Le Grizzli – Du polar à la française, réjouissant !

Le Grizzli – Du polar à la française, réjouissant !

Entrons de plain-pied, si vous le voulez bien, dans de la bande dessinée qui se savoure comme du Lautner, comme de l’Audiard !

copyright dargaud

Matz et Fred Simon nous emmènent en effet dans un univers très « sixties », avec un « héros » bien baraqué, avec des personnages, d’ailleurs, typiques de ces policiers, au cinoche comme en littérature dite de gare, qui sont pleins de verve et pleins aussi de bons gnons à distribuer ! Des personnages au travers desquels on peut sans peine voir des filiations avec pas mal de héros de l’immense Audiard, en effet !

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Lino Ventura, par exemple… Mais aussi ce qui faisait le plaisir de ce cinéma-là, des seconds rôles en veux-tu en voilà, caricaturés certes, mais merveilleusement vivants, et donc « gouaillants » ! Et le scénario de ces deux albums déjà parus, d’ailleurs, ne cache pas son hommage à ce style policier quelque peu désuet mais passionnant, celui de Lautner entre autres, dans lequel l’observation comme l’humour sont sans cesse présents!

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Le Grizzli, c’est un ancien boxeur, un ancien truand aussi, rangé des voitures. Dans le premier volume de ses aventures, « Un drôle de chabanais », il va reprendre du service pour aider un de ses potes restaurateur, Jo, en butte aux méchancetés d’un sorti du placard, Bébert la Gambille ! Dans le deuxième album paru, « une haleine de cadavre », on se balade du côté du cimetière de Montparnasse, on parle d’enlèvement d’une greluche et de l’intervention musclée du Grizzli pour remettre toutes les pendules à l’heure, aux limites, bien entendu, de la légalité ! Et sans jamais oublier les galipettes amoureuses!…

Le tout est ponctué par des dialogues qui chantent bon la mélodie d’un « milieu » qui a sans doute bien disparu : « Je suis pas sûr que le Christ, il pensait à des gnières avec des pédigrés quand il disait qu’il fallait pardonner à son prochain. »… Ou : « Bébert La Gambille vient de sortit de taule, et ça ne me plaît pas du tout. Il est sorti sur un coup de vice que son baveux lui a dégauchi. » !

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Il ne faut jamais bouder son plaisir ! Et j’ai pris plaisir, oui, à lire ces deux bouquins, même si, c’est vrai, nul ne pourra jamais atteindre la perfection « littéraire » d’Audiard, et des immenses Blier, Gabin, Blanche, Ventura et compagnie ! Et je pense que ce Grizzli va nous faire vivre encore de nouvelles aventures ! En Bretagne, sans doute… Une série savourer, avec un langage, en outre, qui fait l’objet, en fins d’albums, d’un petit glossaire pas piqué des hannetons !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Grizzli- deux albums parus (dessin : Fred Simon – scénario : Matz – éditeur : Dargaud – 2023 et 2025)

La Montagne Entre Nous – une histoire d’amour et de détresse…

La Montagne Entre Nous – une histoire d’amour et de détresse…

Un scénariste, une dessinatrice, pour un récit qui dépasse la simple anecdote…

copyright sarbacane

Nous sommes dans les années 2010. A la radio se font entendre les opposants et les défenseurs du mariage pour tous. Ce sont polémiques, injures, haines, retours à l’intransigeance de morales de toutes sortes… Et même ailleurs, dans la vraie vie, celle de ceux qui ne manifestent pas, une nouvelle forme de liberté occupe peu à peu le territoire de l’existence de tous les jours, une existence qui désormais peut et veut faire de l’Amour une valeur universelle. Malgré, et au-delà de toutes les failles déjà vécues !

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Ailleurs, c’est un petit village de montagne.

Ailleurs, c’est Marcia, qui revient dans son village natal après s’en être échappée pendant trente ou quarante ans.

Elle est là, de retour, pour assister à un enterrement… Pour sa vieille mère, aussi, murée dans un silence aux lourdes torpeurs.

Elle est là également, même sans se l’avouer peut-être, pour retrouver Florence, son amie d’enfance.

Elles étaient plus qu’amies… Elles étaient, sans se le dire, amoureuses. Et puis, un jour, Marcia s’en est allée pour une grande ville, abandonnant derrière elle Florence… Marcia, désormais, assume le mieux possible son homosexualité. Florence, elle, s’est mariée avec Eddy. Eddy pour l’enterrement duquel Marcia est là…

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A partir de ce canevas, ce livre parle de famille, de familles au pluriel, de secrets… Bien sûr, l’homosexualité féminine est au centre du récit, mais avec pudeur, sans aucune indécence… Finalement, ce n’est pas elle le sujet de ce livre… Le vrai sujet, oui, c’est l’amour, ses possibles, ses impossibilités aussi, et les influences du passé, même le plus lointain, et la haine face à toutes les différences, quelles qu’elles soient ! C’est un livre qui parle de notre société d’il y a trente ou quarante ans, c’est un livre qui parle de la guerre 40-45. C’est un livre qui parle de brutalité. C’est un livre qui parle des placards dans lesquels la mémoire enfouit des réalités insoutenables. La montagne, dans laquelle deux adolescentes vivaient, Florence et Marcia, est devenue au fil des années une barrière qu’elles vont essayer de franchir… Mais peut-on revenir en arrière, quand il s’agit d’Amour ?

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Oui, c’est un livre d’Amour. Et même si ce sont deux femmes dont il nous parle, même si ce sont deux femmes amoureuses qu’il nous raconte, cet album parvient à s’adresser à tout le monde, avec une infinie tendresse, avec un regard de douceur, avec une description des sentiments humains sans mensonge. Cet album fourmille aussi de petits trésors d’écriture et d’émotion, servis par un dessin lumineux, une sorte de belle esquisse aux gestes retenus, aux visages dans lesquels les yeux seuls révèlent l’âme… « Même quand tu ne m’aimais pas, moi je ne pouvais pas m’empêcher de t’aimer. J’ai appris l’amour dans l’absence du tien. » Il y a une sorte de désillusion, oui, sans aucun doute, dans cet ouvrage. Mais une désillusion de lutte… « Les choses changent et restent les mêmes. Ce qu’on leur arrache, ils peuvent nous le reprendre. On ne doit jamais baisser la garde. Je sais qu’on peut vivre heureuses, mais je ne crois pas qu’on puisse vivre tranquilles. »

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Un livre tout en délicatesse, tout en intelligence, tant dans le scénario que dans le dessin. Une sorte de long et doux poème d’amour, à savourer l’esprit ouvert et le cœur à l’unisson… Un livre qui m’a touché, énormément, et que je ne peux que vous pousser à le découvrir à votre tour…

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Jacques et Josiane Schraûwen

La Montagne Entre Nous (dessin : Marcel Shorjian – dessin : Jeanne Sterkers – éditeur : Sarbacane – 2025 – 156 pages)

Édika (1940-2025): une figure emblématique de « Fluide Glacial » s’en est allée parler de sexe et de cul ailleurs que sur notre triste terre. Un air de liberté en moins!

Édika (1940-2025): une figure emblématique de « Fluide Glacial » s’en est allée parler de sexe et de cul ailleurs que sur notre triste terre. Un air de liberté en moins!

DESSIN EDIKA

Pour vous parler de ce dessinateur « hors normes », dont les dessins scabreux et humoristiques ont enchanté et enchanteront encore bien des esprits libres , j’ai choisi de vous proposer à (re)lire cet album…

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

copyright fluide glacial

Fluide Glacial, éditeur et revue, résiste aux modes, au bon goût aussi, depuis 50 ans, et cela se doit d’être souligné !

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C’est en avril 1975, en effet, que trois dessinateurs décident de créer ce qui se veut être un organe de presse « d’umour et bandessinées ». Parmi ces créateurs, Gotlib, qui a déjà fait les beaux jours du journal Pilote, de la revue L’écho des savanes, Gotlib qui a incontestablement apporté un sang nouveau à ce qu’on peut appeler l’humour en bd, avec, par exemple, la mythique rubrique à brac. Son sens du gag, de la provocation aussi, vont faire merveille dans Fluide Glacial avec des auteurs venus de tous les horizons : Tronchet, Binet, Gimenez et sa superbe série, sérieuse elle, des « Paracuellos », Alexis et même Franquin avec ses sublimes idées noires.

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Fluide Glacial, ainsi, s’est défini dans le paysage du neuvième art comme un magazine dans lequel l’humour, sous toutes ses formes, et souvent les plus non-correctes, voire vulgaires, avait sa place… Que toutes les bêtises avaient la liberté de s’exprimer !Et, parmi ces auteurs qui ont fait et font encore les beaux jours de Fluide Glacial, il y a Édika, qui fait l’objet aujourd’hui d’un petit livre sympa.

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On peut dire que ce dessinateur occupe une place de choix dans le choix des couvertures du magazine : il en a fait 83 sur les 582 numéros publiés ! Et on peut dire aussi que ces couvertures ont attiré, toujours, bien des regards, bien des réflexions, bien des critiques bien pensantes souvent… Parce qu’il faut l’avouer, Edika, dans le paysage de la bd, et même dans celui, pourtant déjà bien déjanté, de Fluide Glacial (et cela fait 40 ans qu’il y travaille, qu’il s’y amuse), un électron libre.

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Un humour déjanté, oui, né de la gauloiserie, cet humour vieux comme la France sans doute, et dont on peut dire que sa caractéristique première est d’être, comment dire, leste… voire plus, même ! Et dans ce domaine, Edika aime depuis toujours ruer dans les brancards, enfoncer les portes de la bienséance, avec sans arrêt un sens de l’absurde, du surréalisme, de la provocation gratuite, et, également, avec une forme souriante d’érotisme souvent gras… Disons-le tout de go, Edika adore, avec un graphisme totalement éloigné de tout réalisme, les femmes possédant des appas plus qu’imposants, et de préférence dénudées, les femmes aussi ridiculisant sans cesse les hommes cherchant à les séduire. Cela, je le sais, pourrait paraître n’être que graveleux ! Mais Edika a une manière de dessiner qui n’appartient qu’à lui, en multipliant les détails, à peine visibles parfois, en multipliant les personnages, un peu comme l’immense illustrateur Dubout faisait en d’autres temps.

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Édika a une façon de déformer la réalité qui est hors du commun, hors de tous les codes, on peut dire qu’il réinvente en quelque sorte l’humour à chaque album ! A chaque couverture, aussi… Et ce petit livre de 64 pages est là pour remettre les choses en place : Edika est un humoriste, et il y a un plaisir plus que souriant à se balader dans ses couvertures et, ce faisant, grâce à un texte bien fichu, à l’y découvrir tel qu’il est : un artiste populaire et Français faisant semblant d’être franchouillard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Édika sous couvertures (textes de Gérard Viry-Babel, dans la collection « les jolis p’tits cultes », chez Fluide Glacial – 2025 – 66 pages)