Simenon – Le Roman D’Une Vie

Simenon – Le Roman D’Une Vie

Depuis quelques années, les biographies sont nombreuses, en bd… Toutes ne sont pas intéressantes, loin s’en faut ! Mais l’approche de la vie de Simenon par Rodophe et Maucler est une vraie réussite !

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Bien entendu -et heureusement- les auteurs de cet album n’ont pas eu l’ambition de raconter toute l’existence de Georges Simenon ! Ils le suivent de son adolescence jusqu’aux années 30, plus simplement, plus calmement. Ce qui fait de ce livre un récit tout en linéarité et dans lequel toutes les qualités et les réalités de Simenon sont présentes, à l’état de rêve d’avenir, d’abord, de réalisations de cet avenir, ensuite.

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Pour tout savoir sur cet écrivain liégeois aux nombreux romans de toutes sortes, on peut se plonger dans ses propres « mémoires intimes », un livre passionnant de plus de 1.100 pages. Un livre passionnant, oui, et passionné, puisque Georges Simenon y parle de tout, et énormément de son « amour » physique des femmes.

Et dans cette bande dessinée-ci, Rodolphe ne s’est évidemment pas privé de parler de ce besoin charnel de Simenon… Et Maucler de le mettre, ici et là, en images… S’ils le font, ce n’est pas pour une raison « érotique », mais parce que, de manière évidente, cet attrait qui tourna presque à l’obsession est un des axes importants de tout ce qui a poussé Simenon à vouloir être célèbre.

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Oui, devenir célèbre… Comme jeune, très jeune journaliste, découvrant à Liège des quotidiens professionnels sortant incontestablement des sentiers battus pour trouver refuge dans des alcôves accueillantes. Comme écrivain, ensuite, sous différents pseudonymes, de romans de toutes sortes dont le seul but était de gagner sa vie. Comme écrivain reconnu, enfin, avec la création du flic le plus connu de toute l’histoire de la littérature policière francophone. Eh oui, je suis persuadé que ce n’était pas la fortune qui l’intéressait, mais ce que cette fortune et cette célébrité pouvaient lui apporter. Les femmes, d’abord… Son épouse, mais bien d’autres, pour des relations dans lesquelles le sentiment n’avait habituellement pas lieu d’être. Sauf, sans aucun doute, pour la passion qu’il a réellement ressentie pour Joséphine Baker.

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Rodolphe et Maucler se sont plongés avec un vrai plaisir tangible dans l’existence de cet écrivain exceptionnel à la vie tout aussi exceptionnelle… Par ses amours, par ses folies, par ses voyages, par sa manière d’écrire, par l’impudeur de ses mémoires, par l’intérêt qu’il a eu pour tous les pays traversés non en touriste mais en écrivain sachant que ces ailleurs allaient un jour se retrouver dans ses écrits.

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Ce fut le cas, par exemple, avec l’étonnant et visionnaire « L’Heure du Nègre », relatant ses mois passés en Afrique, dans les années trente, et prévoyant qu’un jour l’Afrique allait s’appartenir et refuser l’homme blanc…

Mais je m’égare, là…

Rodolphe ne rentre pas dans ces détails. Comme je le disais, il a voulu, s’inspirant avec intelligence des mémoires de Simenon, tracer dans son scénario une trajectoire humaine hors du commun, sans aucun jugement ni qualitatif ni moral. Une trajectoire qu’il a voulue sans apprêts, suivant un plan d’écriture pratiquement journalistique.

Il nous parle d’un homme appartenant à une race étrange, celle de l’écriture. Son scénario, de ce fait, s’éloigne totalement de la manière qu’il a de nous raconter les aventures de son personnage phare, le Commissaire Raffini, flic pour lequel l’influence du Maigret de Simenon est, me semble-t-il, indéniable.

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Avec son complice (pour Raffini également…) Maucler, Rodolphe nous trace le portrait d’un homme, bien sûr, mais aussi, historiquement, d’une époque… Des années pendant lesquelles un garçon se faisait déniaiser chez les « petites femmes »… Des années qui virent s’affronter, en Belgique aussi, le catholicisme et le monde ouvrier… Des années pendant lesquelles le talent et le culot n’avaient nul besoin de diplôme pour se faire (re)connaitre…

Ces deux auteurs nous parlent de jeunesse, une jeunesse que Simenon, à sa façon, n’a jamais voulu quitter. Ils nous parlent de l’Art, de l’ivresse, de l’extase, celle d’écrire aussi, ils nous parlent de ces rencontres qui, sans en avoir l’air, forgent une existence. Une existence dans laquelle l’imagination et le fantasme se sont révélés à l’aune du réel.

Et il faut vraiment souligner le travail de Maucler, avec un dessin qui laisse la part belle aux visages, aux expressions, avec un graphisme qui, en grande partie, n’utilise que très peu la force des décors, avec un sens profond de la couleur et des variations de la lumière.

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Simenon est et sera toujours, sans doute, à la mode.

Pour preuve, cette collection de chez Dargaud s’intéressant aux « romans durs » qu’il a écrits en parallèle de ses Maigret.

Parmi les albums de cette série, il y a « Le Passager Du Polarys », de José-Louis Bocquet et Christian Caillaux.

Le dessin, d’un style très personnel, et rendant compte avec beaucoup de talent de la vie sur un bateau, est intéressant… Mais le scénario, lui, n’a pas réussi à m’accrocher, tant les personnages (dans le texte comme dans le dessin d’ailleurs) et les péripéties dont difficiles à différencier les uns des autres. Il y a trop de raccourcis, trop de non-dits, et la construction de ce livre demande, à mon avis, de relire le roman originel pour « comprendre ». Ce qui, finalement, n’est pas une mauvaise idée !

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Mais ce n’est pas le cas avec « Le Roman d’Une vie »… Une excellente bande dessinée, fouillée sans être pesante, et dont le personnage central, pas toujours sympathique, nous devient pourtant proche… Un livre à lire par tous les amoureux de l’œuvre de Georges Simenon !

Jacques et Josiane Schraûwen

Simenon – Le Roman D’Une Vie (dessin : Maucler – scénario : Rodolphe – éditeur : philéas – 109 pages)

Réfugiés climatiques et castagnettes – un livre humaniste et, donc, important !

Réfugiés climatiques et castagnettes – un livre humaniste et, donc, important !

Changement climatique… Les pays du sud de l’Europe sont horriblement touchés… Voici le moment d’une nouvelle immigration !

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Je n’ai jamais été très « fan » des livres traitant des sujets « à la mode », quel qu’en soit le thème. Et donc, ici, j’avoue avoir hésité avant de me plonger dans cette histoire en deux volumes. Eh bien, j’avais tort ! C’est un excellent récit, intelligent, ouvert, lumineux, humoristique, linéaire, et qui nous parle, profondément, à toutes et tous, au-delà de la simple actualité, et loin des Greta et compagnie !

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C’est vrai que cette actualité semble de plus en plus prendre vie : l’immigration climatique ! Il va falloir, plus que probablement, gérer dans les années à venir une nouvelle forme de solidarité, et cela dans un monde qui, reconnaissons-le, a perdu depuis longtemps le sens de ce mot !

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Certes, on défile « contre » le réchauffement climatique ! On suit aveuglément quelques gourous auto-proclamés, tout en permettant à nos pouvoirs de continuer à ne surtout pas s’attaquer aux vrais problèmes et à privilégier, à force d’idéologies de plus en plus puantes, l’économie par rapport à l’humain ! On défile, on chante, on danse dans les rues, on fait de l’écoterrorisme une nouvelle religion, on contribue à faire porter la responsabilité de tout ce qui fait peur aux seuls citoyens, ceux d’hier, surtout, les « boomers » !… Mais en même temps, on n’a aucun regard pour le sdf qui meurt au jour le jour juste à côté de nos sublimes manifs !… Et on continue à voter pour les mêmes pantins des mêmes multinationales sans âme…

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Cela dit, pour en revenir à cette bande dessinée, n’ayez pas peur d’un album militant, lourd et pesant. Avec David Ratte, la critique sociale est toujours au rendez-vous, mais elle l’est avec sourire, avec émotion, avec une forme de dérision aussi. Mais avec un vrai regard sur le monde dans lequel nous (sur)vivons.

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Au départ du récit qu’il nous offre, une hypothèse probable : les habitants de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal doivent abandonner leurs terres. En France, un décret paraît : « Quiconque disposant d’un logement suffisamment grand devra héberger un ou plusieurs réfugiés climatiques sous peine de poursuites ». Le domicile devenant ainsi, de fait, le lieu privilégié de l’identité…

Louis Clémant-Barbier, un jeune homme de « bonne famille » bien-pensante, donc profondément égoïste, se voit ainsi obligé d’accueillir dans son appartement une vieille Espagnole. Ce sont d’ailleurs tous les appartements de son immeuble qui sont ainsi réquisitionnés. Et chacun va devoir, non pas s’habituer, mais, tout simplement, « changer », dans ses convictions, dans ses habitudes, dans le sens qu’on peut donner au mot « richesse »!

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A partir de ce postulat de base, David Ratte nous raconte une histoire de « double intégration », puisque les réfugiés climatiques obligent, à leur manière, les gens qui les accueillent à intégrer dans leurs quotidiens leurs cutures, leurs manières de vivre, de tout faire pour que vivre reste vivable. C’est en sorte le combat entre un quotidien à partager et la forme latente du racisme…

David Ratte, à sa façon, nous réapprend à tendre la main. Ou, en tout cas, loin de toute polémique, à avoir envie de le faire, à dépasser les apparences et les indifférences, tellement de mise de nos jours, pour espérer un monde un tant soit peu meilleur.

Son scénario, tel une fable moderne, nous fait le portrait éclaté d’une société également éclatée. Ces deux albums nous parlent ainsi de découvertes toujours possibles, de soi et des autres, de sentiments, même amoureux, même déçus, d’émotions qui, exacerbées, retrouvent leur sens premier.

Avec un dessin extrêmement expressif, parfois proche d’une forme tranquille de caricature, David Ratte, en idéaliste quelque peu utopique, donc essentiel, nous raconte la vie telle qu’elle pourrait être. Le tout avec un graphisme souriant, lumineux, avec un sens profond de l’approche de ses personnages par leurs gestuelles et leurs regards.

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Un très bon diptyque, donc, vous l’aurez compris, qui ne donne pas de leçon, loin de là, mais nous pousse, tranquillement, sereinement même, à réfléchir à notre place, à chacune, à chacun, dans un monde qui, qu’on le veuille ou non, est en train de doucement s’approcher d’un grand et ultime chambardement !

Jacques et Josiane Schraûwen

Réfugiés climatiques et castagnettes (auteur : David Ratte – histoire complète en deux tomes – éditeur : Bamboo Grandangle – 2022 et 2023)

Red Creek Shuffle – années 50, guerre froide, polar et sf…

Red Creek Shuffle – années 50, guerre froide, polar et sf…

Red Creek. 1959. Une petite ville au fin fond des Etats-Unis. Des cadavres, un flic raciste, un détective privé sans ambition, une journaliste, elle, ambitieuse… Voilà tous les ingrédients de cet album passionnant !

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Résumer la carrière du prolifique scénariste Eric Corbeyran est chose impossible, tant il a exercé son talent dans bien des domaines de la bande dessinée, dans des thématiques extrêmement variées. S’il fallait malgré tout trouver un fil conducteur, une unité dans ses scénarios, sans doute faudrait-il la rechercher dans sa manière de s’intéresser à ses personnages. Quel que soit le décor dans lequel il nous entraîne, il le fait toujours en s’approchant du plus près possible des (anti-)héros de ses récits… Le vin ou l’Histoire, le fantastique ou l’humour, la bd sociétale ou la bd de délassement pur, tout cela est pour lui un prétexte à inventer des hommes et des femmes auxquels, parfois avec un sens évident de la caricature, il aime donner vie.

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Graphiquement, même si ses scénarios appellent le plus souvent un dessin réaliste, il aime surtout des dessinateurs qui accompagnent différemment ses mots, ses intrigues. Je me souviens, quant à moi, avoir été séduit par l’excellent « Lie de Vin », dessiné par Berlion, par le « Maître chocolatier » se déroulant à Bruxelles, par sa participation à l’album « Paroles de taulard ». A chaque fois, on ressent véritablement le soin que Corbeyran met à s’entourer de gens qui aiment voyager dans ses univers…

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C’est encore le cas ici, avec Chico Pacheco dont les influences américaines sont indubitables. On se retrouve dans l’univers des comics, par le découpage comme par le trait. Je ne parle pas des resucées sans fin des super-héros, mais dans ces histoires américaines, souvent glauques, dans lesquelles la nuit et ses ombres occupent toujours une place prépondérante, avec des sensations d’angoisse alimentées par des perspectives et des découpages qui aiment le vertige…

A ce titre, il faut souligner, dans cet album, le travail remarquable du coloriste Cyril Saint-Blancat. Il ne cherche à aucun moment à éblouir et se met au service de l’histoire… Ses gris mêlés de bleu, traversés ici et là de couleurs chaudes, rythment véritablement le récit.

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Un récit que le dessinateur a parsemé de plusieurs sourires graphiques, comme des hommages… A Torpedo, bien évidemment, de Bernet. Mais aussi aux Dalton de Morris… Ce sont les plus évidents, mais il y en a d’autres, en référence aussi au cinéma noir des années 50 !

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Cela dit, que nous raconte cet album hétéroclite mais passionnant ?

A Red Creek, existe une usine étrange dont personne ne sait ce à quoi elle travaille, ce à quoi elle sert.

A Red Creek existe une casse de voitures dont on se demande ce qu’elle peut faire dans ce bled pourri loin de tout…

A Red Creek, il y a des meurtres sanglants, des cadavres mutilés, et un shérif qui n’en a rien à faire. Après tout, les victimes ne sont que des membres de minorités, les Noirs, les Indiens, les Latinos…

A Red Creek, il y a aussi des disparitions qui n’intéressent d’aucune manière la police ronronnant dans une sorte de léthargie dont on devine qu’elle est bien payée…

Et le privé comme la journaliste qui y arrivent ne sont que deux fouille-merde qui, peu à peu, en s’associant, vont s’enfouir dans une réalité peu ragoutante… Et particulièrement pourrie, politiquement et humainement parlant…

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Et c’est au cours de cette enquête conjointe que le récit commence à délirer… Au-delà des crimes horribles, c’est dans un monde de compromissions, certes, que les deux enquêteurs se glissent… Mais un monde profondément ancré dans une guerre froide aux méchants Russes en face des à peine moins méchants Américains…

Et puis, les années 50, ce sont, littérairement parlant, les années d’apogée de la science-fiction, avec Fredric Brown, Ray Bradbury, Isaac Asimov, avec la peur de la population face aux ovnis, aussi…

 Et « Red Creek Shuffle » devient alors, avec un humour morbide et pratiquement influencé par le manga actuel, une histoire qui mélange plusieurs thématiques, avec un plaisir évident de la part des auteurs, et sans jamais perdre le lecteur au passage !

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Bouquin étonnant, ce livre inattendu est à la fois un hommage à la littérature et au cinéma de ces années 50 et un excellent moment de délassement, de plaisir, même hanté par des monstres et des flots de sang…

A découvrir, sans aucun doute !

Jacques et Josiane Schraûwen

Red Creek Shuffle (dessin : Chico Pacheco – scénario : Eric Corbeyran – couleurs : Cyril Saint-Blancat – éditeur : l’aqueduc bleu – janvier 2023 – 156 pages)