Revoir Comanche – Romain Renard reçoit le Prix Atomium Fédération Wallonie-Bruxelles

Revoir Comanche – Romain Renard reçoit le Prix Atomium Fédération Wallonie-Bruxelles

Tout le monde a déjà parlé de ce livre, je le sais bien… Il a remporté le prix Rossel, l’année dernière… Et, en outre, vous savez le peu d’importance que j’attache aux récompenses de toutes sortes. Mais ici, avec cet album, cette pléthore de « reconnaissances » fait croire que le neuvième art n’est, finalement, pas uniquement affaire mercantile… Et je prends plaisir à remettre en lumière cette chronique vieille de plusieurs mois…

copyright le lombard

Depuis les débuts de Romain Renard, j’ai eu à cœur de souligner ses immenses qualités… Depuis toujours, je n’ai jamais caché la passion que j’avais et que j’ai toujours pour un autre dessinateur, Hermann… Et ici, dans un chef d’œuvre total, ces deux univers se mélangent… Je ne peux donc qu’en dire tout le bien que j’en pense !

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Même si, sur le site du Lombard, on parle d’un western, tout comme on parle aussi d’un roman graphique, avec cet album exceptionnel, véritablement exceptionnel, on se trouve dans un autre univers. L’univers d’un auteur complet, d’un scénariste, d’un dessinateur, d’un musicien, d’un artiste n’ayant pas peur de montrer ses admirations. On se trouve en présence d’un album de bd, simplement, dans lequel le thème du western n’est, finalement, qu’un simple rapport avec le passé. La thématique de ce livre est universelle, elle parle de la fuite du temps, de la mort inexorable, de l’amour, de la haine, de la mémoire et de ses fidélités. Ce livre nous parle de nos propres angoisses à toutes et à tous.

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Remettons le récit que nous offre Roman Renard dans son contexte… « Comanche », c’est une série western qui a vu le jour dans les années 70, sous la plume de Greg et le pinceau d’Hermann. Une série western qui s’éloignait de tout ce qui, dans ce domaine, existait déjà, de Blueberry à Jerry Spring. Pendant plus de 20 albums, si ma mémoire ne me trahit pas, on a pu suivre un vrai récit adulte, dans un ranch tenu par une femme, la belle Comanche, un récit d’aventures, bien évidemment, mais aussi un récit qui abordait de front le thème du racisme. Une bande dessinée qui mettait en avant quatre personnages dont on n’imaginait pas, jusque-là, qu’ils puissent être les héros d’une série à succès : une femme, un cow-boy iconique, un Noir, un Indien…

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Et dans cet album, on retrouve Red Dust, le cow-boy créé par Hermann, des années plus tard, en un début de vingtième siècle dans lequel il se sent ne plus exister. Un homme âgé qui, ours tapi dans sa tanière, attend la mort… Un homme qui a changé de nom, aussi, comme s’il avait voulu tout effacer de son passé… Un homme dont l’existence, il le sait, n’a rien eu d’héroïque et ne mérite pas que quiconque puisse s’y intéresser.

Et voici qu’arrive une jeune femme enceinte, Vivienne, une bibliothécaire qui fait un travail sur la réalité au-delà des légendes, du « far-west ». Et elle annonce à Red Dust que, dans ses recherches, elle avait voulu retrouver les membres de ce ranch oublié, le Triple Six, mais que Comanche, sa belle propriétaire, ne répondait à aucun message.

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Red Dust, aux profondeurs de sa vieillesse, n’a jamais oublié cette époque lointaine de son existence… Il ne la magnifie pas, loin s’en faut, mais il ne la renie nullement… Et ce qu’il ne renie pas non plus, c’est le mot « fidélité », surtout à l’égard de Comanche, cette femme qu’il a fuie, pour ne pas, sans doute, lui avouer son amour… Et cet homme bourru, carré, aux cheveux blancs, à la moustache presque conquérante, va accompagner cette jeune femme inconnue jusqu’au ranch de sa jeunesse, traversant plusieurs états, ne reconnaissant rien, sauf les paysages peut-être, de ses vingt ans… Et même s’il est en route vers cette jeunesse qui fut sienne, il est surtout en quête de lui-même… Comme s’il avait besoin, hanté par des fantômes, de conclure sa vie par des retrouvailles avec ce qu’elle aurait pu être…

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Il y a dans ce livre bien des chemins ouverts par Romain Renard. Un auteur qui crée une bande-son pour ce qui est une longue balade dans un monde qui se meurt, avec des « héros » qui n’y sont déjà presque plus vivants. Une musique profonde… De cette country ayant un jour ouvert ses rythmes à la révolte… Dylan, Pete Seeger, Cohen, et bien d’autres, choisis par Romain Renard ou par nos souvenances musicales de lecteurs, accompagnent ainsi la longue marche de Red Dust vers son ultime destin.

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Le dessin de Romain Renard devient ainsi une partition qui mêle l’image, le son, le rêve, la réalité, l’espérance et le désespoir. L’amour et la mort, également, et l’amitié et la haine, toutes des réalités qui dépassent le temps de vivre…

C’est un livre envoûtant… C’est un livre qui, graphiquement, atteint des niveaux de narration et de beauté jamais égalés jusqu’ici. C’est un livre dans lequel souffle le vent du désert, dans lequel, sans avoir l’air d’y toucher, son auteur touche à l’infini, à l’éternité, à la nécessité d’ouvrir les yeux… C’est un livre qui, au travers de petites touches, de petits récits vécus le long de la route, dessine en effet les pourtours d’une société malade, déjà, d’elle-même…

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Et puis, et j’allais dire surtout, c’est un livre qui, à sa façon, rend hommage à l’immense Hermann, lui qui a hissé la bande dessinée réaliste en des sommets de qualité que d’aucuns, de nos jours, osent critiquer… Hermann est présent partout dans cet album. Parce que Red Dust, sans doute, lui ressemble, physiquement sans doute, mais moralement aussi… Red Dust, qui donne à un bébé le nom de son père, qu’il semble à peine murmurer : Hermann… Comme pour nous dire, les yeux dans les yeux, que rien jamais ne se termine, et que la mémoire, bien plus qu’un hommage, est ce qui sous-tend cet album de bande dessinée qu’il ne faut, à aucun prix, rater !

Jacques et Josiane Schraûwen

Revoir Comanche (auteur : Romain Renard – éditeur : Le Lombard – octobre 2024 – 150 pages)

Red Gun – Du western, du polar, deux albums à savourer !

Red Gun – Du western, du polar, deux albums à savourer !

Le Western, régulièrement, trouve une nouvelle jeunesse, que ce soit dans le septième ou le neuvième art. Innover en la matière n’est pas toujours aisé. Mais cette série-ci parvient, croyez-moi, à étonner !!! Et avec talent…

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Deux albums sont déjà parus, qui mettent en scène l’Ouest américain, après la guerre de sécession. Le général Dodge dirige le chantier du Transcontinental, un train qui devra relier la côte Ouest à la côte Est des Etats-Unis. Un chantier dans lequel des milliers de travailleurs, venus de tous les horizons possibles, forment une humanité dans laquelle être et rester humain n’est pas facile. Dans le premier de ces deux livres, « La Voie du Sang », Dodge fait appel à Terence Nichols, qui autrefois a servi sous ses ordres, pour trouver un assassin qui tue les prostituées en les éventrant. Dans le deuxième volume de cette série, « Le Silence de Jack », Terence Nichols, désormais engagé par Dodge, va devoir trouver une bande de hors-la-loi qui a tué une femme dans une attaque de train, laissant derrière elle deux orphelins, une jeune fille et un gamin, Jack, muet… Deux orphelins dont Terence va s’occuper…

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Nichols a un surnom, Red Gun, inspiré par la couleur de la crosse de son arme : Rouge comme le sang… Comme la mémoire, aussi… C’est un personnage étrange, presque ambigu, qui se scarifie comme pour mieux se punir, ou mieux se souvenir… C’est un personnage complexe, et je ne vous dirai rien ni de son passé, ni des deux « enquêtes » qu’on le voit faire dans ces deux épisodes, chacun formant un récit complet.

Mais sachez que c’est du western, bien évidemment, avec tous les codes du genre… Du western pur et dur, oui, et rien n’est embelli de cet univers dans lequel la violence, la mort, l’horreur et l’injustice régnaient en maîtres absolus. Un western dans lequel les personnages sont bien campés, dans lequel la narration est sans temps morts, dans lequel les seconds rôles eux-mêmes ont de la chair… C’est aussi un western dont le scénario de Jean-Charles Gaudin, étrangement, et avec une vraie réussite, s’écarte des sentiers battus, en y ajoutant une forme de polar à l’américaine des années 50… Et c’est ce mélange de codes très différents les uns des autres, celui de l’Ouest américain et celui du roman policier glauque, qui fait de cette jeune série une vraie réussite. Tout comme les à-côtés de l’histoire racontée, qui parlent de passé, de remords, de regrets, de haines toujours démultipliées par la folie humaine…

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Pour parvenir à cette réussite, pour faire de Red Gun un personnage entier, solide, original, il a fallu que la dessinatrice, Giulia Francesca Massaglia, accompagne avec à la fois de la liberté et de la contrainte un récit qui se devait, en même temps, d’être original et respectueux d’un genre graphique précis jusque dans la démesure des dessins acceptant de rendre compte d’une forme d’horreur quotidienne…

Cette dessinatrice italienne, ainsi, assume avec une forme d’élégance l’influence d’une bd-western transalpine à succès, « Tex ». Mais ses références, et je ne parle pas d’influences, s’élargissent aussi vers d’autres styles de dessin… Je pense à Yves Swolfs et son excellent « Durango » bien plus qu’à Giraud…

Ce dessin, bien évidemment, est d’un réalisme évident, parfois même dérangeant. Mais il fallait cela pour que le récit lui-même, nous montrant des personnages qui n’ont rien d’héroïque, nous montrant la violence quotidienne utilisée par les responsables de la sécurité de ce chantier de chemin de fer, il fallait que soient contournés et oubliés les codes bien sages et bien lisses d’un western à la John Wayne… Et c’est bien le cas…

Utilisant avec un vrai talent de metteur en scène les plongées et les contre-plongées, les approches graphiques des visages, les ambiances triviales et chaudes des scènes de groupe, cette dessinatrice faite vivre des tas de « rôles », premiers ou seconds, qu’on reconnaît de page en page sans difficulté…

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Pour arriver à cela, à faire de chaque planche une description d’ambiance, il fallait aussi que la couleur devienne un véritable enjeu de la création. Cette couleur est due à Facio, et elle nous fait ressentir à merveille les températures et les lieux, les saloons, les rues boueuses, les chemins désertiques, la pluie… On se balade ainsi, avec « Red Gun », dans des univers de couleurs qui, à leur manière, et sans le dire, forment un peu comme des chapitres, plus que de simples séquences.

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Donc, deux albums sont déjà parus, et on ne peut qu’attendre le suivant avec plaisir ! Il y a du sang, de la violence, un peu d’humanité, et une intrigue réussie, tout ce qu’il faut pour de la bd passionnante ! Il y a du corps dans le scénario, comme dans le dessin, et Red Gun est, sans aucun doute, un personnage attachant dont on devine que le passé va nous faire découvrir bien des vérités passionnées…

Jacques et Josiane Schraûwen

Red Gun – « La Voie du Sang » et « Le Silence de Jack » (dessin : Giulia Francesca Massaglia – scénario : Jean-Charles Gaudin – couleurs : Facio – éditeur : Soleil – 2024 et 2025 – 56 pages chaque album)

Revoir Paris – Une nouvelle aventure d’Alphonse Madiba dit Daudet

Revoir Paris – Une nouvelle aventure d’Alphonse Madiba dit Daudet

Troisième épisode d’une aventure picaresque et colorée, cet album prouve que la bande dessinée est un langage universel et culturel, et encore plus lorsqu’elle se veut iconoclaste et joue avec des « clichés » pourtant peu sympathiques !

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Alphonse Madiba a vécu, de manière illégale bien sûr, en France. C’est de ce pays que lui est venu son sobriquet, « Daudet », lorsque, dans le deuxième épisode de cette série, il s’est retrouvé renvoyé dans son pays, la « Balaphonie ». Un deuxième épisode qui l’a vu sans vergogne user d’arnaques, de mensonges, d’attitudes prétentieuses parfois, pleurnichardes d’autres fois, tout cela pour retourner dans cette terre promise européenne, une terre dans laquelle, pourtant, on ne peut pas dire qu’il ait vécu la plus belle des harmonies ! Mais que voulez-vous, les mirages ont la vie dure !

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Dans ce troisième album, il est donc toujours en Afrique… On l’a accusé d’homosexualité, il s’est retrouvé en prison, mais il parvient à retrouver la liberté. Une liberté qui n’a de sens, pour lui, que pour arriver à ses fins, s’en aller, loin, aller retrouver Paris… Pour ce faire, il va encore une fois tout essayer, tout oser ! Il va même se faire assistant-élève d’un sorcier bidon… S’associer avec une ancienne gardienne de prison qui lui a permis de prouver qu’il n’était pas gay… S’acoquiner avec un policier pour lequel l’argent, d’où qu’il vienne, est toujours bon à prendre…

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Je parlais de clichés, et c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette série, dans cet album. Tant au niveau du dessin que du texte, c’est le portrait vu d’Europe d’un continent qui ne fait plus rêver, et qui fait plus que friser le ridicule. Cette Europe, cette France surtout dans laquelle, un jour, Daudet s’est fait le chantre d’autres ridicules, à la peau claire, eux ! Et c’est ce que j’aime énormément dans les aventures de Madiba : si Al’Mata au dessin et Enomo au scénario usent de ces fameux clichés, ils n’en abusent pas, ils s’amusent même à en démonter, tranquillement, les mécanismes!

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Au contraire, ces clichés leur permettent de faire rire ou sourire, de nous dévoiler, en fait, que derrière les apparences grotesques se cachent à peine des réalités qui, elles, n’ont rien de risible… L’immigration est, bien évidemment, présente… Mais la corruption aussi… La misère… La politique avec, en fonds d’écran dirais-je, les bons conseils des Européens… Ces Européens qui, finalement, ont des « croyances » qui valent bien celles des sorciers africains, puisque, dans la ville où survit, en rêvant à des ailleurs enchanteurs, Madiba, un colloque est organisé avec des spécialistes français des elfes, des fées et « d’autres petits trucs »… Et Madiba, du coup, se définit tout seul comme spécialiste balaphonien des elfes africains, de façon à pouvoir, à son tour, aller en France pour en parler !

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C’est comme un miroir, finalement : le vieux pseudo-savant venu de France, pour retrouver la pureté d’une culture qu’il ne connaît pas, n’est pas moins ridicule que Madiba ! Cela dit, si le sérieux du propos est bien présent, comme toujours dans les productions de cette excellente maison d’édition, « L’Harmattan », il n’a rien de pesant, que du contraire ! Les aventures de Madiba, ses efforts à la Tartarin, ses mensonges à la Tarascon, c’est cela qui construit le livre, qui le rend souriant, endiablé, formidablement marrant, aussi… Et, de ce fait, tolérant, intelligent, et donc éminemment culturel… Humaniste…

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Le scénariste Edimo mêle, littérairement, avec talent l’art de la caricature à celui du mouvement, à celui du langage, aussi. Aucun temps mort dans son récit, on se trouve, sans aucun doute possible, dans une « comédie » qui pourrait n’être que dramatique et qui se révèle superbement amusante !

Quant au dessin d’Al’Mata, au fil des albums il a perdu son côté naïf, pour laisser la place à une sorte de semi-réalisme qui permet à la narration d’être à la fois très visuelle, très fidèle aux paysages africains, et à la fois suffisamment en recul de cette réalité pour pouvoir dessiner de la vie les folies, les dérives, toujours avec de grands éclats de rire !

Ses « trognes », celle du flic entre autres, sont fabuleuses… Tout comme est fabuleux son sens de la lumière…

Un livre, croyez-moi, à ne pas rater !

Jacques et Josiane Schraûwen

Revoir Paris – Une nouvelle aventure d’Alphonse Madiba dit Daudet (dessin : Al’Mata – scénario : Edimo – éditeur : L’HarmattanBD – 2024 – 71 pages)