Mermaid Project : tome 5

Mermaid Project : tome 5

Fin d’un premier cycle pour cette série tous-publics qui, sous couvert de science-fiction, nous parle de l’évolution de notre propre univers.

Ce tome 5 termine un premier cycle. Le premier cycle d’une saga de science-fiction qui nous plonge dans un avenir plus ou moins proche, un avenir qui a vu les valeurs et les pouvoirs actuels basculer totalement, donnant le pouvoir aux pays émergents, créant la prédominance de l’homme noir sur l’homme blanc. Un monde, cependant, dans lequel certaines réalités contemporaines existent encore et toujours : la recherche de profit à tout prix, les conflits de pouvoir, les expérimentations les plus insensées, comme celle de créer une race de nouvelles  » sirènes « , des êtres hybrides entre dauphins et humains, improbables, impossibles et innommables…

Dans cette série, vous l’aurez compris, on aborde des thèmes qui ne peuvent que nous faire réfléchir à ce que nous sommes toutes et tous en train de vivre comme quotidiens inacceptables. Cela en fait aussi une série au texte omniprésent, au scénario touffu, parfois même quelque peu confus, avec des personnages qui changent, évoluent, jouent avec leurs propres apparences plurielles.

Pour arriver à un résultat qui tienne la route, le dessinateur, Fred Simon, à partir du scénario de Corine Jamar et Leo, a fait tout un travail qui lui a permis de construire un récit linéaire dans lequel le lecteur ne se perd jamais vraiment.

Corine Jamar: le scénario
Fred Simon: le scénario

Le dessin de Fred Simon ne brille sans doute pas par son originalité, mais, cependant, il a une vraie touche personnelle. Inspiré quelque peu par l’univers manga, dans la simplicité des expressions des visages par exemple, il l’est également par la culture franco-belge au niveau du découpage et de l’importance à accorder à la lisibilité d’une histoire.

Il est, en fait, un de ces dessinateurs qui désire, d’abord et avant tout, se mettre au service de l’histoire qu’il a à raconter, et de rendre son dessin accessible à toutes et tous pour que le récit soit le plus parlant possible, pour que chacun puisse y trouver plaisirs, celui de plonger dans son graphisme simple et laissant une belle place à l’émotion, malgré tout, et celui du texte, important dans tout ce qu’il dit ou laisse deviner…

Fred Simon: le dessin

Il y a dans cette série des planches qui, véritablement, se laissent admirer. Et si certains esprits chagrins parlent, ici et là, d’histoires déjà mille fois vues, c’est qu’ils n’ont pas pris le temps de lire vraiment les cinq volumes de cette série. Le scénario, comme la plupart des scénarios d’ailleurs, picore un peu partout ses influences, ses inspirations, mais il est efficace, tout comme le dessin. Et les pages dans lesquelles dauphins et baleines, nature et cité prennent la plus grande place, ces planches-là sont extrêmement réussies.

 

Jacques Schraûwen

Mermaid Project : tome 5 (dessin : Fred Simon – scénario : Corine Jamar et Leo – éditeur : Dargaud)

Le Coup de Prague : un très bel album et une superbe exposition à voir à Bruxelles jusqu’au 13 mai 2017

Le Coup de Prague : un très bel album et une superbe exposition à voir à Bruxelles jusqu’au 13 mai 2017

A Vienne, Graham Greene fait des repérages pour le film qu’il doit scénariser,  » Le Troisième Homme « . Espions, espionnes et proches des nazis sont au rendez-vous dans un univers en déliquescence…

1948… La capitale de l’Autriche est, comme l’Europe, divisée en plusieurs zones d’influence et de gestion. Des égouts au métro, des ruelles sombres aux palaces encore debout, Vienne est aussi une cité dans laquelle se vivent les trafics les plus inacceptables, les rencontres les plus improbables, les faux-semblants et les déguisements. Une cité, surtout, dans laquelle l’espionnage international tente, parfois désespérément, de préparer une nouvelle Europe.

Et c’est dans ce monde à la recherche de lui-même que débarquent les deux héros de cet album. Graham Greene, auteur à la recherche d’inspiration, de décors, d’ambiances, mais aussi personnage trouble qui semble s’amuser à espionner. Et ensuite, la belle Elisabeth, actrice, sans doute, aventurière, certainement, espionne non repentie aussi et surtout !

Miles Hyman, le dessinateur, nous a habitués à nous plonger à sa suite dans des années disparues. Pour Jean-Luc Fromental, le scénariste, cette immersion dans la fin des années 40 allait de soi, vu le sujet choisi. Il y a dans cette démarche double une forme de nostalgie, sans doute. Mais une nostalgie qui ouvre, aussi, des portes avec nos présents…

Miles Hyman: la nostalgie
Jean-Luc Fromental: la nostalgie

 

Même si le personnage central reste l’écrivain/scénariste Graham Greene, le choix narratif de Fromental a été de choisir Elisabeth comme fil conducteur, tantôt femme fatale, tantôt féministe, tantôt amoureuse, tantôt perdue. C’est elle, accompagnatrice de choix, qui ponctue et rythme le récit, narratrice d’une histoire dans laquelle s’engluent réalités et sentiments, fiction littéraire et réalités glauques.

Jean-Luc Fromental est un auteur extrêmement éclectique, romancier, scénariste pour le cinéma et la télé (Navarro, par exemple…), rédacteur en chef du mythique Métal Hurlant.

Et sa manière d’envisager un scénario, de le construire, d’aimer piéger son lecteur en jouant sans cesse sur les apparences et les sentiments, sa façon d’écrire se nourrit bien évidemment de tous ses centres d’intérêt, de toutes ses incursions dans les nombreux domaines de la culture populaire. Il a, incontestablement, une vue extrêmement précise sur ce qu’est le neuvième art, et sur la manière d’en faire un outil culturel essentiel.

Jean-Luc Fromental: bd et scénario
Jean-Luc Fromental: la construction du scénario

L’actualité de ce  » Coup de Prague « , c’est bien sûr cet album superbe, superbement dessiné, aux couleurs et aux lumières omniprésentes.

L’actualité de ce  » Coup de Prague « , c’est aussi une exposition à la galerie Champaka des planches originales de cet album. Des planches dessinées au fusain, donc en noir et blanc, exclusivement. De quoi pouvoir admirer de tout près la maîtrise technique de Miles Hyman. De quoi aussi apprécier, en comparant la planche originale et le résultat final dans l’album, de comprendre que la technique de colorisation assistée par ordinateur peut être proche de la perfection artistique !

Miles Hyman, comme le dit Jean-Luc Fromental, est un chirurgien du dessin, et il le prouve, tant graphiquement que grâce à ces couleurs et ces lumières qu’il réussit à imprimer à tout son livre. Son art se nourrit du plaisir qui est encore toujours le sien à créer des illustrations, mais il dépasse cette approche illustrative de la bd en construisant ses planches avec une méticulosité également narrative.

Miles Hyman: le dessin et la couleur
Miles Hyman: illustration et bd

Ce  » Coup de Prague  » est un livre ambitieux, et l’ambiance qui en nimbe chaque page est celle du chef d’œuvre cinématographique  » Le troisième homme « . Bien sûr, la lecture n’en est pas toujours facile, ce qui est une caractéristique de toutes les œuvres qui s’intéressent à l’espionnage. Bien sûr aussi, cette lecture sera plus aisée pour ceux qui ont vu « Le Troisième Homme  » et qui ont lu Graham Greene.

Mais cet album est aussi un excellent livre qui se savoure autant avec les yeux qu’avec l’intelligence. Un livre qui est né, sans aucun doute possible, de plus qu’une complicité entre le scénariste et le dessinateur, d’une véritable osmose artistique entre eux deux, faite d’un respect mutuel et d’une envie commune à raconter et à charpenter une histoire solide.

Jean-Luc Fromental: la collaboration entre deux auteurs

Ce livre ne peut qu’avoir sa place dans votre bibliothèque… Une bonne place ! Et vous ne pourrez qu’être séduits par l’exposition qui lui est consacrée, une exposition dans laquelle tout l’art de Miles Hyman se révèle sans apprêts inutiles !

 

Jacques Schraûwen

Le Coup de Prague (dessin : Miles Hyman – scénario : Jean-Luc Fromental – éditeur : Dupuis – exposition à la galerie Champaka jusqu’au 13 mai – rue Ernest Allard 27 – 1000 Bruxelles)

Loup

Loup

Une fable animalière qui nous parle de mémoire, d’identité, d’art et d’amour…

C’est une fable, oui, parce que, depuis Esope, on sait que rien n’est plus proche, symboliquement, de l’être humain que l’animal humanisé.

Et c’est bien d’une bd animalière qu’il s’agit, ici. Une histoire qui met en scène un être venu d’on ne sait où, découvert errant dans une forêt. Un personnage nu, et vide de toute souvenance. Plus anonyme que les anonymes du quotidien, il n’est plus que néant puisqu’il ne se reconnaît pas et que personne ne le connaît…

Jusqu’au jour où, par hasard, il entre dans un lieu où la musique est reine. Et là, il se découvre un talent inouï pour la guitare. Il prend le nom de scène de Loup, tout simplement, et se lance à l’assaut d’une vie de richesse et de succès. Mais d’une vie dans laquelle il ne trouve toujours pas qui il est… Sans identité, sans connaissance de sa propre vérité, peut-on être totalement artiste ? C’est, d’une certaine manière, ce qu’il se pose comme question, ce que cet album nous pose comme interrogation…

Renaud Dillies: l’identité

 

Renaud Dillies, à qui on doit le très surréaliste  » Saveur Coco « , et la superbe série  » Abélard « , est un dessinateur français qui vit en Belgique, dans la région de Tournai. Et sa manière de raconter des histoires ne ressemble à aucune autre. Il a un sens de l’ellipse, graphiquement, qui entraîne le lecteur dans des plages de réflexion tranquille. Tranquille, et poétique. Parce qu’il y a chez Dillies, incontestablement, et dans chacun de ses albums, une entrée dans le monde, dans le quotidien, dans l’art même, qui ne peut être que faite de poésie.

Une des autres caractéristiques de ses choix narratifs, c’est qu’il a besoin, toujours, de mettre l’humain au centre de son propos, au centre de gravité, ai-je envie de dire, de tout ce qui mérite d’être raconté.

L’humain, oui, caché sous des symboles animaliers, comme dans les fables de La Fontaine. Mais Dillies ne nous donne aucune leçon, il nous montre à voir ce qu’l voit lui-même, un monde qui s’enrichit exclusivement des différences qu’il génère.

Renaud Dillies: la différence et l’humanisme

 

Dans ce  » Loup « , Dillies joue avec les mots, les images, les souvenirs et les fictions.

Il joue aussi avec les sentiments humains, la solitude, la peur du lendemain, l’angoisse du jour à venir ou de celui qu’on a oublié.

Il joue aussi avec les apparences, le Loup, son personnage central, ne devenant lui-même, sans doute, qu’en portant un masque, le plus simple des masques, un loup…

Mais ce qui forme aussi, et surtout sans doute, la trame de cet album-ci, c’est l’art. La musique, omniprésente, qui devient, par elle-même, une identité qu’assume le personnage central, Loup.

Mais cette identité, artistique, entraîne la perte d’autres possibles. Celui de l’amour, qui ne peut, finalement, que se vivre en dehors des normes établies par la société. Et par la mémoire…

La musique est le média qu’a choisi Dillies, finalement, pour nous parler de la nécessité de chercher sans cesse le  » je suis « , le  » je serais « , le  » peut-être « …

Et ce n’est pas sans raison, ou plutôt contre toute raison, que la dernière page de ce livre nous montre un héros anonyme s’enfouissant dans la nature en jouant de la guitare, et en voulant aimer avec folie !

Renaud Dillies: la musique

 

Depuis quelques années, depuis que Renaud Dillies s’est éloigné des voies toutes tracées d’une bd académique, il n’arrête pas d’étonner, et se construit une carrière riche de poésie, de mots, de regard, de bonheurs simples à partager.

Et ce  » Loup « , croyez-moi, vaut vraiment la peine d’être découvert, d’être partagé, lui aussi !…

 

Jacques Schraûwen

Loup (auteur : Renaud Dillies – éditeur : Dargaud)