Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

J’ai toujours aimé la littérature policière… J’ai, de ce fait, toujours adoré me plonger dans des polars du neuvième art… Avec « Nuits Romaines », je suis comblé ! Un scénario simple mais extrêmement bien construit, et un graphisme exceptionnel !

copyright mosquito

Le personnage central est un flic plus très jeune, mais loin d’être vieux, fumeur invétéré, désespéré et désespérant. Un flic paumé qui, après plus de vingt ans d’enquêtes glauques dans la glauque ambiance des nuits romaines, sait que « le cauchemar jamais ne s’apaise ». Et sa nouvelle enquête le désespère encore plus : il s’agit d’enfants assassinés… Il s’agit d’un tueur de mômes… Il s’agit de « l’homme en noir » qui va, jusque dans les rêves de Flavio, ce flic, réveiller ses angoisses les plus sombres.

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Un tueur d’enfants… Un policier désabusé et hanté par le mal… Une ville sublime qui se révèle, la nuit venue, un décor presque fantomatique, pratiquement fantastique… Un dessinateur qui se laisse aller à de la folie visuelle exceptionnellement efficace… Tous les ingrédients sont en place pour que ce livre soit une sorte de « comics » américain. Mais il n’en est rien ! Là où les comics multiplieraient les démesures graphiques, les plans impossibles, le découpage bling-bling, ce livre choisit les chemins de l’ambiance, les routes sinueuses de la nuit, les paysages citadins qui ne sont qu’esquissés… Même en usant des codes du roman noir américain, cet album se révèle résolument européen… Et si tape-à-l’œil il y a, c’est au service, et uniquement au service, de l’histoire qui y est racontée…

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« On s’est habitués au mal », dit Flavio, se perdant dans une enquête aux certitudes soudain trop criardes. Il se souvient de toutes ces mères auxquelles il a promis de rendre vivants leurs enfants… Et il sait que « les promesses ne sont pas là pour qu’on les tienne »… Luigi Boccia, le scénariste, esquisse le profil d’un flic à la Chandler, à la Carter Brown… Il nous plonge dans une ambiance qu’on pourrait croire à la Stephen King, et il le fait pour mieux nous jeter en pâture à un quotidien sournois et inacceptable… Réel… Il attache son récit exclusivement aux gestes et aux mots de son personnage central, construisant sa narration au fil de petites touches éparses qui peu à peu racontent l’histoire sans jamais perdre le lecteur…

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Le dessin d’Alessandro Manzella est étonnant… Superbement étonnant… C’est un dessin qui se blottit derrière la couleur, qui, parfois, rappelle les bandes dessinées sud-américaines des années 60/70… Mais c’est un graphisme qui empoigne le lecteur dès la première page, et ne le lâche plus au fil des planches ! Je dirais qu’il y vraiment un jeu, dans la couleur de Manzella, d’ombres et de lumières, avec une façon moderne, en quelque sorte, de perpétuer les clairs-obscurs chers aux peintres vénitiens, entre autres.

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Les profils des personnages sont parfois à peine esquissés, s’enfouissant aux méandres d’une peinture qui est, peut-être, l’élément essentiel du dessin, donc du récit… Et il y a véritablement un travail « sombre » de cette couleur, avec des visages qui s’en échappent en gros plans, avec l’omniprésence des cigarettes et des néons qu’on voit briller dans l’ombre opaque de la nuit… Au fil des pages, donc de l’enquête, les personnages deviennent de plus en plus visibles, présents, « dessinés »… Obligeant ainsi le lecteur à mieux entrer encore dans leurs quotidiens, dans leurs folies, dans le « mal »…

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« Il y une grande différence entre vivre et survivre, mais à la fin, il n’y a pas d’autre choix que de s’y faire. » Cette phrase ponctue à sa manière une histoire horrible mais réaliste… Et je ne sais pas si c’est volontaire ou s’il s’agit d’une erreur d’impression, mais il y a, dans le texte, vers le milieu du livre, une seule petite phrase écrite en rouge… « on peut rien faire » ! Quatre mots qui, à leur manière, racontent l’inutilité de toute action face à l’innommable…

Ce livre est un polar sublime dans sa forme, simple mais juste dans son récit… C’est aussi un album qui, totalement, appartient à l’Art… Le neuvième en l’occurrence, mais aussi celui d’une forme de peinture qui emporte le lecteur sans jamais lui lâcher la main ni le regard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Nuits Romaines (dessin : Alessandro Manzella – scénario : Luigi Boccia – éditeur : Mosquito – mars 2025)

Violette : Mystère A Chamoisix

Violette : Mystère A Chamoisix

Troisième aventure d’une jeune fille vraiment adolescente que ses lunettes magiques ne transforment pas en super-héroïne !

copyright biscoto

La bande dessinée pour jeune public, après des années pendant lesquelles elle était reléguée dans les arrière-boutiques de la culture, en même temps que la bd dite « populaire », réussit, de nos jours, à s’imposer sur les étals des « bonnes » librairies ! La caractéristique de ce « style » est de ne plus « bêtifier », simplifier donc, de ne plus chercher d’alibis moraux non plus, mais de rendre compte, simplement, de la vie telle qu’elle est, et de le faire à hauteur d’enfance, ou d’adolescence. Et c’est bien le cas avec cette série-ci, qui parvient à parler de plein de choses tout en étant parfaitement ludique.

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Violette et ses copains et copines de classe partent en voyage scolaire en compagnie de leur professeure fan de littérature… Et là où tout ce beau monde se rend, à Chamoisix, se situe le lieu de résidence d’un écrivain célèbre, Romuald Dule. Que les élèves vont pouvoir rencontrer… Violette, peu intéressée par la lecture, suit le mouvement, sans plus. Mais ses lunettes magiques, elles qui lui permettent de voir ce que personne d’autre ne voit, se décident à éveiller sa curiosité. C’est que, aux côtés de cet écrivain quelque peu orgueilleux, Violette aperçoit une femme… Une sorte de fantôme… Et, bien évidemment, elle va, avec ses amies, enquêter, supputant qu’un secret doit se cacher derrière l’apparence bien lisse de cet écrivain étrange !

En suivant ce fil narratif, mêlant un fantastique traditionnel à un regard sur le quotidien d’un groupe d’enfants, Emilie Clarke, la créatrice de Violette, utilise un langage simple, avec des références, par exemple à Roald Dahl… Ce langage, particulièrement réussi, n’a rien de caricatural, et je pense que bien des lecteurs et lectrices jeunes vont s’y reconnaître ! Dans, ici et là, le style « texto », par exemple… Du côté du dessin, on peut dire qu’il est frontal, très coloré, sans fioritures, tout en étant vif, rapide, tout en mettant en évidence les quotidiens que le livre montre et raconte. Et puis, sans avoir l’air d’y toucher, l’autrice nous parle d’énormément de choses… Des affres de l’adolescence… des premières règles… de l’intuition… de la peur… De l’envie d’aventure… du hasard… Et de la place de la femme dans la société, également… On dit que derrière chaque grand homme il y a une femme… Emilie Clarke nous dit, elle, avec le sourire, qu’il serait temps de ne plus tricher avec la vérité… Comme quoi, à l’inverse de ce que j’écrivais plus haut, ce livre a une certaine « morale »… Tranquillement féministe, sans haine, mais avec infiniment de tendresse…

copyright emilie clarke

Malgré mon grand âge (ou grâce à lui ?…), j’ai pris beaucoup de plaisir à lire cet album… La vie racontée ici mérite de l’être, parce que, tout simplement, elle est faite de curiosité, d’intelligence, de pouvoir, aussi, celui d’aller au-delà des apparences ! Un livre à lire par les ados, et pas leurs parents, évidemment !

Jacques et Josiane Schraûwen

Violette : Mystère A Chamoisix (autrice : Emilie Clarke – éditeur : Biscoto – avril 2025 – 148 pages)

Arsène Lupin Et Le Dernier Secret De Nostradamus

Arsène Lupin Et Le Dernier Secret De Nostradamus

Un « nouvelle » aventure du gentleman cambrioleur cher à Maurice Leblanc… Une réussite de la bd de divertissement !

copyright grandangle

Ce que j’aime dans la lecture de manière générale, dans le monde de la bande dessinée plus spécifiquement, c’est l’éclectisme que ces médias culturels peuvent nous offrir, à nous les lecteurs. Historiquement, la bd a d’abord été, d’ailleurs, destinée à un jeune public… Historiquement aussi, c’est en offrant des héros de papier souvent « politiquement incorrects », mais sympas quand même, que cet art a connu, à ses origines, quelques-uns de ses beaux succès.

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Je pense, par exemple, à Bicot, aux Pieds Nickelés, aux Garnements de Rudy Dirks aux Etats-Unis… Du côté de la « littérature », il en a été de même, avec, entre autres, Fantômas… Avec aussi l’extraordinaire anti-héros, créé par Maurice Leblanc, Arsène Lupin ! Et c’est lui que nous retrouvons dans une bande dessinée de divertissement pur, dans un récit avec très peu de temps morts, avec une aventure inspirée par les romans de Leblanc, mais neuve quant à son déroulé, son contenu.

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Imaginez-vous que Nostradamus, en son temps, a prédit la date de la fin du monde ! Imaginez-vous que Lupin, après la mort de son ennemi juré, Sherlock Holmes, a pris la place, grâce à son génie du déguisement, de ce détective britannique mythique, et ce pour des raisons politiques. Imaginez-vous que tout cela va entraîner Lupin dans une série d’aventures, avec enlèvement de sa fille cachée, dans une résolution de plusieurs énigmes, le tout en compagnie de ses fidèles acolytes et d’une femme séduisante qui veut se faire nonne ! N’allez pas croire cependant que la confusion est au rendez-vous de cet album !

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Les auteurs, Jérôme Felix au scénario et Alain Janolle au dessin, parviennent, en effet, à respecter totalement le rythme et l’ambiance des aventures originelles. Le dialogue est excellent, le style mélo du début du vingtième siècle, scénaristiquement et graphiquement, avec ses rebondissements incessants, est bien le moteur du récit, les seconds rôles ont une place importante, la construction narrative en « séquences » correspond vraiment au style de Maurice Leblanc, avec toujours de l’humour et du suspense. Le tout est baigné dans une réalité historique, par petites touches, avec des références religieuses, politiques, littéraires, franc-maçonniques qui n’alourdissent en rien l’histoire racontée ! Oui, c’est de la bonne bande dessinée qui ne se prend jamais vraiment au sérieux, tout comme dans les romans de Leblanc, finalement… C’est donc un livre charmeur et réussi !

Jacques et Josiane Schraûwen

Arsène Lupin et le dernier secret de Nostradamus (dessin : Alain Janolle – scénario : Jérôme Felix – éditeur : Grandangle – octobre 2024 – 71 pages)