Guerre – Louis-Ferdinand Céline

Guerre – Louis-Ferdinand Céline

Eh oui, pour une fois, je m’éloigne de la bande dessinée… Mes lectures n’ont rien de « sectaire » ! Et je n’oublie pas, en même temps, que c’est grâce à Tardi que j’ai découvert il y a bien longtemps toute la puissance de Céline ! Et depuis, d’autres auteurs de bd se sont enfouis dans son œuvre, comme Terpant et Dufaux…

copyright Tardi

Ce qui a été « sectaire », par contre, ce sont les événements qui ont empêché ce livre, « Guerre », ainsi que ceux qui vont suivre, de voir le jour…

Ce qui est sectaire, c’est la triste routine doctrinaire de ceux qui voudraient que tout soit noir ou blanc, sans nuances, ni dans les mots ni dans les idées.

Loin de moi l’envie de polémiquer avec ces penseurs sûrs de leur sacro-sainte raison, dans la lignée de ces écrivains qui, à l’instar de Sartre (dont j’aime pas mal de livres…), étaient prêts à voir mourir tous les traîtres à une patrie dont ils s’occupaient peu pendant qu’elle était occupée… Je pense que c’est au Flore que Sartre « résistait »…

copyright nrf

Foin de toute polémique, donc !

D’ailleurs, je n’ai rien d’un de ces « spécialistes » de tout poil qui ont fleuri à la révélation des « nouveaux » anciens livres de L.F. Céline ! Je ne suis qu’un lecteur, et je revendique comme seul moteur à mes chroniques la passion et le « coup de cœur »…

Et pour parler de ces écrits « retrouvés » de Céline, voici une anecdote qui, finalement, donne raison aux jugements plus ou moins violents de Céline (et d’autres, comme Léautaud, ou Sternberg, ou même Béalu, entre autres) sur l’état de notre société.

Je me rends, il y a quelques jours, dans une grande librairie. Je cherche dans les rayons, sans le trouver, « Londres » deuxième volet des écrits retrouvés de Destouches.

Je m’adresse donc à la libraire, et je lui demande de me commander ce livre.

Elle fouille dans son ordinateur, me demande le titre, je le donne, le nom de l’auteur, je réponds « Céline ». Elle lève les yeux, vraiment surprise, et me dit « Céline Dion a écrit un livre sur Londres ?… Je ne le savais pas… »

Ce récit n’a rien d’imaginaire, malheureusement !

L.F. Céline

Ce qui n’a rien d’imaginaire non plus, c’est la vraie présence de Louis-Ferdinand Céline dans ce livre d’une étrange puissance.

Etrange, oui, parce qu’on y découvre, en comparant son rythme, sa logorrhée, ici par rapport à ses livres « officiels », toute la somme de travail qui était la sienne pour arriver à une sorte de perfection dans le langage et ses formes, l’écriture et ses silences, le dialogue et sa personnification.

Dans Guerre, avouons-le, les premières pages manquent de ce souffle… On y sent, oui, un manque de travail… On a la même sensation, ici et là, au fil des pages. Et puis, à d’autres endroits, au contraire, on a la certitude que Céline s’est attardé au feu des phrases, à la diarrhée des mots. Je vais laisser aux exégètes de tout poil le soin de répertorier les feuillets travaillés des autres, chacun ses plaisirs !

copyright nrf

Et mon plaisir a été de retrouver un écrivain somptueux, un écrivain de folie et d’humanité, de pauvreté et de douleurs, de lyrisme et de pornographie.

Il y en a peu (y en a-t-il encore, d’ailleurs ?), des écrivains dans lesquels, lecteurs, on s’enfouit comme emportés par une lame de fond, une lame de son, un orage de cris, un geyser d’émotions triviales et profondément humaines.

Céline est de ceux-là.

Tous les reproches qu’on peut lui faire, qu’on lui a faits et qu’on continue à lui faire ici et là, sont « politiquement » justifiés, c’est vrai. Mais aucun de ces reproches ne touche à la seule qualité dont Céline s’est targué tout au long de sa vie : le style…

Le style, c’est vrai… Mais aussi le fond ! La guerre de 14-18, qui fut une des « obsessions » de Céline, tant par ce qu’elle fut, ce qu’elle LUI fut, que par les conséquences qu’elle eut, sur lui, sur le monde, sur les gens, cette guerre est l’élément central et moteur de ce livre. Mais une guerre lointaine, en quelque sorte, une guerre qu’on entend, toute proche, mais dont on n’a connaissance des horreurs totales que par les souvenirs du protagoniste principal, le narrateur, Céline donc, et les mots, les mots qu’il met dans tous les autres personnages, ombres d’une horreur qui transforme jusqu’au ciel printanier et en fait un fouillis de haines incontrôlées, incontrôlables.

copyright futuropolis

Certes, Céline n’a jamais été humaniste, et certainement pas dans ce « Guerre ».

Médecin, il écrit comme un légiste un peu fou pourrait disséquer un corps qu’il connaît… A la réalité de l’inacceptable se superpose ainsi l’étrange poésie plus qu’érotique de la souvenance.

« Guerre » est un livre dont on sent qu’il n’est pas abouti… Mais c’est là aussi sa force, que de nous restituer ainsi un écrivain attisant les braises de son écriture à la démesure de ses imaginaires nés toujours de ses seules mémoires…

« Guerre » est un livre à lire, sans aucun doute possible, un livre dans lequel se perdre, au rythme d’une musique à aucune autre pareille.

Jacques et Josiane Schraûwen

Guerre (auteur : Louis Ferdinand Céline – éditeur : Gallimard – avril 2022)

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister »

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister »

De la bd qui sent bon les années 90, avec un peu de mélancolie, pas mal de tendresse, et beaucoup d’humour !

copyright Léo Beker

1956. Louison Cresson, dans un tortillard qui traverse avec lenteur la campagne, rejoint son cousin Gaspard, vigneron à Pied-l’Abbé, pour des vacances qui vont lui permettre de retrouver ses amis.

Des amis étranges… Les fantômes des moines qui, il y a bien longtemps, ont vécu dans cette ancienne abbaye, et continuent à la hanter. Mais sans méchanceté, et avec une passion évidente et sans modération pour le bon vin.

De l’autre côté de l’Atlantique, chez l’Oncle Sam, un scientifique construit des ordinateurs pour l’armée, pour « le monde libre » contre les méchants rouges… Et ce scientifique, Chuck Craig en a marre de se sentir prisonnier… Il s’évade, donc, avec comme but d’aller au bout de la fabrication d’un ordinateur extrêmement performant, auquel il veut donner une mission culturelle.

Et c’est en France qu’il débarque, et c’est là, sur la route, déguisé en bon Français, qu’il fait la rencontre de Louison, qui le prend pour Chuck Berry !

L’aventure peut commencer !

copyright Léo Beker

Léo Beker, l’auteur complet de cette série, plonge ses lecteurs dans une époque de guerre froide quelque peu oubliée de nos jours, mais sans lourdeur, que du contraire ! Les allusions à la grande Histoire sont présentes, certes, mais à petites doses, et sans insistance. Bien sûr, on parle encore de la guerre 40-45, des militaires américains, de Mc Carthy aux Etats-Unis, de la guerre d’Algérie. Mais les années 50 ne sont là, en fait, que comme décor, un décor qui permet à Beker de nous le dessiner, justement, avec un plaisir évident : les voitures de cette époque, les vêtements, les infrastructures.

Le style graphique de Léo Beker est, je dirais, hybride… On y trouve de la ligne claire, mais mitonnée par une influence évidente, aussi, de la bd de Charleroi… Et du côté du scénario, il en va de même, on se situe entre Spirou et Tintin.

Et puis, il y a la présence de ces moines fantômes qui apprennent à jouer au foot, provoquant, bien évidemment, des catastrophes ! C’est vrai qu’ils sont moins présents que dans le premier épisode de cette série, mais ils ajoutent du piment à une aventure en y ajoutant un bon morceau de fantastique rigolard…

copyright Léo Beker

Ce que je trouve extrêmement intéressant dans cette série, c’est le portrait qu’elle nous fait à la fois d’un monde proche du nôtre et des gens qui le faisaient vivre au quotidien, le tout avec un humour bon enfant… Bon enfant mais, en même temps, dans ce livre-ci, visionnaire à sa manière… le scénario, en effet, fait la part belle à ce qui est devenu, aujourd’hui, une (triste) réalité : construire un ordinateur capable de « créer » ! Il y a quelques semaines, cette stupidité a pris vie avec un ordinateur qui a « terminé » une symphonie inachevée…

Je parlais aussi de références, et elles sont nombreuses, comme des espèces de jalons pour les lecteurs attentifs… Comment, par exemple, ne pas se souvenir du face à face entre l’homme et la machine dans le film « 2001 Odyssée de l’Espace » en voyant, avec Louison Cresson, un ordinateur souffrir !

copyright Léo Beker

Et puis, cerise sur le gâteau, comme on dit : des pages inédites, qui ajoutent une fin joliment romantique et tout en tolérance ! Et c’est un vrai plaisir que de voir ainsi toute l’évolution du dessin de Beker, et d’avoir envie, dès lors, de le voir se lancer dans autre chose, bientôt, que des rééditions. Cela dit, ne boudons pas notre, plaisir ! Avec Louison Cresson, ces rééditions méritaient, assurément, d’être faites !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister » (auteur : Léo Beker – couleurs : Beatriz Beker – leobekeréditeur – 2022 – 48 pages)

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Avec un dessin puissant, un livre qui nous parle de l’inacceptable… A découvrir jusqu’au 22 octobre dans La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles !

copyright les arènes bd

1942. A Paris a lieu une « rafle », l’arrestation de milliers de Juifs, par la police française. Des Juifs enfermés au « Vel d’hiv » avant d’être envoyés vers d’autres camps, antichambres d’une mort annoncée.

Dans la foule de ces humains, des hommes, des femmes, des enfants. Parmi ces enfants, Joseph Weismann.

C’est lui qu’on rencontre dans ce livre qui nous raconte la grande Histoire à hauteur d’enfance meurtrie à tout jamais.

Après la rafle… Un album inspiré donc par les souvenirs de ce gamin qui a vécu l’horreur de la rafle à Paris, l’horreur de l’enfermement, ensuite, dans un camp en France, à Beaune-la-Rolande, la folie de son évasion, enfin…

copyright les arènes bd

Ce livre, bien plus que le triste film « La Rafle », avec Jean Reno, est une réussite, à tous les niveaux.

Adaptation des souvenirs de Weismann, cet album est surtout un hommage à une mémoire brisée, à un être humain qui, au brasier de ses années, n’a jamais pu oublier et veut porter témoignage du besoin, essentiel, élémentaire même, de résister à l’inacceptable.

Avec un scénario qui n’a rien de linéaire, qui, même, se révèle éclaté, comme l’est toute mémoire humaine, finalement, cet album plonge les lecteurs dans la grande Histoire, celle d’une France oublieuse pendant des dizaines d’années de ce que fut réellement la collaboration : des camps de détention qui n’avaient rien à envier à ceux qui se multipliaient dans le Reich d’Hitler, dans le Loiret, en Alsace aussi, où un four crématoire a même « fonctionné » !

Laurent Bidot: le scénario

Deux enfants, perdus dans une guerre à laquelle ils ne peuvent rien comprendre, sont les axes centraux de ce livre de mémoire…

Laurent Bidot: l’Histoire

Mémoire historique, oui, mémoire émotionnelle surtout. Et pour en faire les héros tangibles de ce livre, pour être fidèles aux souvenances de l’enfant Joseph Weismann, Laurent Bidot et Arnaud Delalande ont décidé de tout raconter, par les mots et le graphisme, à hauteur de l’enfance… Une enfance dessinée, ainsi, portant sur le monde qui les entoure, le monde des adultes, le monde des grands, un regard extrêmement attachant.

Laurent Bidot: la mémoire

Et à Bruxelles, donc, c’est ce livre important qui se révèle et s’expose. Un livre que tout monde devrait avoir lu, et faire lire… Un livre qui se montre au travers des dessins de Laurent Bidot, un dessinateur qui a choisi un travail sur le noir et blanc proche de l’expressionnisme allemand pour rendre compte et souvenance d’un « inacceptable » répugnant.

copyright les arènes bd
Laurent Bidot: le dessin

Pour nous donner à voir l’horreur d’un quotidien français que l’Histoire officielle ne remet en lumière que depuis très peu de temps, Bidot choisit la voie de la pudeur et de l’émotion. Totalement dessiné de manière très classique, pour rendre clair et lisible le scénario éclaté, ce livre n’a rien d’un travail de seul délassement, et on sent, face aux cimaises où sont accrochées les planches originales, tout l’engagement qui a été celui de l’artiste.

Laurent Bidot: la pudeur

Ce livre, en fait, c’est un regard… Et même si l’album est paru en couleurs, des couleurs d’ailleurs parfaitement réussies, on ne peut qu’être éblouis par la technique du noir et blanc de ce dessinateur habité véritablement par son sujet. Et éblouis aussi par la fusion tangible entre le témoin, Weismann, le scénariste Arnaud Delalande, et le dessinateur Laurent Bidot… Le tout orchestré, dans le livre, par la couleur de Clémence Jollois.

Laurent Bidot: la couleur

Un livre et une exposition à ne pas rater, donc…

copyright les arènes bd

Jacques et Josiane Schraûwen

Après La Rafle (dessin : Laurent Bidot – scénario : Arnaud Delalande – couleur : Clémence Jollois – éditeur : Les Arènes BD – janvier 2022 – 124 pages)

 Exposition jusqu’au 22 octobre des dessins de Laurent Bidot – La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles