Leave Them Alone – un western à la fois classique et original !

Leave Them Alone – un western à la fois classique et original !

Un western aussi, d’une puissante violence, dès les premières pages !

copyright grandangle

Un dessin pleine page, d’abord. Quelque part, dans un presque désert, vue de derrière, une diligence à l’arrêt. Sur la droite, un homme qui urine. Trois autres personnages dont on devine qu’ils viennent d’attaquer cette diligence. Et, menant à cette scène, une traînée de flaques de sang… Et puis, pendant neuf pages, on se plonge, en plans rapprochés, sur la tuerie qui vient d’avoir lieu… Nous est ainsi montrée, sans fioritures, une violence extrême rarement, voire jamais, montrée en bd.

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L’histoire que nous raconte cette bd utilise les codes habituels du western, sans aucun doute… Lew, un cavalier solitaire… Un secret familial bien gardé… Un relais de poste… Une petite ville et ses notables pourris jusqu’à la moëlle… Une gamine qui apprend à tirer, une putain au grand cœur, une femme forte qui ne s’en laisse pas conter, un Indien… Un transport d’argent… Et une tension qui ne faiblit pas, de la première à la dernière page.

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J’ai eu plaisir à rencontrer les deux auteurs de ce western. Et il faut souligner que leur travail s’est fait, résolument, en complément l’un de l’autre, et que le dessinateur, de l’aveu même de Roger Seiter, a pu profiter d’une vraie liberté pour, non pas corriger mais s’approprier le scénario…

Roger Seiter – copyright Schraûwen

Jusqu’à ajouter des personnages féminins dans une histoire qui n’est plus, dès lors, celle de la violence uniquement masculine…

Roger Seiter – copyright Schraûwen

Cela dit, le scénario de Seiter est extrêmement bien charpenté… Il définit une époque par son environnement, par ses personnages aussi, des personnages traditionnels du western, Mais pour Roger Seiter, aucun de ces personnages n’est inutile.

Roger Seiter – copyright Schraûwen

Tout le livre, dont le titre fait presque penser à du Sergio Leone, nous montre l’ouest américain à la fin du dix-neuvième siècle, tel qu’il était… Un monde d’espérance pour tous ceux qui voulaient y commencer une nouvelle vie, un monde d’insécurité sans foi ni loi, un monde dans lequel la mort est un rendez-vous quotidien… Et cet univers nous est montré par un dessinateur, Chris Regnault, amoureux du cinéma, de ses plans, de ses mouvements de caméra… Mais, avec lui, on est plus, incontestablement, dans Tarentino ou dans Josey Wales de Eastwood que dans John Wayne ou Audie Murphy !

Chris Regnault – copyright Schraûwen

Cela dit, nous sommes malgré tout en présence d’un livre parfaitement assumé, un western classique, pur et dur, sans ellipse ni raccourci, sans temps mort ! Et le dessinateur est d’une efficacité totale. Je me suis demandé, d’ailleurs, ce qui faisait cette efficacité… Et j’ai constaté que Regnault axait énormément de ses dessins sur les bouches… Et que c’est à travers cette manière d’approcher ses personnages qu’il construit son récit, et le rend, j’ai envie de dire, « audible »…

Chris Regnault – copyright Schraûwen

C’est un album parfaitement réussi sans aucun doute, avec un dessin qui joue sur la lumière, sur la luminosité même, plutôt… Avec un graphisme très séquentiel, très vif, avec peu de dessins par planche, de manière à rendre compte du mouvement… Oui, c’est une belle réussite, un western, je le disais, classique, mais traité de manière moderne, sans apprêts… Avec en outre, deux fins possibles… Dont une qu’on peut qualifier d’ouverte comme l’est la boîte qu’ouvre la fille du héros… Et la possibilité, je l’espère d’une suite à venir !!!!

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Je le dis souvent : ne boudons pas notre plaisir, jamais, surtout lorsqu’il s’agit de lecture ! Et cette plongée violente dans un univers aux codes connus se laisse lire, oui, avec infiniment de plaisir… J’ai même envie de dire, tout simplement : vive le western qui, littérairement, est l’environnement le plus tragique pour parler de la vie !

Jacques et Josiane Schraûwen

Leave Them Alone (dessin : Chris Regnault – scénario : Roger Seiter – éditeur :  Grandangle – octobre 2025 – 158 pages)

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Le Pays De L’Eau Qui Monte – Une bonne bande dessinée qui s’adresse à un jeune public pour parler des conséquences du bouleversement climatique

Le dérèglement climatique, souvent appelé à tort « réchauffement », fait incontestablement partie du paysage médiatique… Avec il faut le dire, une influence stressante sur les enfants. Ce livre peut, peut-être, estomper ce stress…

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Un petit village, dans lequel rien, jamais, ne se passe… Un petit village avec, quand même, sa radio libre… Un petit village qui ne subit pas les ravages d’une société axée sur la seule rentabilité, puisque s’y trouvent encore une boulangerie, une épicerie, une école, et des enfants. Un petit village dans lequel, depuis des jours et des jours, il pleut !

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A partir de ce qui peut, bien évidemment, passer pour anecdotique, Rodolphe, le scénariste raconte comment les gens peuvent continuer à vivre, à vivre ensemble, à retrouver le sens de ce mot, lorsque la nature décide de remettre les choses en place, de rappeler, simplement, qu’elle existe et que, qu’on le veuille ou non, on dépend toutes et tous de lui. Mais n’allez pas croire, dans ce livre, à un grand message, non ! Rodolphe nous offre un récit simple, gentil, presque naïf parfois, utopique souvent, souriant toujours, et axé sur la possibilité, toujours aussi, d’une forme d’humanisme.

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C’est, je le disais, un album qui s’adresse à un jeune public… Et son propos, qui aurait pu être sérieux, est tempéré (jeu de mot) par l’anthropomorphisme du récit, du dessin. Patrice Le Sourd, le dessinateur, nous fait ainsi le portrait d’humains au travers de traits animaux. Plus moyen ainsi, de juger sur un visage : le lecteur se trouve en face d’une sorte de conte animalier, et il va pouvoir, grâce à l’osmose du texte et du graphisme, extrapoler le sujet qui lui est proposé et le transposer dans son propre quotidien.

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Le scénario de Rodolphe réussit ici à raconter un monde sans manichéisme. Certes, et je le disais, les bons sentiments sont à l’honneur… L’entraide est une réalité… Les enfants passent de maison en maison, les adultes oublient leurs différends, les inondations deviennent l’occasion de rencontres, de partages, de sourires au profond de la fatigue… Le journalisme lui-même perd ses routines et va, réellement, au-devant des gens réels ! Mais le racisme existe aussi… Et c’est « ensemble » qu’il peut être détruit…

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Oui, c’est un album gentil, positif, prônant des sentiments et des actions simples, immédiats. Mais qui le fait avec gentillesse, aussi, avec une sorte d’espérance tranquille en l’être humain, tout calmement. C’est un livre qui montre, à sa manière, que toutes les angoisses peuvent n’avoir aucun sens quand on se donne la main, véritablement ! Et, ma foi, cela fait du bien, de nos jours, ce genre de livres qui réussit à faire un peu réfléchir, et à le faire sans mièvrerie !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Pays De L’Eau Qui Monte (dessin : Patrice Le Sourd – scénario : Rodolphe – éditeur : Delcourt jeunesse – juin 2025 – 40 pages)

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Ces Lignes Qui Tracent Mon Corps – Ce livre me semble être la meilleure bd, jusqu’à ce jour, de l’année 2025 !

On parle, ici et là, au sujet de cet album, d’œuvre féministe, de roman graphique… Mais c’est un livre qui dépasse, et de loin, ces clichés éditoriaux, et se révèle extraordinairement réussi ! Un chef d’oeuvre, tout simplement…

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Et que nous raconte-t-il, ce livre, ce « roman graphique » ?

Graphique, oui, il l’est sans aucun doute, avec un dessin d’une pureté exceptionnelle, même lorsqu’il décrit l’horreur quotidienne d’une femme… Mais c’est une « bande dessinée » qui n’a nul besoin d’alibi culturel pour nous offrir une puissante autobiographie, tout simplement. L’autrice, Mansoureh Kamari, nous parle d’elle, en effet, de son enfance et de son adolescence en Iran, elle nous parle de cette société dans laquelle l’homme a tous les pouvoirs, même et surtout peut-être sur ses enfants de sexe féminin… Et ce sont des faits qu’elle nous montre, des instantanés au jour le jour, d’année en année : toutes les interdictions, toutes les obéissances, toutes les humiliations, toutes les soumissions. Toutes les oppressions…

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Mais ce dont elle nous parle, ce qu’elle nous montre, essentiellement sans doute, c’est son trajet personnel pour, en France, adulte, se restaurer à elle-même… Cela passe par exemple par la nécessité qu’elle ressent de se faire modèle nue devant des dessinateurs anonymes, pour oublier les regards que les hommes posaient sur elle en Iran. Cela passe par cette conscience qu’elle a, alors, de supporter très bien tous ces nouveaux regards qui sont ceux de l’art, tout en refusant une caméra qui, sans même s’en rendre compte, et avec les meilleures intentions du monde, se fait intimement indiscrète.

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A ce titre, il faut souligner, dans un dessin somptueux en nuances de noir, de blanc et de gris le plus souvent avec, parfois, des couleurs pastel tendrement lumineuses, l‘importance tout au long du livre du regard… Des yeux, et de tout ce qu’ils peuvent exprimer… Les regards du père, en Iran, de la mère, du frère qui, garçon, est évidemment privilégié…

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C’est un livre, vous l’aurez compris, qui, dans son propos, pourrait n’être que « dur »… Mais il est aussi d’une extrême douceur et pudeur dans son traitement. La peur y est sans cesse présente, comme un fantôme que l’art peut faire disparaître…

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L’indifférence laisse la place à des regards neufs et bienveillants que pose Mansoureh Kamari sur le monde occidental qui désormais est le sien… Les larmes y sont racontées avec une tendresse intérieure… C’est d’ailleurs une expression que Mansoureh Kamari utilisait le plus quand je l’ai rencontrée : l’intérieur du sentiment !

Mansoureh Kamari

Ce livre nous montre que l’art, intérieur, intime, sensuel donc également, est un moyen possible pour accepter ces blessures invisibles que l’auteure nous dessine en rouge, des blessures qui sont celles de l’âme et se gravent en souvenances à même la chair. A ce titre, ce livre qui aurait pu être un album féministe, je le disais, un album centré sur les violences faites aux femmes, cet album devient universel. En parlant d’elle, Mansoureh Kamari parle de toutes les soumissions… Universellement…

Mansoureh Kamari

Un « bon livre », c’est un livre qui parle à chaque lecteur, à chaque lectrice, une bonne bande dessinée, c’est un album qui unit, en osmose, un sujet, un texte, et un dessin. Une bonne lecture, c’est une lecture qui fait frissonner les lecteurs, et qui, ce faisant, les rend un peu plus intelligents, un peu moins panurgiques… Et ce livre de Mansoureh Kamari est tout cela, avec une sorte de poésie qui n’appartient qu’à elle ! Oui, « ces lignes qui tracent mon corps » est un vrai chef d’œuvre du neuvième art, un livre qui devrait se trouver dans toutes les bibliothèques, publiques ou privées… Donc, dans la vôtre !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ces Lignes Qui Tracent Mon Corps (auteure : Mansoureh Kamari – éditeur : Casterman – septembre 2025 – 197 pages)