Le Diable Et Coral – Du fantastique sans outrances pour une bd enthousiasmante !

Le Diable Et Coral – Du fantastique sans outrances pour une bd enthousiasmante !

Loin des bd fantastiques à l’américaine ou à la japonaise, voici un album qui s’enfouit dans notre culture européenne.

copyright dargaud

Un dessinateur qui se fait scénariste pour la première fois et qui réussit son coup, cela se souligne… Un album qui s’aventure dans les méandres du fantastique sans rien emprunter à ces modes répétitives venues de l’autre côté de l’Atlantique, cela s’applaudit ! Et donc, oui, j’ai un grand coup de cœur pour ce livre, je l’écris haut et fort!

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L’histoire que nous raconte cet album foisonne de situations, de rebondissements même… Ce récit nous emmène à Prague, peu de temps avant la guerre 40-45. Coral Loew a 19 ans. Elle est fille de rabbin. Et elle est seule à voir, à ses côtés, le diable… A le voir, et à parler avec lui. Et tout ce livre va nous raconter ce long dialogue entre une jeune fille juive et un Satan ricanant, entre ces deux notions antinomiques et, finalement, très proches l’une de l’autre: le bien et le mal.

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Ce récit, disons-le sans ambages, est très littéraire, il est également ancré à la réalité historique qui en est la trame, en quelque sorte, cette réalité qui voit Hitler s’installer dans l’actualité en tant que représentant du mal face aux démissions des représentants du bien…

Homs: le bien et le mal

Je ne vais pas vous raconter par le menu tout ce que ce dialogue va révéler, à la fois de la personnalité des deux protagonistes, le diable et Coral, à la fois d’une époque, cette montée inexorable du nazisme, à la fois de thématiques qui, qu’on le veuille ou non, se révèlent universelles. Ce livre, je le disais, foisonne de thèmes profondément humains, usant du fantastique comme vecteur d’émotions très réalistes.

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Tous les temps, finalement, se ressemblent, dans la mesure où la violence humaine et ses idéologies engendrent toujours les mêmes effets, dans la mesure où l’idéologie continue, inlassablement, à se faire horreur et mort. Ne sommes-nous pas, aujourd’hui, tributaires également de ces discours qui mettent en face en face les idées que l’on se fait du bien et celles que l’on se fait du mal ?

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Je dis, et je répète, que cet album est résolument « fantastique ». Tout commence, d’ailleurs, par une phrase de Baudelaire : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas »… Et ce livre nous montre un diable qui s’amuse, qui use et abuse de faux-semblants, de tricheries, mais qui s’ancre résolument dans la tradition européenne du genre fantastique, un genre qui a permis à bien des artistes, écrivains, peintres, cinéastes, de nous parler de nous-mêmes, de nos failles, de tout ce qui, dans le quotidien le plus banal, peut faire déraper la réalité…

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Je pense à Gustav Meyrinck, auteur du Golem, à Goethe et à son Faust… Les monstres existent dans cette littérature européenne, dans ce livre aussi, donc, mais ils n’ont pas de super pouvoirs ! Et c’est pour respecter ces codes européens que Homs, l’auteur de cet album, construit sa narration comme un roman, avec des chapitres qui se suivent et dessinent l’histoire progressivement.

Homs: comme un roman

On pourrait avoir peur que ce côté littéraire ne nuise à la lecture. Mais il n’en est rien. Le rythme du récit est soutenu, grâce à un découpage qui joue avec les perspectives, grâce à un dessin réaliste d’une vraie puissance, grâce aussi au talent omniprésent de coloriste de l’auteur…

Homs: la couleur

Le diable et le mal sont partout, et prennent mille et un visages… Et Homs n’évite pas, fort heureusement d’ailleurs, de nous parler de sorcellerie, d’exorcisme aussi, avec une scène qui rappelle le film de William Friedkin. Homs ne cherche pas non plus à donner une morale à ce qui, cependant, reste une fable… Une fable terrible, une fable dans laquelle l’humour est présent, une fable dont les éléments sont universels parce qu’humains, d’abord et avant tout.  

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Et je ne peux terminer cette chronique que par une citation de Mikhaïl Boulgakov : « Que ferait ton bien si le mal n’existait pas et à quoi ressemblerait la terre si les ombres disparaissaient » ! Ce livre appartient, ainsi, tant à la lumière qu’à l’ombre, et sa lecture est un vrai délice, parfois souriant, parfois pervers, toujours passionnant !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Diable Et Coral (auteur : Homs – éditeur : Dargaud – avril 2025 – 110 pages)

Pompéi – 1. Assa

Pompéi – 1. Assa

Un péplum de plus ?… Non… Plutôt une aventure humaine en une époque précise, une aventure condamnée, le lecteur le sait, à finir sous une lave sans âme…

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Il faut, dans la vie, comme dans ses lectures, être éclectique ! Et j’aime passer de livre en livre tout en m’aventurant dans des univers différents. Et l’Histoire, la grande histoire, peut souvent apporter, en bande dessinée, des ouvertures narratives intéressantes, lorsqu’elles prennent le temps, simplement, de laisser parler l’imagination tout en respectant les réalités historiques du récit.

copyright anspach

Et donc, j’ai aimé découvrir cette série naissante, qui a comme cadre Pompéi juste avant l’éruption du Vésuve, en 79 après Jésus-Christ. L’originalité de cette série va résider, déjà, dans le fait que chaque album sera à lire comme un one-shot. Chaque tome, en effet, sera consacré à un seul destin, un homme ou une femme enferrés dans les réalités d’une ville aux codes sociaux bien établis, juste avant que le volcan ne détruise tout.

copyright anspach

Ce premier volume met en scène Assa, esclave d’un riche notable, amoureuse du fils de ce dernier, et, de ce fait, revendue dans un lupanar par un père qui ne veut pas de mésalliance ! Pour Rudi Miel, co-scénariste, il s’agit à la fois de ne pas cacher ce qu’était la réalité de Pompéi, mais, en même temps, de parler de sentiments universels.

Rudi Miel

Des réalités et des sentiments universels, oui, et qui, de page en page, éveillent des échos très contemporains. Très proches, donc, de nos propres questionnements quant à la vengeance, l’amour, la haine, la trahison, le monde adulte bien installé et tellement sûr de lui…

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Dans ce livre, on dépasse ainsi, par petites touches, une sorte de Roméo et Juliette qui n’auront pas besoin de se suicider, dans la mesure où les cendres et la lave s’en occuperont très bien ! Mais ce n’est pas l’aventure revisitée de ces deux amants mystiques que nous raconte cet album… Puisque l’Amour, pour Assa, est impossible, et que l’élu de son cœur, Aurelius, a vite fait de l’oublier entre d’autres bras.

copyright anspach

Bien des thèmes, donc, sont abordés dans ce livre, qui laisse quand même la part belle à une aventure parfois impudique, une aventure vécue dans des décors et dans un environnement que les auteurs ont pris plaisir à recréer avec justesse de ton, et justesse historique. Le travail de Paolo Grella, le dessinateur, avec un sens aigu de l’importance des couleurs, est à souligner. Je parlais de thématiques très contemporaines, comme celle de la culture, par exemple, l’essence de l’art mettant du baume au cœur mais inutile socialement… N’en est-il pas, de plus en plus, de même aujourd’hui? Poser la question, c’est y répondre!

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Le scénario est linéaire, le dessin et les couleurs sont d’un réalisme passionnant, offrant au récit des rythmes réels… Cela dit, ce livre est fictionnel, véritablement…

Fabienne Pigière

Un livre intéressant, qui ressemble un peu à une mise en bouche en attendant que le repas arrive… Le monde de Pompéi et de ses destins emmêlés les uns aux autres sous les puissances de la mort, est ici esquissé plus que primordial… Mais je pense que les albums suivants sauront encore mieux mêler Histoire et fiction, pour nous offrir des personnages qui, comme Assa, ont de la chair… Scénaristiquement… Et graphiquement aussi !

Jacques et Josiane Schraûwen

Pompéi – 1. Assa (dessin : Paolo Grella – scénario : Fabienne Pigière et Rudi Miel – éditeur : Anspach – mai 2025 – 56 pages)

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Un baba au rhum – entre mémoire et présent, un portrait de femme au rythme de la souvenance

Il ne s’agit pas ici de bande dessinée, mais d’un livre écrit par une femme russe, une graveuse, ayant quitté, il y a des années, son pays natal.

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Et elle nous livre des parts éparses de sa mémoire, illustrées par certaines de ses gravures… Dans « Un baba au rhum », Ludmila Krasnova nous parle d’elle, au travers de souvenirs qui lui viennent au bout des doigts sans chronologie, au seul rythme d’une souvenance presque poétique. La Belgique est, désormais, son pays, mais à aucun moment elle n’efface son passé, et ses présents sont ainsi dévoilés, par petites touches d’une poésie évidente, au travers du prisme du souvenir. Au-delà de l’exil volontaire, c’est de la vérité de l’existence qu’elle nous parle.

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Ludmila Krasnova nous parle de ses origines russes, de son exil, de son existence en « Occident », de sa nécessité à transmettre à ses enfants la culture qui forme l’écheveau de ses racines, elle nous parle de sa langue…Elle parle aussi de l’actualité, de la guerre avec l’Ukraine. C’est là un sujet essentiel pour elle, un sujet qu’elle aborde en retranscrivant une conversation qu’elle a eue, par internet, avec son frère, resté en Russie… Une conversation qui lui fait mal… Qui révèle que les idéologies, dans une même famille, dans une fratrie, peuvent s’affronter, se perdre dans les méandres de la haine la plus incompréhensible. D’un côté il y a un homme russe qui se veut défenseur d’une sainte patrie, de l’autre côté, une artiste belgo-russe que la violence et les pouvoirs des armes dégoûtent profondément… Ce passage dans son livre, après tous ses souvenirs d’enfance, forme comme un point d’orgue qui la révèle, sans doute, encore plus, encore mieux, avec une humanité que j’ose appeler resplendissante…

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Pour mieux encore entrer dans son monde, je vous propose, tout simplement, d’écouter Ludmila Krasnova dans une interview à la fois sérieuse et souriante…

Ludmila Krasnova

Jacques et Josiane Schraûwen

Un baba au rhum, un livre de Ludmila Krasnova, paru à Bruxelles aux éditions CFC.