Cela ne m’arrive presque jamais : dire du mal d’un livre ! Mais ici, je ne peux pas ne pas le faire !
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Même pour le totalement inutile (et je suis gentil…) retour de Gaston, je n’avais pas eu envie de m’épancher ici. Mais avec ce pitoyable nouveau Spirou, impossible de me taire !
Première page : des remerciements dont certains se veulent humoristiques, sans provoquer aucun sourire… Avec un merci à Franquin, Greg et Jidéhem. Et les autres ?… Rob Vel, Jijé, pour ne parler que des premiers ?… (bien d’autres, oui, dont Jean-Claude Fournier) A jeter aux oubliettes de l’Histoire pour le bon vouloir d’un dessinateur, deux scénaristes (oui, deux !!!!) et d’un éditeur?…
Scénario : complètement décousu, tout sauf marrant, un texte sans style, des bulles « avec accent » mal fichues, un Che Guevara ridicule, des personnages dont on se demande ce qu’ils viennent faire là sinon remplir quelques cases et combler quelques gouffres de vide dans une narration qui se voudrait mouvementée et qui n’est que lassante.
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Dessin : c’est vrai que les personnages centraux ressemblent bien à ceux de Franquin. Mais à part ça, quel gâchis ! Les décors ? Sans âme ni relief, plats, sans ces détails qui faisaient aussi le charme de cette bd, chez Franquin et ses suivants (Dany, entre autres !). Du copier-coller, en quelque sorte, du remplissage artificiel sans aucune intelligence !
Bref : plus qu’une erreur éditoriale, ce livre à fuir est un véritable ratage dont on devine que sa parution ne doit d’exister que pour des raisons financières !
Voilà qui est dit…
Je sais que cela ne servira à rien, et que les acheteurs seront nombreux… Les collectionneurs qui veulent (tout comme moi d’ailleurs !…) n’avoir aucun « trou » dans leur collection…
Jacques et Josiane Schraûwen
Spirou et Fantasio : La Baie Des Cochons (auteurs : auteurs : Elric, Lemoine, Baril – éditeur : Dupuis – 2024)
La présence des autrices féminines dans le monde de la bande dessinée n’a pas été, pendant très longtemps, un doux chemin tranquille ! Mais cette présence ne date pas d’aujourd’hui, loin s’en faut !
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Ce qui me frappe toujours, lorsque je perds mon temps devant des jeux télévisés, c’est cette remarque lorsqu’un candidat ne connaît pas la réponse à la question posée : « Mais je n’étais pas né !… » !
Cette démission devant la simple présence d’un passé me semble être le summum de la connerie ! Et j’ai le même sentiment lorsque j’entends des penseurs et penseuses parler de la femme et le neuvième art, limitant cette aventure éditoriale et artistique à quelques noms comme Bretécher et Goetzinger, et puis aux dessinatrices de ces quelques dernières années. Non, mesdames et messieurs, la femme autrice de bd ne mérite pas ce trou mémoriel de dizaines d’années !
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N’ayez pas peur, je ne vais pas faire ici le sommaire de toutes les dessinatrices qui ont permis à ce qu’aujourd’hui la gent féminine soit enfin bien représentée dans l’art de la BD. Mais, n’en déplaise aux féministes à la mémoire courte, le « combat » a été long et ne s’est pas limité à quelques rares noms, aussi importants, voire essentiels, soient-ils !
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Et ce Métal Hurlant, nouvelle formule, hors-série en outre, a l’immense avantage (et plaisir) de remettre un peu les pendules à l’heure. En remettant en mémoire aux amnésiques actuels l’aventure éditoriale d’un magazine exclusivement féminin, Ah!Nana. De 1976 à 1978, le temp de neuf numéros, pas plus, le temps d’une censure aussi, le temps sans doute également que le grand frère Métal Hurlant abandonne sa fille naturelle, ce magazine a ouvert ses pages à des femmes, uniquement des femmes, qui ont apporté un souffle nouveau à la bande dessinée, provocateur, artistique ou littéraire, graphique et scénaristique, en se battant contre les idées reçues et les préjugés machistes, certes, mais en le faisant pour des raisons pas uniquement féministes, mais artistiques, aussi, surtout peut-être. Ce magazine était ainsi un lieu dans lequel le regard posé sur la création dessinée se révélait multiforme, par ses thématiques comme par ses approches graphiques.
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Cela dit, cette revue, née pendant la grande période d’une BD se voulant (enfin) adulte, participait d’une ambiance générale aux couleurs de la liberté. Et, de ce fait, Ah!Nana n’a jamais vraiment été un bastion contre l’art des « hommes », mais, tout au contraire, un avant-poste presque révolutionnaire de l’art appartenant à tout le monde ! C’est comme ça qu’on trouvait dans les pages de ces neuf numéros mythiques des présences qui n’étaient pas toutes issues de la BD… Agnès Varda, par exemple…
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Mais l’important était, bien évidemment, la bd, art neuvième en totale évolution, en totale révolution. Et ce hors-série de Métal Hurlant laisse la part belle à quelques-unes des dessinatrices qui ont permis à la bande dessinée féminine de ne pas être uniquement une curiosité passagère mais une partie prenante de cet art complet. On peut sans doute regretter que les autrices présentes dans cet album soient le fait d’un choix restreint. Mais on ne peut pas nier que ce choix (re)met en pleine lumière des autrices qui méritent assurément qu’on se replonge dans leurs œuvres, brasiers de talents très différents les uns des autres, et à ne pas, ou plus, oublier !
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Cecilia Capuana nous remet en mémoire un style très personnel, des personnages qui ne sont pas sans rappeler ceux de Crumb, parfois, avec des scénarios oscillant sans cesse entre la critique sociale et l’onirisme le plus éblouissant.
Nicole Claveloux, deuxième autrice mise en évidence, est une de ces créatrices impossibles à caser dans une petite niche bien tranquille… Du fantastique sobre à la fragmentation de la réalité, de l’illustration à la construction littéraire d’un scénario, ses œuvres sont à la fois superbes et dérangeantes.
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On peut (moi, en tout cas) n’avoir à voir que (trop) peu de dessins de l’immense Florence Cestac. Mais elle est bien présente avec son Mickson à l’humour décapant.
Marie-Ange Le Rochais nous rappelle une des faces importantes de ce magazine, la bd dite expérimentale…
Trina Robbins, Américaine appartenant de plain-pied à l’univers underground d’outre-Atlantique, a également participé à l’aventure de cette revue, avec des bandes dessinées incontestablement destinées à un public féminin prêt à se révolter dans un combat féministe brutal mais empli en même temps d’un humour filant dans tous les sens.
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Il y a l’expérimental dans tout ce qu’il peut avoir d’oubliable, à mon avis, avec Olivia Clavel. Il y a ensuite l’extraordinaire Keleck, démesurée dans l’horreur comme dans l’humour noir, dans le noir et blanc comme dans la couleur. Et puis, il y a Chantal Montellier… Une dessinatrice dont le nom, sans aucun doute, est vraiment présent dans l’Histoire du neuvième art. Avec des influences graphiques variées, avec un travail sur le noir et blanc bien assumé, elle nous raconte des histoires dont on a d’abord l’impression de les avoir déjà lues mille fois, avant de découvrir que les dérapages culturels, sociaux, intellectuels les transforment très vite en pamphlets efficaces. Chantal Montellier est, j’en suis convaincu, une autrice toujours étonnante, toujours à découvrir !
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Comme dans toute œuvre de combat, œuvre novatrice, cette revue a publié en même temps le meilleur et le pire. Mais elle a été un jalon essentiel dans l’universalité de la bande dessinée, dans la volonté d’y voir présents des artistes de tous les horizons, femmes et hommes à l’image, dans les années 70, d’une société digérant enfin, petit à petit, les vraies revendications de Mai 68.
Bien des circonstances de la vie nous poussent, parfois, souvent, à nous trouver des excuses, à nous inventer des alibis… En voici dix qui, eux, n’ont pas grand-chose à voir, heureusement, avec nos petits quotidiens !
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Parce qu’ici, avec ce livre construit comme un recueil de nouvelles dessinées, l’alibi dépasse les simples aléas d’une vie « normale ». Ils sont bien plus ce que le besoin de survie est à la construction d’un polar, d’un récit sombre comme la mort ! Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : la mort, sous dix formes différentes, et les efforts insensés que des coupables font pour ne pas avoir à la subir eux-mêmes !
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14 auteurs, scénaristes et/ou dessinateurs, ont donc été choisis par l’éditeur Philéas pour nous livrer une sorte de tranche de vie dans laquelle l’invention d’un alibi est l’axe central. Dix récits, très différents les uns des autres, mais qui construisent un album dont la construction narrative, cependant, est bien réelle. On part des contes de l’enfance, avec Richard Guérineau, dont le dessin, fort différent de son superbe « L’ombre des lumières », actualise, triture, détruit et détourne un chaperon rouge sans aucune naïveté… Et on arrive, en dernière « nouvelle » dessinée, à l’ailleurs, à ce jugement que l’on dit dernier, dessiné par l’excellente Jeanne Puchol, dont le dessin, d’un froid réalisme, nous plonge, pudiquement pourtant, dans les affres d’une enfance meurtrière…
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Entre ces deux récits, ces deux alibis, huit autres petites histoires nous sont contées, dans des narrations très différentes, je l’ai dit, les unes des autres. Jack Manini détourne à sa manière le mythe de l’alibi parfait. Laurent Astier et son complice Xavier Bétaucourt revisitent froidement la thématique de l’adultère, tout comme Olivier Berlion. Jimmy Beaulieu s’emberlificote dans un récit plus traditionnellement policier, avec un dessin et un scénario qui, pour moi, sont malheureusement le maillon faible de cet album.
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Il y a ensuite Thierry Robin qui remet la qualité à l’honneur, en nous parlant de mort, d’erreur judiciaire, et de football, le tout dans une ambiance à la fois morbide et d’un humour désespéré. Benoît Blary et Laurent Galandon, eux, inspirés quelque peu par Simenon, nous parlent des détails quotidiens de la haine. Vincent Froissard et Etienne Le Roux prennent le relais avec un récit qui nous montre les horreurs derrière le rêve, donc derrière l’enfance, dans un cirque où chacun, finalement, veut aimer et n’arrive qu’à haïr. Et puis, il y a Séverine Lambour et Benoît Springer qui semblent nous parler de folie humaine, mais qui, plus profondément, nous décrivent avec émotion un amour qui refuse de s’effacer…
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Parce que, en définitive, au-delà même de l’alibi sous toutes ses formes, au-delà aussi de l’illustration réussie du mensonge sous plusieurs de ses aspects, c’est un livre qui nous parle d’amour… De haine, également, bien évidemment, l’un et l’autre se révélant les deux faces d’un miroir qui nous renvoie toujours nos propres reflets ! A ce titre, les dix nouvelles dessinées de cet album en font un livre étonnant… Par ses différentes ambiances… Par cette certitude que les dix histoires racontées nous imposent de l’inéluctable finalité des tout alibi, de tout mensonge, donc de toute existence…
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Je le redis : ce livre est une vraie réussite. Il se lit avec plaisir, d’une traite, il frémit de mille existences que nous croisons, qui auraient peut-être pu, qui sait, être les nôtres… Graphiquement, scénaristiquement, il n’y a pratiquement rien à jeter dans ce livre. Au contraire ! Il nous permet aussi de voir évoluer des auteurs dans des univers qui ne sont pas vraiment les leurs. Le talent n’a pas besoin d’alibi, et ce sont les talents conjugués de 14 artistes qui font de ce livre une superbe réussite !…