Scotland : épisode 1 – Une nouvelle aventure fantastique de Kathy Austin

Scotland : épisode 1 – Une nouvelle aventure fantastique de Kathy Austin

Kenya, Amazonie et Namibie ont déjà servi d’écrin à cette femme agent secret britannique. De mission en mission, elle s’est affirmée ainsi comme une héroïne humaine d’une saga qui pose sans cesse la question de l’ailleurs et de l’après !

copyright Dargaud

Les scénaristes Rodolphe et Leo usent d’une belle complicité pour nous présenter un livre qui prend son temps pour installer, plus qu’une ambiance, une trame dramatique prenante. En une époque où la vitesse devient la règle du formatage humain, il est réjouissant, tout compte fait, de voir des auteurs laisser leurs personnages prendre lentement vie, à leur propre rythme.

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Kathy Austin se rend en Ecosse, pour s’occuper du manoir de sa tante décédée, et profiter aussi d’un petit repos bien mérité… Mais, en même temps, elle est là, en mission… Une mission qui va peu à peu prendre de nouvelles proportions. Le manoir a brûlé, de manière suspecte, la tante est morte avec la terreur imprimée à même le visage, Kathy fait la rencontre d’un spécialiste à la fois de Bram Stoker et des « crop circles », ces étranges dessins qui, un peu partout sur terre, ne sont visibles dans leur complexité qu’à partir du ciel. Et pour Kathy, ainsi, ce sont les retrouvailles avec ces questions quelle poursuit depuis pas mal de temps : l’Homme est-il seul sur Terre… ou ailleurs ?

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Il est évident que Leo et Rodolphe connaissent leur métier, savent construire une intrigue, savent surtout s’y faire rencontrer des personnages variés qui n’ont rien de caricatural et qui, tous, ont une véritable existence, une belle véracité. Ils aiment plus particulièrement, dans ce premier opus d’une série pleine de promesses, rendre compte d’un environnement et d’une époque avec fidélité. L’Ecosse de la fin des années 40, avec ses personnages, ses architectures, ses paysages, ses voitures, son whisky et ses légendes, tout cela crée bien plus qu’un simple décor : il s’agit peut-être bien du premier personnage de ce livre !

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Cela dit, ces deux scénaristes connaissent les codes du récit dans lequel ils nous entraînent. Les codes pluriels, ai-je envie de dire, puisque plusieurs styles, plusieurs genres se mélangent au fil des pages.

Il y a du romantisme… Il y a du roman d’espionnage et du polar, il y a du fantastique et de la science-fiction… Et ces différentes combinaisons du récit cohabitent avec naturel !

Cela se fait, dans ce premier volume, par petites touches… En guise de fantastique, on y parle de fantômes, de « petit peuple », de références, ainsi, à des légendes celtiques. En guise d’espionnage, il y a un russe, un ancien nazi… En guise de polar, une enquête menée par une jeune policier charmant et charmeur…. Quant au romantisme, il se situe dans les souvenirs de l’héroïne, souvenances émues et douloureuses de son premier amour…

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Personne, en fait, dans ce livre, n’est ce à quoi il ressemble. Les apparences formelles cachent, plus que des failles, des secrètes meurtrissures qui vont, on le sent, faire de cette série, « Scotland », une histoire de laquelle personne ne sortira vraiment indemne.

Avec Rodolphe, également, une grande place est toujours faite au « passé »… Un passé qui, pour horrible qu’il ait été, ne meurt jamais, ne s’enfouit jamais aux méandres du néant. Certes, il y a la guerre 40-45, encore très proche. Mais il y a aussi les rêveries de Kathy et le manque qu’elle ressent de Lindsey, ce garçon qu’elle a aimé et auquel elle n’a jamais été capable de l’avouer… Et c’est cet amour disparu et cependant profondément présent qui, insensiblement, devient le vrai moteur du récit !

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Le dessin de Marchal est d’un réalisme classique, tout comme la couleur de Sébastien Bouët. Et c’est exactement ce qu’il fallait pour rendre palpable le monde décrit et raconté dans cette série naissante. Marchal, en outre, s’amuse à quelques références, à quelques clins d’œil au fil des pages… Des personnages secondaires prennent les traits de Brejnev, ou de Hardy, voire de Poirot… entre autres.

Et j’ai tout particulièrement aimé le dernier dessin de ce premier album, hommage extrêmement réussi à l’immense Bernie Wrightson.

Comme dans la bonne bande dessinée belgo-française, cet épisode 1 se termine sur un point d’interrogation ! Sur l’envie créée de vite, très vite, découvrir la suite des aventures mystérieuses et réalistes de la belle Kathy !

Jacques et Josiane Schraûwen

Scotland : épisode 1 – Une nouvelle aventure fantastique de Kathy Austin (dessin : Bertrand Marchal – scénario : Leo et Rodolphe – couleurs : Sébastien Bouët – éditeur : Dargaud – 48 pages – mars 2022)

Pin-Up – La French Touch – volume 3

Pin-Up – La French Touch – volume 3

Un peu d’érotisme… Un peu de douceur de vivre… Pour le plaisir des yeux !…

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L’art de la Pin-Up a sans doute connu son apogée pendant la deuxième guerre mondiale, avec cette manière qu’avaient les aviateurs américains de personnaliser leurs avions, avec des dessins de femmes plus ou moins dénudées, plutôt plus que moins… comme pour se protéger symboliquement des affres de la mort par les douceurs de l’amour.

Et cette réalité a connu un essor aux Etats Unis comme en Europe tout au long des années qui ont suivi, avec des artistes comme Elvgren, Aslan, Cuvelier, présents dans  les revues pour hommes que l’on  disait, à juste titre souvent, de charme… Les pin-up dessinées des années trente, dans des revues friponnes, se sont ainsi vues continuées avec moins de friponnerie et bien plus d’érotisme, voire plus !

Cela dit, cet art d’épingler d’accortes demoiselles pour embellir un mur date d’il y a bien plus longtemps encore. Ne pourrait-on pas dire par exemple que les fresques retrouvées dans les villas romaines à Pompéi et ailleurs étaient déjà représentatives de ce plaisir que l’être humain a et aura toujours de pouvoir admirer la beauté dans ce qu’elle a de plus féminin, et de pouvoir le faire dans l’immédiateté de son lieu de vie.

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Patrick Hitte s’inscrit résolument dans cette tradition de la Pin-Up. Son talent est de s’inspirer directement de femmes connues pour nous offrir des visions érotisées de leur présence médiatique. Bien entendu, il y a Marilyn Monroe dont le visage emblématique revêt depuis longtemps déjà une forme d’éternité. Mais il y a aussi dans cet album des femmes comme Audrey Hepburn, il y a aussi comme des hommages à de bons vieux films de science-fiction des années 50 ou même à des séries télévisées très actuelles.

Il y a également de la part de Patrick Hitte un besoin naturel de rendre hommage à des tas d’autres dessinateurs : Benjamin Rabier, Bernie Whrigtson, Berthet, Beardsley, et, bien entendu, Manara.

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Le moteur de toute existence n’est-il pas cette vérité universelle qui fait que seul le désir peut permettre à la vie de s’émerveiller elle-même ? L’érotisme en tous cas, bien plus qu’un simple appel à la rêverie charnelle, s’adresse directement à ce qui construit l’être humain : le bonheur de découvrir la beauté là où elle se trouve, c’est-à-dire d’abord et avant tout, dans le corps.

Et Patrick Hitte le fait admirablement bien, avec un manque total de vulgarité. C’est à la femme rêvée qu’il rend hommage avec de l’humour, avec une façon de mélanger les styles graphiques qui fait qu’on se promène dans son livre calmement, sereinement, érotiquement…

Et c’est vrai que la vulgarité n’a pas sa place dans son travail, et j’aime cette manière qu’il a d’axer ses dessins, très souvent, autour des regards de ses modèles. Regarder une de ses Pin-Up, c’est se sentir observé autant qu’observateur. Il y a ainsi une vraie connivence créée par le dessin, noir et blanc ou en couleur, un lien souriant et presque intime entre le lecteur et l’auteur, entre la fille de papier et la réalité du rêve.

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Vous l’aurez compris, l’art de la Pin-Up, est loin, très loin de disparaître et il y a un vrai bonheur à vouloir ne pas bouder son plaisir en aimant tout simplement se promener, de page en page, dans le monde de Patrick Hitte, un monde fait pour que le quotidien s’embellisse de 1001 féminines torpeurs. Et regarder ses femmes dépendant des canons de la beauté, cela peut, et devrait en tout cas, permettre à tout un chacun de savoir redécouvrir, avec les yeux de l’amour, des beautés moins formelles mais, finalement, bien plus érotiques parce que réelles…

Jacques et Josiane Schraûwen

Pin-Up – La French Touch – volume 3 (auteur : Patrick Hitte – éditeur : Paquet –  64 pages – octobre 2021)

Guy – un film étonnant aux envoûtements tranquilles…

Guy – un film étonnant aux envoûtements tranquilles…

Oui, voici une chronique qui n’a strictement rien à voir avec la BD ! Mais ne vous en étonnez pas, pas trop en tout cas.

Au profond de ce site, je parle essentiellement, il est vrai, de bande dessinée. Mais ce qui m’intéresse, dans la vie, de plus en plus, c’est de partager mes coups de cœur, nés du hasard bien souvent. Et ce film, qui date de 2018, en fait partie, croyez-moi !

copyright Lutz

Le temps ne nous a pas permis, à mon épouse et moi, de reprendre avec passion les chemins des salles obscures. Ce qui nous y attirait, jeunes mariés, c’étaient des films d’auteur… Bunuel et les charmes cyniques de sa bourgeoisie, Zulawski et ses œuvres hystériques et largement surfaites, les Kurosawa, les Fellini, les Bergman, les films de Deville…

Les années passant, pour mille et une raisons, c’est chez nous, sur notre petit écran, que nous avons continué à suivre l’évolution du cinéma. Enfin, quand je dis « évolution », c’est pour ne pas utiliser un terme plus cru ! Avec, quand même, l’utilisation des VHS et des DVD !

Mais on avait envie, vraiment, profondément, non pas de retrouver notre jeunesse, mais de retrouver le plaisir de la découverte en allant voir des films « différents », sans super-héros, sans scénarios tous semblables, sans « remake » imbéciles du style du pitoyable West Side Story…

Et GUY faisait partie des films qu’on a eu envie de voir, grâce aux bandes annonces, grâce à son thème qui lorgnait vers certaines techniques narratives de Godard, avant qu’il se prenne pour lui-même. Et puis, ce titre nous faisait penser à un ami, un vrai, toujours présent dans nos conversations de vieux couple malgré sa mort…

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Et donc, ce film a été télévisé, hier soir, sur la troisième chaîne de la rtbf.

Je me dois de faire un aveu, d’abord… Depuis le 18 mai dernier, la télévision ne fait plus du tout partie de mes quotidiens. Je n’ai plus réussi à regarder sur mon petit écran (pas si petit que ça…) une émission complète, un film jusqu’à sa fin, voire même un match de foot…

Et hier soir, dans mon fauteuil, je m’attendais à la même chose, à une lassitude rapide, à du zapping fatigué et fatigant.

Eh bien, ce ne fut pas le cas ! Le thème de ce film, son choix dans la construction, dans le découpage, ses interprétations surprenantes, l’utilisation d’une caméra subjective, tout cela réussit, de bout en bout, et sans final attendu, à créer une ambiance, d’une part, à tracer le portrait du vieillissement humain, d’autre part, à montrer aussi et sans aucun jugement de valeur l’importance que la chanson a dans la vie de tous les jours et de tout un chacun.

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Le thème est d’une belle simplicité

Gauthier, un jeune homme, a appris, à la mort de sa mère, qui était son père… Guy Jamet, chanteur qui eut ses succès importants dans les années 60-90. Et ce jeune homme va, sous le prétexte d’un documentaire, chercher à découvrir qui est ce père qui ne le connaît pas. Et ce sans lui dire jamais ce secret qui devrait ou qui pourrait pourtant les réunir.

Mais nous ne sommes pas dans un cinéma romantico-feel-good. Nous ne sommes pas dans du polar, non plus.

C’est un film-portrait… Ou plutôt, c’est un film qui parvient à dresser le portrait d’un homme au travers d’une suite de tranches de vie. Et, ce faisant, à esquisser en même temps le double paysage d’une époque révolue d’abord, celle la jeunesse de ce chanteur, et celui du monde actuel, ensuite, et de ses oublis.

France – 1h41 – sortie 29 aožt 2018 – 2018 – RŽalisateur: Alex Lutz – ScŽnaristes: Alex Lutz – Ana•s Deban – Thibault Segouin – LEGENDE PHOTO: Julien Clerc – Dani – Alex Lutz – AVEC: Alex Lutz: Guy – Dani: Anne-Marie – Julien Clerc –

On peut se dire que, de nos jours, la chanson est de plus en plus formatée… On peut se rappeler que, comme le dit Julien Clerc, la génération des chanteurs que représente, à sa manière, le personnage central de ce film, était une génération de femmes et d’hommes de scène beaucoup plus que de disques…  Julien Clerc, d’ailleurs, qui fait plus qu’une apparition dans ce film, le disait il y a peu dans une interview. Mais ce film d’Alex Lutz n’a rien de nostalgique. Il dresse un état des lieux, en quelque sorte, et, spectateurs, on ne peut que penser, au travers du personnage du chanteur Guy Jamet, à celles et ceux dont les musiques et les mots continuent à nous accompagner tout au long de notre vie… Comme Jean-Claude Rémy par exemple, qui fit l’objet d’une bd à ne pas rater de Didier Tronchet.

https://bd-chroniques.be/index.php/2020/11/16/le-chanteur-perdu/

https://bd-chroniques.be/index.php/2022/05/27/petit-eloge-de-la-chanson-francaise/

A sa sortie, je me rappelle que tous les médias ont mis en évidence la qualité exceptionnelle de l’interprétation d’Alex Lutz, acteur et réalisateur. Et c’est vrai qu’est fabuleuse sa façon de faire vivre un chanteur qu’on pense has been mais qui a toujours un vrai public, physiquement, dans ses mimiques, dans les mouvements incessants de sa bouche. C’est vrai aussi qu’Alex Lutz nous surprend par la vérité des chansons qu’il chante… Avec Julien Clerc, avec Dany… Et son interprétation extrêmement retenue de « Montréal » de Charlebois est un petit bijou.

Je n’irais pas jusqu’à dire que tout cela est superflu. Mais tout cela n’est là que pour mettre en évidence un homme, qui se sait artiste sans spécialement en avoir le don ou le talent, un homme qui a conscience de ses failles, un homme qui a aimé et qui continue à vouloir être aimé… Les présences sur l’écran de Nicole Calfan et Dany, à ce titre, réussissent la magie de faire comprendre ce que furent leurs passés communs avec une pudeur exemplaire, et sans aucun voyeurisme. Une fameuse gageure réussie alors que le traitement de ce film, la caméra-reportage dans tous les plans, était propice à une approche sans relief d’une réalité humaine particulière.

copyright Lutz

Un film qu’on aime, c’est toujours la résultante de mille et un hasards.

C’est aussi la rencontre que, spectateur, on fait avec des femmes et des hommes de chair et de sang qui, d’évidence, nous ressemblent ou expriment les sentiments que nous ressentons.

« Guy », c’est le miroir de nos âges, c’est un film qui parle bien plus de la mort que de la mode, qui raconte de l’amour les errances et les arcs-en-ciel, c’est un film sur la vieillesse qui na rien de décrépit, ni de pitoyable…

« Guy », c’est un film dans lequel je me suis plongé avec le plaisir de l’amertume, le bonheur de la mémoire et la tristesse de toute absence… Un film superbement réussi ! Et que j’aurais tant aimé regarder avec mon épouse.

Jacques et Josiane Schraûwen

Guy, un film de et avec Alex Lutz de 2018