Nos Rives Partagées – Six personnages en quête de destin…

Nos Rives Partagées – Six personnages en quête de destin…

Livre choral, cet album se savoure dans la lenteur d’un fleuve dont les flots sans cesse se recommencent. Comme l’existence…

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Cette bande dessinée met donc en scène, vous l’aurez compris, plusieurs personnages vivant dans une petite ville près de Namur, le long de la Meuse. Il y a Simon, professeur en train de douter de son métier, incapable de corriger les travaux de ses élèves. Il y a Diane, une femme mature qui a eu le cancer du sein et qui cherche à se reconstruire, en tenant un journal intime fait essentiellement de citations désespérées et désespérantes.

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Il y a Hugo, un jeune homme cachant sa timidité derrière la passion qu’il a de la photographie animalière. Il y a Jill dont il tombe amoureux mais qui ne sait pas si elle aime, charnellement, les hommes ou les femmes.

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Il y a Nicole, une sociologue dont on devine que sa fille refuse de lui parler pour de lourds secrets du passé. Il y a Pierre, dont Nicole s’occupe, et qui est atteint d’une maladie dégénérative.

Six personnes normales, présentées avec une évidente tendresse…

Zabus: la tendresse

Six personnages, donc, en quête d’eux-mêmes. Et observés, à leur insu, comme dans une fable de La Fontaine, par les animaux du coin, dirigés par un sage, un crapaud… Avec, dans la bande de ces observateurs, un chat à l’humour sans cesse critique…

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On est à la fois, vous voyez, dans du fantastique, de l’onirisme même, et du quotidien très réaliste.

Zabus: la société…

On pourrait penser se trouver dans un livre dans l’air du temps, qui nous donne un point de vue écologique, animalier sur notre monde. Mais il n’en est rien… Ce serait sans compter sans la culture, le talent et l’intelligence de Zabus et du dessinateur Nicoby.

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Sans en avoir l’air, par petites touches, il dépasse de loin tout militantisme, et son propos nous donne à voir, en quelque sorte, une image fragmentée de notre société. Ce sont des tranches de vie qui nous sont présentées, comme un puzzle, qui se rencontrent parfois, qui se regardent les unes les autres.

Zabus : les quotidiens

Et, de ce fait, les sujets abordés, tranquillement, sont nombreux et forment un écheveau qui ne peut que toucher tout un chacun. On parle dans ce livre de la souffrance, morale et physique, de la maladie de la mort, de la fin de vie… De la sexualité, de la peur de vieillir… Du travail, de la nature et de ce que l’homme en fait, de politique aussi. Et tout cela dans un microcosme très étroit, celui d’un village près de Namur, tout cela dans un environnement de nature et d’eau omniprésentes. Et les six quotidiens qui sont mis en scène -et le mot est bien choisi, le scénariste étant homme de théâtre- ces quotidiens finissent tous, à leur manière, par se ressembler, dans la recherche qui, finalement, est la leur : celle de l’Amour, point commun, en fait, à tout le monde, quelle que soit la forme que prend cet amour, cette vérité bien plus large qu’un simple sentiment…

Zabus : l’amour

Les sujets ainsi abordés dans ce livre à la fois choral, réaliste et poétique forment une trame extrêmement littéraire. Par les références, nombreuses, ici et là, à la littérature, grâce aux citations d’un journal intime étrange, grâce au métier de Simon. Par la magie aussi des mots simplement, ceux de Zabus, jamais pesants, toujours vivants, comme une Meuse entre ses rivages…

Zabus: les mots

Nicoby, le dessinateur, et Philippe Ory, le coloriste, apportent au récit de Zabus une force tranquille… Une couleur des sentiments et des sensations qui rend presque tangible le voyage que ces trois auteurs nous offrent aux frontières de nous-mêmes…

Nicoby : la couleur

Le dessin est aérien, oui, véritablement magnifié par des couleurs qui rendent compte de la lumière qui règne dans ce village du Namurois, Dave… Un dessin, aussi, qui, avec simplicité, rend compte du mouvement… Celui de chaque personnage, celui de la nature, celui du temps qui passe… En symbiose avec l’art presque théâtral de Zabus…

Nicoby : le dessin

La thématique de ce livre est chorale… La réalisation l’est aussi, il y a une véritable complicité entre les trois artisans de cet album qui, sans ostentation, avec un sens littéraire certes évident mais laissant au dessin sa manière spécifique de participer à ce récit merveilleusement humain, tendrement poétique, et formidablement sociétal, nous offrent une oeuvre originale, intelligente, importante…

Nicoby : la complicité

Un livre calme et sérieux, un livre souriant et empreint de chagrin, un livre de vie, de souffrance, de mort et d’amour… Un livre tout en sourires quotidiens, rien de plus, et le plaisir de la lecture est au rendez-vous !

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Jacques et Josiane Schraûwen

Nos Rives Partagées (dessin : Nicoby – scénario : Zabus – couleurs : Philippe Ory – éditeur : Dargaud – 2024 – 158 pages)

Sables Mouvants – mémoires éparses d’une enfance

Sables Mouvants – mémoires éparses d’une enfance

Un livre qui nous vient de Suisse… Un livre inclassable… La forme poétique d’une approche graphique et littéraire d’une vie en recherche d’elle-même…

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Il est vrai que ce livre n’est pas tout récent… Mais j’aime parfois, et vous le savez, mettre en lumières des œuvres que la mode a oubliées à tort… Et c’est bien le cas de cet album qui peut sembler minimaliste mais qui ne l’est pas du tout !

Minimaliste, oui, puisque se font face des dessins en noir et blanc et des petits textes comme tapés sur une vieille machine à écrire.

Minimaliste, parce que la trame de ce qui nous est raconté au long de ces quelque 200 pages est ténue, fine, aérienne.

Mais c’est au travers de cette approche très réservée dirais-je d’une simple histoire humaine racontée avec simplicité, c’est au travers de ces petits textes qui semblent écrits dans une sorte d’urgence que le propos de l’autrice, Marion Canevascini, réussit à parler à tout le monde, à se faire universel…

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Une jeune femme laisse parler sa mémoire pour se balader dans un monde qui n’est plus le sien, celui de l’enfance. Celui d’un univers dans lequel le père, un jour, a disparu… Pourquoi ?… Une fuite ?… Une mort ?… Ces questions ne sont pas vraiment celles qui accrochent l’âme de cette jeune femme au quotidien de ses souvenirs en continuelle mutation.

Voir sans être vu(e), penser à rêver, se cacher dans les petites choses, trouver sa place, tels sont les propos intimes et intimement partagés de cette héroïne qu’on ne découvre réellement qu’en fin de livre, lorsque le dessin nous la livre adulte et avide de tendresse et d’amour, dans une sorte de nudité tendrement pudique.

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Parce que c’est de cela que nous parle ce livre très personnel : ne rien oublier de son enfance, des douleurs de cette époque de l’existence que le souvenir embellit bien trop, ne rien en renier, mais, en même temps, se vouloir devenir adulte. C’est-à-dire, comme le dit un des petits textes de ce livre, « admettre la souveraineté de sa propre solitude » !

Admettre l’absence, aussi, cette réalité horrible qui définit pourtant l’humain, ses rêves, ses présents, ses quotidiens et toutes ses souvenances.

C’est une errance que nous dévoile l’autrice… Avec des larmes qui font renaître… Avec un amour au présent qui ne peut exister qu’en acceptant d’aimer son passé…

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Le dessin est parfois comme esquissé, parfois aussi extrêmement fouillé… Comme le sont les souvenirs humains, finalement… Il est très fort ancré, également, dans la représentation presque idéalisée de l’été, du soleil, de la plage, des vacances… Il accompagne à la perfection, sans jamais uniquement l’illustrer, un texte qui aime se référer à la littérature… A la chanson aussi, avec Barbara…

Ce livre, en fait, est indéfinissable…

Il est récit intime prenant la forme d’un long poème libre dans lequel le dessin s’intègre avec toute la poésie du hasard…

Oui… C’est un poème de mots et de dessins que ce livre étonnant, calme, tranquille, et abordant des thématiques qui sont celles de tout un chacun… Peut-on guérir de son enfance ? Doit-on le faire ?…

Jacques et Josiane Schraûwen

Sables Mouvants (autrice : Marion Canevascini – éditeur : Antipodes – 2022)

Whisky San : une bd à savourer sans modération…

Whisky San : une bd à savourer sans modération…

Le whisky n’est plus depuis longtemps l’apanage des îles britanniques ! Et ce livre nous entraîne dans la grande Histoire pour nous raconter la petite histoire de la création d’un whisky japonais, un des meilleurs du monde !

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Au début du vingtième siècle, Masataka Taketsuru a un rêve… Lui qui est l’héritier d’une distillerie de saké, il veut créer un whisky exclusivement japonais. Il va devoir affronter sa famille, la quitter, il va devoir affronter les réalités économiques, la rivalité… Il va voyager pour comprendre comment on fait le whisky, en Ecosse, il va tomber amoureux…

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Il va comprendre que l’important n’est pas dans la mécanique de fabrication, mais dans l’âme de cet alcool qu’on dit divin… Il va devoir, oui, combattre les a priori et les nationalismes des Britanniques.

Fabien Rodhain : hasard, détermination…

Les Ecossais ont l’habitude de dire que le Whisky a été inventé par les Irlandais, mais ce que ce sont eux, les Ecossais, qui l’ont rendu buvable… Et c’est dans l’univers de cet alcool aux possibilités de saveur infinies, que le Whisky japonais Nikka a réussi à entrer dans la cour des grands, à devenir, même, un des meilleurs whiskys du monde… Et pour ce faire, Masataka Taketsuru a dû découvrir que les échecs sont eux aussi partie prenante de la réussite…

Fabien Rodhain : les échecs…

On pourrait se dire qu’un tel livre ne peut qu’être destiné aux amateurs de whisky, aux spécialistes, de façon plus didactique que passionnante… Mais ce n’est heureusement absolument pas le cas… Les deux scénaristes, Fabien Rodhain et Alcante, ne se sont attachés que très peu à toute la technique, à toute la technologie de la fabrication du whisky.

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L’intérêt de ce livre, c’est d’abord de nous balader dans la grande Histoire, en arrière-plan, celle de la guerre 40-45, par exemple, ponctuée par l’horreur d’Hiroshima… On survole ainsi pratiquement tout un siècle d’Histoire, mais en petite touches, avec une sorte de pudeur tranquille… Fabien Rodhain est ce qu’on peut appeler un auteur écologiquement engagé. Mais ici, il oublie ce côté militant de sa personnalité pour nous raconter, simplement, une aventure humaine, celle d’un rêve qui finit par prendre vie envers et contre tout…

 Fabien Rodhain : une histoire humaine

Une des constantes dans l’œuvre multiforme de Fabien Rodhain est la présence féminine… Parfois comme un moteur, parfois comme une touche d’humanité, parfois comme une observatrice. Ici, toute la réussite d’un homme ne se révèle possible que grâce à plusieurs femmes. L’épouse, la mère, la sœur, entre autres. Ce sont elles qui, finalement, offrent au rêve du créateur du Nikka la chance de devenir réalité…

Fabien Rodhain : les femmes

On aurait pu avoir peur, face à ce sujet véritablement japonais, d’avoir un dessin proche, graphiquement et narrativement, des mangas… Mais ce n’est pas le cas ! Poétiquement réaliste, le dessin d’Alicia Grande reste pudique, tendre même, et toujours souriant.

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Plein de mouvement, aussi, et de sens aigu de l’approche des regards des personnages… Un dessin que la couleur rythme et anime avec une immense intelligence.

Fabien Rodhain : dessin et couleur

Jacques et Josiane Schraûwen

Whisky San (dessin : Alicia Grande – scénario : Fabien Rodhain et Alcante – couleur : Tanja Wenisch – éditeur : Grandangle – mars 20224 – 136 pages)

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