Blake et Mortimer : Le Testament De William S. – Un nouvel album et une exposition à Bruxelles

Le testament de William S. – © édition

Blake et Mortimer continuent leur petit bonhomme de chemin, sous la houlette de Juillard et Sente, et ils s’exposent à la galerie Champaka à Bruxelles, jusqu’au 7 janvier 2017.

 

Le testament de William S. – © éditions Blake et Mortimer

Yves Sente est un scénariste qui connaît son métier, qui est capable aussi de s’intégrer totalement dans des univers créés par d’autres. Il le prouve avec Blake et Mortimer depuis un certain temps, avec un succès ma foi mérité.

André Juillard, quant à lui, fait partie de l’Histoire de la bande dessinée. La manière qui fut la sienne d’aborder la grande Histoire, avec entre autres  » Les sept vies de l’épervier « , a été un tournant important dans la narration historique du neuvième art, c’est une évidence.

Et c’est ensemble qu’ils parviennent à rendre vie à des héros mythiques de la bd, avec un respect total des codes qui furent ceux de Jacobs.

Cela dit, dans cet album-ci, même si ces fameux codes sont bien présents, le récit, lui, me paraît plus intemporel… Bien sûr, on se trouve en 1958, et cela se remarque dans certains décors, dans les voitures aussi. Mais le côté intimiste du scénario, la nécessité qui fut celle de Juillard de faire énormément de scènes d’intérieur, tout cela rend plus actuel cet album. On a l’impression, souvent, au fil des pages, que l’histoire qui nous y est racontée pourrait se vivre aujourd’hui.

Une impression que je vous invite d’ailleurs, à découvrir aux cimaises de la galerie Champaka à Bruxelles, jusqu’au 7 janvier prochain…

Yves Sente: un album intimiste et artistique

André Juillard: l’intemporalité

Le testament de William S. – © éditions Blake et Mortimer

L’histoire aurait plu, sans aucun doute, à Agatha Christie. On parle de Shakespeare, de Venise, de théâtre, de mystères autour de la véritable identité du dramaturge anglais, on passe d’un siècle à un autre… On enquête, surtout, d’énigme en énigme, pour arriver à découvrir qui était Shakespeare d’une part, et un texte inédit rédigé peu avant sa mort.

Le scénario de Yves Sente, du coup, se fait extrêmement artistique, littéraire, et André Juillard s’amuse à mettre sur les murs de ses personnages des œuvres picturales qui font penser à Arp, à Mondrian…

Bien sûr, il y a des méchants, des vrais, comme Olrik, mais qui, ici, n’a qu’un rôle très secondaire. Il y a aussi une enquête concernant un autre héritage, et, surtout, une bande de jeunes voyous…

Mais c’est vraiment l’art et la culture, tout compte fait, qui sont au centre de l’intrigue de cet album.

Et pour construire cette intrigue, Yves Sente, évidemment, a respecté intégralement les codes de Jacobs. Les textes sont nombreux, ils occupent un espace très important, ils racontent en quelque sorte ce qui se passe entre deux vignettes, entre deux dessins, entre deux pages.  Il y a un côté vieillot, certes, dans cette manière de travailler, dans cette manière de construire un album bd. Mais ce côté vieillot, vintage diraient certains, ne manque cependant pas d’intérêt, à partir du moment où, lecteur, on accepte de prendre le temps de faire autre chose que regarder uniquement les dessins.

Yves Sente: l’écriture

André Juillard: le dessin

Exposition chez Champaka – © Juillard

Ce qui est intéressant aussi, dans cet album, c’est que Mortimer et Blake suivent tous les deux une enquête différente. Blake à Londres pourchasse les jeunes truands qui attaquent le soir venu des riches passants, et Mortimer, lui, cherche à résoudre, en très agréable compagnie, le mystère de Shakespeare.

Un des éléments qui change aussi, dans ce  » Testament « , de ce que les lecteurs fidèles de Jacobs ont connu, c’est la présence importante d’un élément féminin, d’une jeune femme, oui, qui occupe un large espace, et sans laquelle, d’ailleurs, les énigmes successives menant à la résolution du mystère n’auraient pas été résolues.

Et puis, il y a, par petites touches, quelques révélations sur le passé de Mortimer. Son passé amoureux, même !

André Juillard: un personnage féminin

Exposition chez Champaka – © Juillard

Au-delà de ces quelques modernisations, j’ai aussi été assez surpris, dans le bon sens du terme, par la construction en tant que telle de cet album. Jacobs, tous ses fans le savent, préférait, et de loin, l’opéra à la bande dessinée. L’opéra, ses décors et ses voix qui portent, ses longues tirades chantées et donc littéraires. Son obligation de démesure théâtrale, aussi.

Et Yves Sente, secondé graphiquement dans le même sens par André Juillard, a élaboré son scénario de façon, justement, très proche du théâtre et de l’opéra. Il y a des dialogues, il y a des chœurs, il y a des décors qui changent, de Londres à Venise, de Venise à la campagne britannique… Un peu comme si les auteurs de ce  » Testament  » avaient voulu rendre hommage à un Jacobs qui n’était pas uniquement dessinateur.

Yves Sente: un scénario théâtral

Exposition chez Champaka – © Juillard

Bien sûr, Blake et Mortimer ne sont pas des héros d’aujourd’hui. Avec eux, pas de grandes bagarres, pas de décors somptueux, pas d’envolées lyriques, mais un côté très « british », très désuet parfois. Et dans cet album-ci comme dans les précédents d’ailleurs de nos deux compères, le respect à l’œuvre originelle ne souffre aucune dérive, c’est évident. Mais il y a un vrai charme à la lecture d’un tel livre, un charme pour les nostalgiques d’une bd qui prenait le temps en écriture comme en dessin, pour les amoureux de la ligne claire, aussi, pour les amateurs de l’art graphique de Juillard, également. Et, finalement, pour ceux qui aiment les enquêtes policières bien ficelées.

La BD est multiforme, et c’est toujours un plaisir que de pouvoir se plonger aussi dans des récits qui se conjuguent dans une certaine tradition…

 

Jacques Schraûwen

Blake et Mortimer : Le Testament De William S. (dessinateur : André Juillard – scénariste : Yves Sente – couleur : Madeleine Demille – éditeur : Blake et Mortimer)

Exposition à la galerie Champaka jusqu’au 7 janvier 2017 (rue Ernest Allard – 1000 Bruxelles)

 

Thorgal : 35. Le feu écarlate

Le retour de Thorgal, avec un nouveau scénariste, Xavier Dorison : du sang neuf pour une série qui réussit –à nouveau- à surprendre, à émerveiller !…

 

le feu écarlate – © Le Lombard

Thorgal continue sa quête : retrouver son fils Aniel, enlevé par des sorciers qui voient en lui la réincarnation du Grand Maître de leur ordre. C’est dans la ville de Bag Dadh, assiégée, qu’il le retrouve enfin. Mais l’enfant muet, sous la houlette des magiciens rouges, a retrouvé la parole et se révèle sans pitié pour qui que ce soit, riche d’un pouvoir qui fait du feu son allié les plus cruel.

A partir de ce canevas tout compte fait dans la lignée de Van Hamme et Sente, on aurait pu s’attendre à un album de plus parlant de pouvoir, de luttes pour la possession et la richesse, quelles que soient les formes que peuvent prendre ces réalités toujours présentes dans les scénarios de Van Hamme.

Mais ici, c’est Xavier Dorison qui s’attaque à cette bd mythique dont l’âge approche des 40 printemps. On lui doit déjà quelques séries de première qualité, comme le superbe Undertaker, l’étonnant HSE, le puissant Asgard… Et son entrée dans l’univers de Thorgal est à la hauteur de ses scénarios précédents, sans aucun doute possible !

On sent même, dans le suivi de cet album, dans sa construction graphique, dans la place que prennent les mots de page en page, on ressent que les deux auteurs, Rosinski, dessinateur réaliste exceptionnel, et Dorison, scénariste multiforme, on devine, oui, qu’ils ont acquis au cours de leur travail artistique une belle complicité.

Grzegorz Rosinski: le scénario

Xavier Dorison: le travail avec Rosinski

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le feu écarlate – © Le Lombard

Je le disais, avec Dorison, pas question de tomber dans les travers et les routines chères à d’autres scénaristes. Pas, non plus, fort heureusement, d’absence de fidélité à l’égard du personnage repris. C’est bien de Thorgal qu’il nous fait suivre les aventures, un Thorgal qui se retrouve en combat, non seulement pour sa survie et celle de ceux qu’il aime, mais aussi contre une évidente forme d’obscurantisme, d’intégrismes religieux, pluriels dans cet album comme dans la réalité d’hier et d’aujourd’hui.

Cependant, au-delà de cette lutte, au-delà des péripéties aventureuses qui émaillent cet album, au-delà de la violence, de la mort, de la trahison, de la haine, de la rédemption impossible, ce qui sous-tend ce  » Feu écarlate « , c’est le côté humain de Thorgal. On le découvre prisonnier, meurtri moins dans le corps que dans l’âme. On le découvre aussi et surtout en recherche d’amour… Amour paternel à donner, amour filial à recevoir…

Parce que, finalement, c’est bien cela qui forme la vraie trame de ce livre : les relations entre un père et son fils, pris tous deux dans les remous d’une Histoire qui les dépasse et les oblige à s’opposer, à briser aussi les miroirs invisibles qui ne leur renvoient jamais que des débris de reflets d’eux-mêmes.

 

le feu écarlate – © Le Lombard

Rosinski est un des dessinateurs essentiels dans l’histoire de la bande dessinée réaliste de ces quarante dernières années, personne ne peut le nier. Un artiste complet qui, dans cet album, a joué avec la couleur.

Le rouge, couleur du sang, de la haine, de la violence, de la guerre est présent dans chaque planche. Progressivement, cette couleur qui est celle du feu donnant son titre à l’album, finit même par occuper pratiquement tout l’espace.

C’est vrai qu’en ouvrant le livre, on est immédiatement frappé par cette teinte puissante et omniprésente, très lumineuse, très flashy même… Frappé, étonné, déstabilisé… Mais très vite, on entre dans l’histoire qui nous est racontée également grâce à cette couleur et à ses remous continuels, à ses mouvances, à ses mouvements même, parfaitement maîtrisés par l’art de Rosinski.

Ce qui m’a marqué aussi, à la lecture de ce  » Feu écarlate « , c’est la manière dont Rosinski s’est approprié, plus me semble-t-il que dans ses précédents albums, son héros vieillissant. Les traits sont burinés, marqués, ils sont ceux d’un homme qui a souffert et qui ne le cache pas, ils sont ceux d’un héros qui fait preuve de fragilité. En même temps, la manière dont Rosinski s’approche au plus près du regard de Thorgal, et des yeux également de ses autres personnages, cette façon de nous accrocher à des regards variés participe à la puissance du récit et, surtout, au fait que chaque lecteur se sente presque en dialogue avec Thorgal…

Grzegorz Rosinski: la couleur

Grzegorz Rosinski: le dessin 

le feu écarlate – © Le Lombard

En commençant à lire ce livre, j’ai eu peur, je l’avoue, d’être obligé de me replonger dans les cinq précédents opus pour pouvoir ne pas me perdre en cours de route.

Mais là aussi, Dorison, tout de suite, a réussi à innover.

Sans être un one-shot,  » Le feu écarlate « , grâce au résumé qui se trouve en début d’album, grâce aussi à la fluidité du récit, à la construction de cette histoire, cet album, oui, on y pénètre sans aucune difficulté. C’est là une rupture avec ce qu’était cette série jusqu’ici, une rupture qui mérite d’être soulignée, et qui est la preuve d’un respect que les auteurs ont, tous deux, pour leurs lecteurs, anciens ou nouveaux !

le feu écarlate – © Le Lombard

Thorgal est une série mythique de la bd réaliste. Rosinski en est depuis toujours le maître d’œuvre incontestable et incontesté. Et ici, avec ce  » Feu écarlate « , il réussit encore à nous étonner, par la magie de sa couleur, lumineuse, essentielle, par la présence presque charnelle de son trait… Et si cet album nous étonne, m’étonne en tout cas, c’est aussi parce qu’il ne se contente pas de ronronner dans des habitudes par trop routinières. Et là, toute la grâce en revient à Dorison qui fait de Thorgal un héros de plus en plus moderne, tout en restant aussi un merveilleux personnage de tragédie !

 

Jacques Schraûwen

Thorgal : 35. Le feu écarlate (dessin Grzegorz Rosinski – scénario : Xavier Dorison – éditeur : Le Lombard – novembre 2016) Images:le feu écarlate – © Le Lombard