une sensation bizarre, oui, et, croyez-moi, terriblement porteuse d’une émotion puissante. Et lorsque j’ai dépassé les dix premières pages de cet album, cette émotion est restée la même… Elle ne m’a pas quitté un seul instant pendant ma lecture. Et j’ai compris qu’il s’agissait là, au travers d’une fiction, d’un tableau, intimiste et universel à la fois, qu’était parvenu à tracer au papier ce dessinateur, cet auteur complet…

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Il s’agit, oui, d’une fiction, assez simple. La compagne de Paul, Sofia, est morte depuis six mois. Un ami, désireux de le voir faire un peu plus que survivre, l’invite en Toscane. Et là, sous le soleil de l’Italie, Paul va accomplir un voyage pour se rapprocher encore un peu plus de celle qu’il a perdue, qui l’a perdu… Il va partir jusqu’au Stromboli, lieu de l’enfance de Sofia.

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Comment un dessinateur d’une toute petite trentaine d’années a-t-il eu l’envie d’inventer cette histoire, de se lancer dans le récit de ce qui se révèle le quotidien d’un désespoir ? Quel fut le déclic qui a poussé Matthieu Parciboula à oser cette aventure littéraire, graphique, et merveilleusement humaine ?

Matthieu Parciboula : le déclic

Le titre de cet ouvrage résume d’ailleurs parfaitement cette ballade poétique et silencieuse dans les contrées étranges de l’après, de l’ailleurs. Silence, comme les paysages ensoleillés et joyeux que traverse Paul… Silence comme les mots qu’il adresse à la disparue… Parce que ce livre est aussi la relation d’un dialogue qui ne s’arrête à aucun moment… Paul se parle, mais il parle sans cesse à Sofia… Elle est comme celle qui, seule, peut permettre à Paul de vivre encore, et pas seulement au travers du souvenir… Fantôme d’Amour ?… Femme de chair et de cœur avec qui le dialogue reste constant.

Matthieu Parciboula : dialoguer

Un dialogue qui est celui de l’Amour, aussi, surtout, parce que c’est de cela que ce livre nous parle, véritablement : l’Amour, que la souvenance des quotidiens et des habitudes (une brosse à dent qui reste inutilisée, par exemple) rend majuscule, immensément majuscule. Et donc, universel, oui… Voire éternel…

Matthieu Parciboula : le deuil de l’Amour

Ce que je trouve extrêmement réussi, c’est qu’à aucun moment, dans ce livre, il n’y a de larmoiement, de mélo facile. C’est un livre à la sensibilité à fleur de peau, à fleur de dessin. C’est un livre aussi qui évite totalement tous les clichés, et qui réussit, de ce fait, à raconter vraiment ce qu’est le deuil… Les amis qui ne savent pas très bien ce qu’ils peuvent ou doivent faire, les invitations qu’on accepte pour passer le temps et auxquelles on regrette de se rendre, les regards des enfants que l’on croise et dans lesquels on recherche, inconsciemment, vainement, la présence souriante du regard qu’on aimait tant…

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L’ennui, aussi, qu’on découvre comme une blessure dont on ne se doutait pas qu’elle pouvait exister et faire autant mal… On ne fait pas son deuil, malgré ce que les psys de toutes sortes nous disent à chaque occasion… Non, on est en deuil, simplement, rien de plus… Comme dans un pays qu’on est obligé de découvrir et dont on ne s’échappe pas. Le peut-on, d’ailleurs ?… S’échapper des territoires du deuil c’est sans doute renier en partie l’Amour, seul sentiment essentiel de l’existence.

Matthieu Parciboula : le deuil

Il y a dans ce livre des moments magiques, croyez-moi… La façon dont l’auteur nous raconte cette fiction dont on sent qu’elle le touche au-delà de l’anecdote, c’est un pas qu’il fait vers chacun de ses lecteurs. Et, ce faisant, il parvient à être vrai, à être juste… Le pilotage automatique de son personnage, par exemple, pendant les quelques jours qui ont suivi le décès de son amour… L’ennui qui devient ennui de vivre… L’écriture comme échappée splendide et tellement inutile… L’envie et le besoin de s’absenter à soi-même, de n’être plus rien… La symbolique d’un crucifix que l’on enlève du mur… Survivre, en sachant que ce n’est qu’une manière de faire semblant de vivre… L’appropriation presque égocentrique de la douleur, une douleur que personne d’autre ne peut ressentir…

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Il y a tout cela dans ce livre, et bien plus ! Ce n’est pas un album de plus qui se prend au sérieux, ou qui suit les modes imbéciles de l’édition, des modes qui, aujourd’hui, adorent « vendre » des comptes-rendus du cancer qu’on a eu, des soucis de la prostate, de l’Avc, que sais-je encore… C’est un livre fort, extrêmement et superbement fort… Et dont le propos, pour sombre qu’il soit, pour désespéré et désespérant qu’il se révèle, ne glisse à aucun moment dans la déprime, dans la noirceur… Le dessin de Matthieu Parciboula, après des premières planches aux tonalités peu lumineuses, devient vite, et jusqu’à l’ultime dessin en pleine page, d’une clarté éblouissante, d’une couleur somptueuse. Matthieu Parciboula est dessinateur, il est coloriste, et ce livre est une réussite complète !

Matthieu Parciboula : le dessin

Peut-être ne suis-je pas totalement objectif, tant il est vrai que dans ce livre je me suis croisé bien des fois… Mais ce que je peux et veux dire, c’est que cet album n’est pas l’œuvre d’un « faiseur »… C’est le livre d’un artiste, d’un auteur complet, c’est une œuvre dans laquelle l’émotion et toutes ses sensations se retrouvent à chaque page, dans chaque vignette…

C’est une totale réussite, je le redis… C’est un album que vous devez lire, relire, faire lire, offrir, parce que l’intelligence de Matthieu Parciboula, cela se doit d’être partagé à tout va !

Jacques et Josiane Schraûwen

Silence d’amour (auteur : Matthieu Parciboula – éditeur : Casterman – mai 2024 – 184 pages

Dans Le Ciel De Normandie 1944 – Une chronique express en complément de toutes les commémorations officielles

Dans Le Ciel De Normandie 1944 – Une chronique express en complément de toutes les commémorations officielles

Un livre richement illustré qui nous montre une autre réalité de la guerre 40-45

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Le 6 juin 1944, le débarquement en Normandie se faisait l’initiale d’une nouvelle phase de la guerre : son aboutissement… Une guerre qui fut aussi vécue, perdue et gagnée dans les airs. Et c’est bien ce que cet album nous montre, tout au long de quelque soixante illustrations.

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Cette guerre que l’on dit stupidement (et menteusement) dernière a sans doute été la première à mettre en lumière les possibilités immenses de la technologie, de la science, même et surtout pour le pire de l’humanité. La force de l’aviation, en même temps que ses progrès techniques, avait déjà été utilisée pendant la guerre 14-18, c’est vrai. Mais c’est bien dans les années 40 qu’elle est devenue une arme redoutable… Dresde, Hiroshima, tant de villes, de routes, de villages mitraillés, aussi, en sont la preuve irréfutable.

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Oui, pendant la guerre 40-45, et en Normandie aussi, pendant ce fameux jour le plus long, l’aviation a eu une importante capitale. Dans la victoire, dans la défaite, dans le sang injustement versé… Et Olivier Dauger, peintre officiel de l’air et de l’espace, a voulu, dans ce livre parler de tous ces engins de mort qui se baladaient dans les cieux du débarquement, comme dans tous les cieux de cette tuerie qu’il faut ne jamais oublier. Il nous les montre au travers d’illustrations nombreuses, techniquement fidèles à la réalité, au gré de fiches techniques, également. Ce n’est donc pas une bande dessinée, mais un livre qui nous raconte et nous dessine ce qu’ont été les avions pendant cette guerre d’horrible mémoire.

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Un bel album, technique certes, mais extrêmement intéressant pour qui s’intéresse à ce conflit… Un bel objet, aussi, un objet de mémoire, à sa façon, même s’il n’insiste pas vraiment sur ce que furent les combats de ce six juin 1944, il y a 80 ans…

Jacques été Josiane Schraûwen

Dans Le Ciel De Normandie 1944 (auteur : Olivier Dauger – éditeur : Paquet – mai 2024 – 64 pages)

Airborne – D-DAY – Deux albums en une petite intégrale, et un dossier passionnant en prime !

Airborne – D-DAY – Deux albums en une petite intégrale, et un dossier passionnant en prime !

Les commémorations des 80 ans du débarquement en Normandie sont terminées, on a eu droit à super-Macron, au « Jour le plus long » sur nos petits écrans… On peut donc se plonger dans une bd, aussi, excellente… Meilleure que tous les discours officiels et les remises de médailles!

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Le 6 juin 1944, commençait le début de la fin de la guerre 40-45. Et les éditions Casterman ont eu l’excellente idée de rééditer, en intégrale, deux albums de la série Airborne 44, un cycle complet parlant entre autres de ce débarquement sur les plages de Normandie, de ce fameux d-day.

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En partie seulement, parce que l’auteur, Philippe Jarbinet, ne se contente pas de nous parler de guerre. Il nous parle aussi d’êtres humains perdus dans l’horreur universelle, mais désireux de faire plus que survivre. Dans ce cycle-ci, tout commence en 1938. Gavin, jeune franco-américain, tombe amoureux de Joanne, jeune française. La guerre approche, Gavin s’en retourne aux Etats-Unis, et il revient en France, en Normandie, le six juin 1944… Pour se battre, certes, mais aussi pour retrouver cette femme qu’il aime et dont il n’a plus de nouvelles. C’est donc, essentiellement, une bd qui nous montre à voir des personnages réels, de chair et de sang, d’amour et de peur… Avec une manière pudique de nous montrer ces horreurs, ces violences extrêmes… Parce que, je me répète, ce qui intéresse vraiment Philippe Jarbinet, c’est la vie… Dans ce qu’elle peut avoir, aussi, de plus beau…

Philippe Jarbinet : dessiner la violence

Cela dit, une grande partie de cet album est, bien évidemment, consacrée au jour le plus long ! Dans la bd elle-même, dans le dessin, dans la narration… Mais aussi au long d’un superbe dossier dans lequel Philippe Jarbinet nous parle de son travail, nous parle de son approche très humaine d’un conflit qui a changé la face du monde.

Philippe Jarbinet: le dossier

On entend parfois des réflexions du genre : « pourquoi parler encore de cette guerre tant et tant de fois racontée, dessinée, analysée ? »

Loin de toute idée de nationalisme, loin, encore plus, de toute apologie d’une sorte d’héroïsme guerrier qui n’a sans doute jamais véritablement existé, parler de la guerre 40-45, c’est parler de l’humain, je l’ai dit, mais celui d’hier comme celui d’aujourd’hui.

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Et j’ai envie d’épingler un texte, tout à la fin de cet album, dit par Joanne, des années plus tard, alors que les Etats-Unis se désengagent de la guerre du Vietnam : « De toute façon, si on ne fait pas celle-ci, on en fera une autre. Je n’aime pas le monde qu’on fabrique pour nos enfants. Sombre, moi ? Non… réaliste ! »

Et c’est par réalisme aussi, un réalisme très contemporain, très axé sur notre actualité, que Philippe Jarbinet construit sa série Airborne…

Philippe Jarbinet : un citoyen, d’abord…

Airborne, c’est une série militaria, comme on dit. Et les passionnés, les amateurs éclairés apprécient le travail extrêmement fouillé de Jarbinet au sujet de tout l’environnement des histoires qu’il nous raconte : lieux, matériel, uniformes…

Mais au-delà de ces « fans », cette série, et singulièrement ce d-day, est bien construite, philosophiquement et passionnément, et se doit de plaire, assurément, à tous les lecteurs soucieux d’humanisme et de mémoire essentielle à la survie de l’intelligence…

Jacques et Josiane Schraûwen

Airborne 44 – d-day (auteur : Philippe Jarbinet – éditeur : Casterman – mai 2024 – 128 pages)