Pico Bogue – 16. Haïku

Pico Bogue – 16. Haïku

Il y a de ces livres que j’aime laisser traîner sur un meuble, longtemps, avant de les lire… Pour le plaisir de l’attente… Pour la certitude d’y trouver une part de bonheur simple, celui de l’intelligence, de l’humour et du partage… C’est le cas, toujours, avec chaque album de l’exceptionnel Pico Bogue !

copyright dargaud

Je me souviens de la première fois où nous nous sommes vus, Dominique Roques et Alexis Dormal, les créateurs de Pico, et nous-mêmes, mon  épouse et moi… Une petite fête de la bd dans la maison communale de Saint-Gilles, à Bruxelles. Ils étaient là, assis côte à côte en attente de gens curieux de leur album… Josiane et moi, nous nous sommes approchés… Nous avons feuilleté le livre… Et, très vite, tous les deux, nous avons été séduits par le dessin de ce personnage, Pico Bogue, par les mots qui étaient les siens. Nous avons acheté l’album… Et quelque temps plus tard, j’en ai parlé sur le site culturel de la rtbf. Je me rappelle aussi que la journaleuse responsable alors du site culturel m’a écrit que cette chronique était stupide, que ce personnage de Pico Bogue n’avait aucun avenir, que le dessin n’était qu’une resucée de ce qui existait déjà !

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Pas mal d’années plus tard, Pico Bogue existe toujours, il continue à voir le monde avec le regard d’une enfance aux essentielles lucidités, il en est au seizième épisode de ses frasques et de ses réflexions qui me font, ainsi qu’à des milliers et des milliers de lecteurs, sourire, plaisir, réfléchir… Qui me font du bien, tout simplement ! Et la journaleuse, elle, continue sans doute à végéter dans l’univers clos de ses certitudes imbéciles…

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Qui est Pico Bogue ? Un gamin qui vit en famille, avec ses parents, avec sa petite sœur Ana, un gamin espiègle qui va à l’école, qui a ses copains, très différents de lui… Un gamin comme tous les autres, mais qui, par la magie d’une scénariste, Dominique Roques, par le talent d’un dessinateur, Alexis Dormal, devient le miroir de nous-mêmes, lecteurs-spectateurs replongeant, le temps de quelques pages, dans les univers déraisonnables de nos vieilles enfances !…

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Dans ce seizième album, la recette reste la même… Et c’est tant mieux ! Des petites scènes, des échanges de mots au quotidien, des décors qui ont presque autant d’importance que les personnages, et, surtout, un jeu double, celui des mots d’une part, celui des dessins d’autre part. Oui, Dominique Roques et Alexis Dormal sont bien plus que complices ! Ils réagissent l’un à l’autre sans cesse, le talent de chacun magnifiant celui de l’autre… Force est de reconnaître que dans bien des séries, on peut se lasser… Mais il n’en est rien avec Pico Bogue, comme il n’en a jamais été rien avec Mafalda ou Snoopy, par exemple ! Lorsque l’alchimie de la création est parfaite, l’étonnement est toujours au rendez-vous de la lecture ! L’étonnement et le plaisir !

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Dominique Roques, la scénariste, est amoureuse des mots, et donc de la vie. Et sa façon, simple et lumineuse, de mettre en scène des concepts étymologiques ou même sémantiques est d’une superbe légèreté ! De sophismes en symbolismes, de réflexions philosophiques en observations de la vie de tous les jours, elle nous fait sourire, toujours… Même en nous parlant de choses graves, Dominique Roques parvient à être objective sans jamais sacrifier aux modes, sans chercher à être « positive » ! Et les aquarelles d’Alexis Dormal ont la même légèreté… Je vous parlais d’alchimie, et c’est bien de cela qu’il s’agit : une manière d’aborder la vie comme le travail faite de deux réalités artistiques différentes s’unissant à la perfection.

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Dans ce seizième album, Pico Bogue découvre ce qu’est le Haïku… Ce gamin ne « s’embête pas à se demander s’il est intelligent », ce gamin comprend, sans avoir besoin de l’exprimer, que la poésie est un chemin idéal pour exister aux regards des autres, au regard de soi-même aussi ! Cela dit, n’ayez aucune crainte : ce livre n’a rien d’une approche théorique d’une forme asiatique de la poésie ! Ce livre, tout au contraire, rythme la vie racontée par le rythme de l’écriture, de la poésie, donc de l’existence… En outre, alors que les règles prosodiques du Haïku sont très précises (3 vers, le premier de 5 pieds, le deuxième de 7, le troisième de 5), les poèmes écrits et dits par Pico comme par sa maman sont bien pus anarchiques dans leur construction ! Ils sont, disons-le, libres, essentiellement libres, comme l’est, toujours, le ton de cette série bd indispensable !

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Par la grâce des mots comme par celle du dessin et de la couleur, Pico Bogue appartient à ce que l’univers du neuvième art peut avoir de plus intéressant, de plus intelligent, de plus beau à lire et à regarder ! Ce n’est pas une série d’humour consacrée à l’enfance, c’est une série souriante qui nous ouvre les yeux d’album en album, et nous remet en mémoire les enfances qui sont nôtres…

Jacques et Josiane Schraûwen

Pico Bogue : 16. Haïku (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud – septembre 2024 – 48 pages)

Jésus Aux Enfers – Trois jours de la vie du Christ dont les Evangiles « officiels » ne disent rien !

Jésus Aux Enfers – Trois jours de la vie du Christ dont les Evangiles « officiels » ne disent rien !

Un livre étonnant, un livre original, un livre à découvrir !

copyright soleil

En une époque où il est souvent de très bon ton de se moquer de la religion, des religions même, voire de les fustiger, on ne peut que s’étonner de voir apparaître un livre comme celui-ci ! On pourrait aussi croire, alors, que l’auteur d’un tel ouvrage fait là œuvre de croyant. Mais il n’en est rien… Thierry Robin, l’auteur de cet album, s’est bien plus intéressé à ce que sont les évangiles… A la façon qu’ils ont eue d’aider à la propagation d’une religion.

Thierry Robin

Thierry Robin, ainsi, a décidé de s’inspirer des évangiles que l’on connaît, du Credo également, cette prière catholique qui dit : « Jésus est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts ».

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Et d’un évangile, celui de Nicodème, un évangile qui était présent dans l’Eglise jusqu’aux années 300, et qui parle justement de ces trois jours aux enfers…

Thierry Robin

C’est à partir de ce texte que Thierry Robin a décidé de parler de ces trois journées, en une bande dessinée qui s’enfouit résolument dans une forme de fantastique… Une vraie gageure…

Thierry Robin

Et c’est par ce biais du fantastique, incontestablement, que Thierry Robin crée une œuvre originale, qu’il transforme une histoire qui a donné vie à la religion catholique et qu’il en fait quelque chose de résolument humain… Le fantastique, en littérature, peut prendre bien des formes… Celle que choisit Thierry Robin est dans la continuité graphique de quelques anciens, comme Druillet… Dans la continuité littéraire de quelques textes du dix-neuvième siècle, également. Il s’agit bien d’une touche personnelle, sans aucun doute possible, d’un regard non formaté, aussi, sur l’histoire de cet évangile de Nicodème.

Thierry Robin

Thierry Robin a totalement réussi son pari de nous offrir un livre passionnant, tous publics, non engagé, ni religieusement, ni philosophiquement. Certes, cet album s’inscrit dans ce que notre culture a de judéo-chrétien comme on dit… Il n’a rien d’une œuvre « catho », mais, en même temps, il n’a rien d’agressif, rien de provocateur vis-à-vis de la religion chrétienne… Et il y a une vraie touche personnelle, dans la rencontre avec Satan par exemple, empreinte d’humour, de jeux de mots, même.

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Et on ne peut que savourer les dialogues de Jésus avec les âmes qu’il vient libérer, avec David, avec Noé, traumatisé d’avoir dû sauver des animaux et laisser mourir des humains, avec le couple Adam et Eve, tout cela est passionnant, souriant, intelligent aussi, et agrémenté de bien des notes venant des évangiles…

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Le dessin et ses couleurs font de cet album un ouvrage qui peut parfois faire penser à la bd sud-américaine, par son travail soigné des aplats noirs, font surtout de ce livre une œuvre originale, avec un superbe sens de la mise en scène. Avec, également, des références cinématographiques, à Cocteau ou à Bergmann, par exemple. Un livre étonnant, donc, et qui mérite le détour !

Thierry Robin

C’est un livre étonnant, oui ! Et à quoi servirait l’art, dites-moi, le neuvième en l’occurrence, s’il n’était pas capable de nous surprendre ! Et, ce faisant, de nous faire réfléchir à cette société dans laquelle nous vivons et dans laquelle, finalement, le « fantastique » occupe une vraie place souvent prépondérante ! Bien plus « humaine » que la sacro-sainte raison qui occupe, de nos jours, le haut du pavé !

Jacques et Josiane Schraûwen

Jésus Aux Enfers (auteur : Thierry Robin – éditeur : Soleil/Quadrants – avril 2025 – 120 pages)

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Calamity Jane – Entre légende et réalité

Calamity Jane – Entre légende et réalité

Dans la série « La véritable histoire du Far-West », les éditions Glénat nous offrent un portrait sans fioritures d’une femme légendaire…

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Tous les enfants, je pense, aiment les héros sans peur et sans reproche, les Robin des Bois, les D’Artagnan… Le monde de l’Ouest américain a ainsi nourri cette manière pratiquement sociétale de sérier les humains en bons et en méchants. Pourtant, j’ai vite, enfant, préféré Gary Cooper, personnage souvent ambigu, à John Wayne, image de l’homme fort et toujours « juste » ! Audie Murphy, lui, me donnait des boutons par son côté lisse et bien sage, bien gentil… Pour d’identiques raisons inconscientes, j’ai vite trouvé Tintin mièvre et sans grand intérêt, au contraire de Haddock.

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Tout cela pour vous dire que je trouve important, aujourd’hui, qu’on puisse donner un relief de chair à quelques idoles adulées ! Et ce « Calamity Jane » le fait, à merveille, en s’écartant volontairement de tout ce qu’a fini par représenter cette femme dans l’imaginaire collectif ! Aller au-delà du symbole en parlant de cette héroïne de l’Ouest américain, c’est retrouver Martha Jane Cannary derrière l’image bien trop formatée que le vingtième siècle a voulu retenir d’elle…

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Oui, Calamity Jane était une femme « forte » dans un monde de mâles… Oui, Calamity Jane n’avait aucun respect pour toutes les conventions imposées par les hommes… Oui, Calamity Jane aimait par-dessus tout la liberté… Oui, Calamity Jane a vécu, à sa manière, plusieurs vies, vivant dans une maison close, éclaireuse dans l’armée américaine, amoureuse de Wild Bill Hickok, infirmière frôlant la mort, vulgaire et directe dans ses propos…

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Elle appartient, de ce fait, à la mythologie américaine… Elle est devenue également de ce fait, le symbole d’une forme de féminisme qui la revendique comme modèle d’émancipation. Nombre de livres ont été ainsi publiés, la « racontant » avec plus ou moins de justesse… Parce que cette femme d’exception s’est toujours baladée, dans sa vie, entre légende et réalité, entre mythomanie et vérité, nourrissant de ses souvenances sans cesse réinventées son image. Une phrase de ce livre résume, à sa manière, le portrait de Martha Jane Cannary : « … comme si s’en tenir au réel ne lui était pas suffisant » !

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Et cette bande dessinée parvient à nous montrer cette femme telle qu’elle a été. Par la grâce d’un scénario, signé Marie Bardiaux-Vaïente, qui aime se balader entre différentes époques pour mieux définir, ou redéfinir, les chemins qui ont fait de Calamity Jane une icône incontestable. On peut parfois, c’est vrai, se perdre un peu dans ces allers-retours, mais ils sont là comme des miroirs de ce que fut l’existence de cette femme, de ce que fut aussi l’invention qu’elle fit elle-même de sa vie… Et il y a le dessin de Gaëlle Hersent, efficace, dans la tradition du genre western dans le monde du neuvième art, mais faisant preuve d’une belle originalité dans le traitement des différentes époques « racontées », grâce à sa couleur, grâce à son trait, grâce aussi à un certain sens de la caricature…

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C’est une femme, une vraie femme de chair qui se dessine et se raconte dans ce livre… Elle redevint à la mode par la publication, par une pseudo-fille qu’elle aurait eue, de lettres dont la véracité est largement mise en doute, et c’est ainsi au vingtième siècle qu’elle s’est faite, disparue depuis longtemps, le symbole d’un combat féminin… Au travers d’une forme d’illusion, peut-être, de croire à la liberté dans un monde d’hommes, dans cet Ouest américain raciste, machiste, violent… Et cet album a pu bénéficier de l’aide d’un historien français, ce qui le rend, même au travers d’imaginations évidentes de la part des auteurs comme du personnage réel, d’une sorte d’objectivité importante lorsqu’on parle du passé… Et l’album se termine par un dossier extrêmement bien fait, sans être pédant, qui nous plonge dans un Far-West sans fioritures, et donc très peu idyllique !

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J’ai toujours aimé le western, dans le septième comme dans le neuvième art… Et j’ai pris beaucoup de plaisir à lire cet album, à en savourer la construction, à en aimer les jeux de lumière, tant dans le graphisme que dans l’analyse des personnages… Un bon livre, donc, incontestablement !

Jacques et Josiane Schraûwen

Calamity Jane (dessin et couleur : Gaëlle Hersent – scénario : Marie Bardiaux-Vaïente – conseiller historique : Farid Ameur – éditeur : Glénat – septembre 2024 – 56 pages)