Cherchez Charlie – quelques sanglantes tranches de vie

Cherchez Charlie – quelques sanglantes tranches de vie

Des personnages en veux-tu en voilà, tous plus barges les uns que les autres, dans un New York de démesure…

copyright sarbacane

New York, 1969… Charlie, petit comptable de Tony Zardella, un parrain de la mafia, se fait aborder en pleine rue par une hippie blonde et terriblement entreprenante… Cet « abordage » est un prétexte pour le vol du portefeuille du pauvre Charlie… De sa mallette, aussi, dans laquelle des livres de comptes « brûlants » se trouvent… Il s’en suit une poursuite, une recherche, et, surtout, comme dans un jeu de piste, des lieux et des personnages qui s’ajoutent les uns aux autres, dans le stupre et la fornication, pour former la trame d’un puzzle d’où dégoulinent mauvais sentiments, émotions amoureuses, trahisons, surprises, et sang, bien évidemment !

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Depuis les années 80, Moynot s’est fait une vraie place dans le monde de la bande dessinée noire… Avec une véritable personnalité dans la façon qu’il a d’aborder le monde de la nuit, le monde de la mort, la description presque caricaturale des bons et des méchants, mais en les ancrant, profondément, dans leur époque, et, de ce fait, dans une forme de vérité historique. Incontestablement influencé à la fois par les romans américains que l’on dit noirs et par le cinéma, celui des années 50 mais aussi celui de Coppola ou, plus récemment, Tarentino, Moynot aime aussi surprendre…

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C’est ainsi qu’il aime s’aventurer dans l’humour absurde et provocateur, par exemple, dans des œuvres plus documentaires aussi, pour des livres dans lesquels il peut se laisser aller à d’autres graphismes, à d’autres manières d’border ses sujets. A d’autres couleurs aussi… Et dans ce livre-ci, avec un titre clin d’œil, c’est exactement ce qu’il fait… Et on ressent, de page en page, le plaisir qui est le sien à nous le faire suivre dans un jeu de morts de vies intimement mêlées…

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C’est Moynot aussi qui, dans la continuité graphique de l’immense Tardi, dessine le personnage mythique de Léo Malet, Nestor Burma…

Dans « Charlie… », on a un peu l’impression que c’est pour lui, avec des couleurs « pop-art », des décors jamais esquissés mais simplifiés, une échappée des contraintes de Nestor Burma… Mais, ce faisant, et sans vraiment s’en rendre compte sans doute, il se rapproche des thématiques que Léo Malet, abandonnant pour un temps son héros, avait abordées dans sa fameuse Trilogie Noire » !

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Cela dit, n’allez pas croire que cet album n’est que récréatif pour son auteur comme pour ses lecteurs ! Moynot s’est amusé, et nous amuse, en détournant tous les poncifs des « romans de gare » comme des films de série b ! Et les poncifs ne manquent pas : la mafia, les comptables bien sages obligés de travailler pour des truands, le jeune flic qui croit en son métier héroïque, les Blancs et les Blacks, les gays, l’amour libre, les policiers pourris, les hommes coincés moralement et sexuellement… Tous ces tics de la littérature et du cinéma policier sont bien présents dans ce livre, mais avec une forme de dérision, mêlée de cruauté, de folie teintée de réalisme qui ne peut qu’enchanter le lecteur ! Il s’agit d’une sorte d’amusement pervers, mâtiné d’une forme de nostalgie souriante…

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C’est une galerie de portraits que nous offre Moynot… Des portraits très colorés, comme l’était le pop-art en cette époque charnière entre les années 60 et les années 70, des portraits tracés à grands coups de pinceau utilisés parfois comme des scalpels, le tout dans un découpage serré, plein de séquences, voire même de plans séquence…

Et ces portraits, ma foi, et les fils conducteurs qui, en écheveau, les réunissent les uns aux autres, sont particulièrement agréables à découvrir !

Un livre noir, donc, que ce « Charlie »… Un livre réussi… Et pour le trouver, ce fameux Charlie, amusez-vous à découvrir que, finalement, tout le monde peut être ce personnage falot et pourtant important…

Jacques et Josiane Schraûwen

Cherchez Charlie (auteur : Moynot – éditeur : Sarbacane – 84 pages – 2023)

À Qui Profite L’Exil – Une bd documentaire importante !

À Qui Profite L’Exil – Une bd documentaire importante !

La bande dessinée n’est pas un art figé, loin de là. Et elle le prouve dans cet album qui ne peut que vous interpeller !

copyright delcourt

Cet album a un rapport étroit avec l’actualité… Il ne s’agit pas d’un rapport avec la disparition de cinq millionnaires dans l’épave du Titanic, non, mais d’un rapport infiniment plus important avec le drame de ce bateau plein de migrants coulé au large de la Grèce… Et ce livre nous parle de très près de ce que sont ces migrants, de ce qu’ils vivent, et, ce faisant, de ceux qui, simples humains ou organisations reconnues, sont les artisans de ce drame devenu quotidien. Le titre de cette bande dessinée documentaire est sans détour : à qui profite l’exil, le business des frontières fermées…

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C’est un livre engagé, un livre empathique qui est un vrai documentaire, avec la journaliste Taina Tervonen au scénario, une scénariste qui se met elle-même en scène. C’est elle qui photographie, dans des cimetières en Sicile, des tombes étranges avec comme seules indications des codes… C’est elle qu’on voit interroger des médecins légistes, des pompiers volontaires, des gens qui ont créé une base de données immense pour qu’un jour, peut-être, on puisse donner un nom à ces corps repêchés à quelques kilomètres de nos démocraties bien pensantes.

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C’est elle qui dit : « Cela fait quinze ans que j’écoute les récits des migrants. Qu’est-ce qui nous fait si peur dans cette rencontre-là ? J’ai grandi au bord de l’océan Atlantique, au Sénégal, j’ai appris à rêver d’ailleurs en scrutant l’horizon entre la mer et le ciel. Aujourd’hui, mon passeport européen m’ouvre toutes les portes et les ferme au nez de ceux considérés comme des ennemis. Pourquoi ai-je le droit de vivre en sécurité, et pas eux ? Pourquoi ai-je le droit de rêver, et pas eux ? »

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Rêver… Mais les rêves deviennent cauchemars.

C’est un sujet dur, oui… Mais il est vraiment traité à hauteur d’homme, en laissant la parole, réellement, à des tas de gens participant à cette réalité d’une migration qui ne fait que s’accentuer au fil des années. Jeff Pourquié, le dessinateur, s’est totalement immergé dans le projet de Taina Tervonen, et son dessin, réaliste, s’attache énormément aux visages des gens rencontrés, croisés, politiciens, sauveteurs, migrants chassés par la misère ou la guerre. Mais son dessin prend le temps d’aérer le récit documentaire par un vrai talent de croquis pris sur le vif, celui des lieux, des paysages, des habitations. C’est, certes, un livre dans lequel on apprend énormément… A réfléchir, entre autres, à notre monde, en découvrant au fil des pages des tableaux didactiques, mais aussi des vrais témoignages qui nous montrent que bien des gens profitent de ce système. Les sans-papiers qui ont survécu à leur fuite sont ceux qui font fonctionner, en cachette, l’économie de nos beaux pays occidentaux… L’Afrique, sous le regard de Taina Tervonen et le pinceau de Jeff Pourquié se révèle être un continent oublié de l’humanisme, mais pas du rendement ! Et ce livre, qui fait froid dans e dos, nous fait de vraies révélations, chiffrées, de tout ce que les réseaux de migration illégale offrent comme profits, les entreprises de chez nous, les frontières qui se ferment et qui recréent une forme d’esclavage, les industriels de toutes sortes, les fonctionnaires corrompus, en Afrique et à côté de nous aussi…

copyright delcourt

C’est un portrait pessimiste, c’est exact. Mais la scénariste a l’honnêteté de ne pas être manichéenne et de répertorier aussi les espoirs qui existent, légers encore… Elle nous parle de différentes organisations et, mieux encore, de plusieurs personnes, des humains humanistes, qu’elle a rencontrés, avec qui elle a parlé et, ma foi, avec lesquelles elle réussit à encore rêver à quelques ailleurs plus souriants que nos réalités et les silences de nos pays dits démocratique et civilisés…

Jacques et Josiane Schraûwen

A qui profite l’exil (dessin : Jeff Pourquié – scénario : Taina Tervonen – éditeur Delcourt – mArs 2023 – 176 pages)

copyright le lombard

Best Of ROBIN – C’est Parti Mon Shérif !

Les premiers soubresauts de la bande dessinée, tant au niveau du graphisme que du scénario, ont essentiellement choisi l’humour et la déraison… Robin Dubois est incontestablement à situer dans la lignée de cette réalité du neuvième art !

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Loin de moi l’idée, ni l’envie d’ailleurs, de me lancer dans un pensum consacré à l’Histoire de la BD.

Mais ce que je trouve important, en une époque où bien des dessinateurs et des scénaristes, enfin reconnus comme artistes, se cherchent des alibis culturels pour tenter de faire oublier qu’ils sont auteurs de bd, je trouve essentiel, oui, de se souvenir que les « romans graphiques » souvent pompeux et pompants n’existeraient pas sans ce qui fut et reste de la bande dessinée populaire !

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Et, sans aucun doute, le héros dessiné Robin Dubois fait partie intégrante de cet art populaire que j’aime, ici, mettre assez fréquemment en évidence.

Ses auteurs, le scénariste Bob de Groot et le dessinateur Turk, ont dû très certainement adorer Tex Avery, tant leur façon de construire des gags, visuellement, allie la folie, la déraison, la démesure… On se tape dessus, sans se faire trop mal évidemment, on aborde des sujets quotidiens pour mieux en ridiculiser les travers, le trait se fait caricatural pour exprimer des sentiments irréalistes, les grimaces des personnages aiment à accentuer la force d’un gag.

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Ce personnage a vu le jour à la toute fin des années 60, et n’a arrêté de faire rire ses lecteurs qu’en 1998. Faire rire, oui… Vous savez, cette espèce de spontanéité physique dont on dit qu’elle est ce qui différencie l’homme de son environnement… Sans doute cette affirmation est-elle fausse, mais il n’empêche que le rire reste un moyen d’évasion facile et accessible à tout un chacun.

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Et l’homme étant ce qu’il est, le chemin emprunté par Turk et de Groot correspond parfaitement aux routes de l’humour les plus ancrées dans l’âme humaine : le pastiche, la façon détournée d’aborder l’Histoire et d‘en ôter tout sérieux pour mieux la triturer et la rendre absurde, ce qu’elle est déjà le plus souvent naturellement !

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Avant Léonard de Vinci, c’est donc Robin Des Bois que nos deux compères se sont amusés à égratigner…

Loin d’Errol Flynn, de Costner, de Richard Todd, de Sean Connery et même de Disney, le personnage mythique (et ne correspondant que de très loin à l’icône que le cinéma a faite de lui) du héros sans peur et sans reproche est ainsi devenu l’anti-héros de plusieurs centaines de gags déjantés, tout comme son compagnon le stupide shérif, son épouse acariâtre qui n’est pas sans rappeler une certaine cantatrice de la ligne claire, tout comme aussi ce prisonnier à l‘imposante barbe présent presque d’album en album.

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Et donc, voici un best-of… Un choix de cent pages, de cent gags, tout simplement… Inégaux, bien évidemment, le contraire serait impossible, mais tous parfaitement représentatifs de l’humour décalé de ses auteurs, du côté absurde de cette série qui a fait les beaux jours du journal Tintin.

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C’est un album hommage, en quelque sorte. A deux auteurs extrêmement prolifiques, bien sûr, mais aussi à cette bande dessinée aux résultats immédiats, cette bd populaire , c’est-à-dire proche des gens, proche des enfants comme de leurs parents, cette bd qui ne se prend pas au sérieux et qui, de ce fait, devient partie intégrante du plaisir de la lecture… Robin Dubois, ce fut aussi une série plébiscitée par ses lecteurs, grâce au référendum du journal Tintin qui mit par huit fois le tandem Turk-de Groot en première position !

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Un livre sympathique, qui rappellera sans doute pas mal de souvenirs à bien des lecteurs, et qui ne demande qu’à se faire découvrir par de nouveaux fans !…

Jacques et Josiane Schraûwen

Best Of ROBIN – C’est Parti Mon Shérif ! (dessin : Turk – scénario : Bob de Groot – éditeur : Le Lombard – 112 pages – juin 2023)