Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Puisque nous voici dans ce qu’on peut appeler le mois de la rentrée littéraire, je vais donc, pourquoi pas, sacrifier à cette mode éditoriale de mettre en avant un livre qui vient tout juste de sortir de presse.

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Une des nouveautés de cette rentrée littéraire, en bande dessinée, correspond à ce qu’on pourrait appeler l’air du temps… Cela veut dire que cet album, riche de quelque 400 pages, aborde un thème que l’actualité met de nos jours très souvent en évidence, et très souvent avec justesse, à défaut de justice, je veux parler des violences faites aux femmes.

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C’est donc un livre ancré dans l’actualité, un livre dans lequel les autrices, Géraldine Grenet au scénario et Marie-Ange Rousseau au dessin, dépassent le militantisme, pour nous parler de cette réalité inacceptable et, ce faisant, de chercher à en faire comprendre les rouages aux lecteurs que nous sommes. Ces violences, elles nous les racontent, elles nous les expliquent, elles nous disent ce qu’elles ont été, et la façon dont, au fil des ans, et depuis peu finalement, elles sont devenues une vérité tangible pour l’opinion publique, pour la justice aussi.

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Et ce livre, vous l’aurez compris, se veut d’abord et avant tout didactique. Et pour ce faire, les autrices l’ont construit en différents chapitres et sous-chapitres, particulièrement bien documentés, particulièrement bien ouverts à différents témoignages également. Cet album prend donc l’apparence d’une sorte d’encyclopédie, d’une sorte d’enquête plutôt autour d’une thématique dans laquelle, qu’on le veuille ou non, l’horreur est omniprésente.

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En premier lieu, les autrices s’intéressent à l’histoire de ces violences, en élargissant le propos, en s’intéressant à la réalité internationale, en définissant différents pôles de ces violences, qui peuvent être sexuelles, économiques, psychologiques, voire même institutionnelles. Ce premier chapitre se veut descriptif, explicatif, et permet au lecteur d’entrer ainsi de plain-pied dans le sujet qui va faire tout le contenu de ce livre.

Dans un deuxième chapitre, les autrices nous parlent des lieux de vie dans lesquels jaillissent ces violences, et abordent ainsi des réalités qui dépassent, et c’est tant mieux, le seul cadre d’une forme grave du sexisme. Il s’agit, par exemple, de rappeler que l’inceste, donc la violence dans le strict cadre familial, est sans doute un fléau que la justice n’a toujours pas pris profondément en compte. Il s’agit aussi de ce qu’on peut appeler, dans différents pays autour du monde, et parfois très proches du nôtre, de la violence faite aux femmes de façon institutionnelle, au travers d’un rapport de pouvoirs.

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Le troisième chapitre est celui de la santé, et de l’accueil hospitalier réservé aux femmes violentées. Là aussi, les deux autrices enfoncent quelques portes inattendues, grâce entre autres à des témoignages qui nous montrent, que l’accueil hospitalier n’est pas toujours meilleur que celui des commissariats.  Et, enfin, le dernier chapitre, lui, s’intéresse au système juridique et judiciaire… Et ce domaine-là n’est pas le plus reluisant, vous vous en doutez !

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C’est bien à un large panorama de ces violences que nous confronte ce livre… De manière féministe, militante, savante, donc parfois un peu pesante, c’est vrai. Mais le dessin, simple, sans fioritures, laisse la place aux mots… A un langage qui, passant par un média populaire, celui du neuvième art, devient lisible par tout un chacun, et s’éloigne de ce militantisme pour ouvrir un dialogue, une réflexion en tout cas, et en profondeur… La contextualisation du propos n’a rien de trop manichéen, et si on peut reprocher, ici et là, des propos sans doute trop définitifs, ce livre est important… Ce n’est pas de vulgarisation, qu’il s’agit, mais d’un désir de provoquer véritablement une prise de conscience ! Et à ce titre, comme je le disais plus haut, ce livre est plus qu’un objet de mode, un ouvrage important, qui a comme but de chasser le silence pour que les mots et les actes puissent prendre le pas sur une horreur souvent quotidienne.

Jacques Et Josiane Schraûwen

Les Combattantes (dessin : Marie-Ange Rousseau – scénario : Géraldine Grenet – éditeur : Delcourt – sortie le 3 septembre 2025 – 400 pages)

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Le « fantastique » a toujours fait partie intégrante de mes plaisirs de lecteur, depuis ma découverte, adolescent, de Jean Ray, de Gérard Prévot, de Marcel Béalu, de Claude Seignolle… Et, dans le cadre de la bande dessinée belgo-française, Philippe Foerster en est le héraut incontestable !

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Mais Philippe Foerster fut aussi scénariste, de temps à autre, en une époque lointaine où, avec Cossu, Andreas et Berthet, ils partageaient un atelier. Et la rencontre, ainsi, s’est faite, tout naturellement, entre l’imaginaire extrêmement large de Foerster et le graphisme au réalisme original de Berthet. Le résultat : un western dans lequel le fantastique, cher à Foerster, n’est pas présent !

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Ce western, paru initialement il y a une trentaine d’années si je ne m’abuse, joue avec les genres et les codes pour nous parler de Calamity Jane, de Hickok, d’un truand tueur se baladant avec le cercueil d’un ami, avec des chasseurs de prime, avec un gamin sourd-muet sans doute. Je le disais, tous les codes y sont : l’Histoire de l’Ouest américain en fond d’écran, avec Little Big Horn, par exemple, la violence gratuite, l’alcool, la mort, la légende et la réalité triviale…

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Mais les genres, eux, multiplient les références et les accents : il y a du gore, il y a des ambiances glauques et moites, il y a du western pur et dur, il y a de la grande Histoire, et même des envolées presque bibliques. Du Tarentino dessiné, en quelques sorte, avant Tarentino ! C’est, vous l’aurez compris, un excellent album que celui-ci, dans lequel la couleur occupe une place essentielle. Une réédition vraiment réussie, avec un dossier de Charles-Louis Detournay qui ne manque pas d’intérêt… Avec un scénariste d’un talent évident, que j’ai eu le plaisir de rencontrer…

Philippe Foerster

J’ai déjà parlé de Philippe Foerster dans mes chroniques, à l’occasion, entre autres, de la sortie d’un album paru chez mes amis Eliane et Cédric, de Forbidden zone, « Noir c’est Noir« .

J’ai déjà parlé avec lui de cette passion qu’il a du genre fantastique, de cette faculté qui est la sienne de créer l’horreur avec des sourires stridents, de mêler à l’innommable quelques étranges tendresses.

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Rencontrer Philippe Foerster, c’est toujours rencontrer quelqu’un qui a une vue de son métier qui manque parfois cruellement à certains auteurs mis en évidence par des médias quelconques. C’est toujours un moment de choix, comme perdu dans les méandres du temps…

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Et je n’ai pas résisté, bien évidemment, cette fois encore, à l’envie de le faire parler de ce fantastique à la belge qui est le sien, de l’écouter parler de ses influences, de Gotlib aussi…

Philippe Foerster

De nouvelles aventures dessinées par Foerster sont à venir, m’a-t-il dit. En attendant, se plonger ou se replonger dans ses livres, comme dans ceux de son complice Philippe Berthet, cela fait partie totalement du plaisir de lire, du plaisir d’aller à la rencontre d’univers extrêmement personnels et originaux…

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Et ces « Chiens De Prairie » qui unissent leurs deux talents, croyez-moi, en une réédition réussie, méritent véritablement le détour !

Jacques et Josiane Schraûwen

Chiens De Prairie (dessin : Philippe Berthet – scénario : Philippe Foerster – couleur : Dominique David – éditeur : Anspach – mai 2025 – 64 pages)

Confessions d’un faucheur – Et si la mort avait besoin d’aide pour accomplir son travail !

Confessions d’un faucheur – Et si la mort avait besoin d’aide pour accomplir son travail !

L’île d’Om, c’est le lieu où les humains se retrouvent lorsque âme et conscience sont définitivement séparées. Et pour couper les fils qui relient ces deux évidences de l’existence, la grande faucheuse a bien besoin d’employés… Les faucheurs, et certains d’entre eux se racontent dans cet album…

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Vous l’aurez compris, l’univers de Marc Jondot, l’auteur complet de cet album, nous entraîne dans des lieux et des mondes, des imaginaires et des devinés, où la vie et l’ailleurs se mêlent intimement. Un univers nourri de l’image que la mort a créée de civilisation en civilisation : une image qui, tout compte fait, et même si elle est toujours superbement influencée par une culture précise, une image, oui, qui de pays en pays, de siècle en siècle, se fait universelle !

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Plus qu’à la vie, n’appartenons-nous pas tous à la mort, d’abord et avant tout ? N’avons-nous pas, à ce sujet, les mêmes interrogations, les mêmes doutes, les mêmes espérances qu’en ont eu nos ancêtres ? L’homme n’a-t-il pas toujours dû vivre avec cette idée de l’inéluctable départ, avec une sorte d’obligation morale de lui donner une apparence, de l’apprivoiser, en quelque sorte, pour apprivoiser aussi la peur que ce départ ne peut que provoquer en toute âme humaine ?

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Je disais donc que la Mort avait, en finalité, la même représentation, en partie, partout dans le monde et dans l’Histoire… La grande faucheuse, de ce fait, a permis que se créent des légendes, des romans, des rêveries, de toutes sortes. La grande faucheuse est devenue, culturellement parlant, un élément majeur de la littérature, la « gothique » bien évidemment, la « fantastique » encore plus, mais toutes les littératures, aussi !

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Et donc, avec cet album somptueux, nous apprenons que la Mort, très occupée, à gérer entre autres, sans doute, l’île d’Om, a besoin d’aide… Donc d’aidants… Donc d’employés qu’elle envoie, au travers d’une administration rigoureuse et stricte, dans le monde des vivants pour y trancher quelques fils d’argent reliant âmes et consciences, et emmener ensuite les corps jusqu’à cette île qui, sans doute, sera leur ultime demeure. Et dans cet album, l’auteur imagine la discussion entre deux de ces aidants… Deux de ces faucheurs… Se confessent-ils ?… Pas vraiment, non : ils dialoguent, ils parlent de leurs souvenirs professionnels… Et, ce faisant, ils parlent de leurs échecs, de leurs bévues, de leurs bêtises… Parce que, dans toute organisation administrative, et la mort en fait partie, les choses dérapent, parfois… Souvent… Et c’est au travers de ces récits mêlés que ce livre, de fantastique oppressant qu’il est au départ et de par sa thématique, devient souriant… Ce n’est certes pas un humour tonitruant qu’on y croise en page en page, mais un humour sombre, avec des sourires plus que des rires, et, ma foi, avec des réflexions qui dépassent la seule lecture d’un très bel et très bon album !

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On a un peu l’impression, en passant de planche en planche, de se balader dans un environnement que Jean Ray ou Marcel Béalu n’auraient pas rejeté… Un univers quelque peu fantomatique, dans lequel les contrastes de couleurs font de chaque personnage croisé un élément de plus dans le voyage que l’on fait entre réalité et légende, entre légendes inventées, même, entre imaginaire et hantises existentielles… Ne croise-t-on pas, aux détours d’une confidence de faucheur, le fameux comte de Saint-Germain qui se disait éternel ?… Ne découvre-t-on pas que même la mort et ses serviteurs peuvent devoir faire face à des échecs cuisants ? Cuisants, oui, mais empreints toujours d’une fameuse dose d’humour noir !

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Le dessin de Marc Jondot, dans la filiation des plus grands dessinateurs sud-américains du genre, est d’une véritable maîtrise, tant dans le trait que dans la couleur, tant dans l’architecture des récits que dans la construction des planches. Même si je ne peux que reprocher quelques fautes d’orthographe, cet album est une réussite, sans aucun doute, lui qui nous donne, à sa manière, un florilège des échecs, ceux de la mort comme ceux de la vie, un florilège qui devient aussi le sel même de l’existence. Les faucheurs sont nos miroirs, et le dernier message qu’ils nous donnent dans ce livre est assez simple et tellement important : pour se sentir vivant, il faut toujours avoir une histoire à raconter et à partager… Donc une bonne bande dessinée à lire !

Jacques et Josiane Schraûwen

Confessions d’un faucheur (auteur : Jondot – éditeur : Mosquito – 69 pages)