Rubine : 14. Serial Lover

Rubine : 14. Serial Lover

Amour, jeux de dupes, mariage(s), humour et vengeance !

Le retour, après dix ans, d’une femme-flic au tempérament volcanique, cela ne se rate pas ! Tout comme ne se rate pas l’arrivée d’un éditeur qui, d’album en album, rend hommage aux auteurs belgo-français !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

En Louisiane, jour de mariage ! La belle et riche Eileen Lerouge va unir sa vie avec Trevor Smith. Une union qui n’a pas l’heur de plaire, c‘est le moins qu’on puisse dire, à la mère de la future mariée. Une désunion, plutôt, pour cette femme austère soucieuse, d’abord, des apparences.

La garden-party bat son plein… Mais à l’instant de la cérémonie, religieuse bien sûr, plus de fiancé… Il a disparu… Totalement, même, puisque l’enquête qui s’en suit montre que Trevor existait bien, mais à l’état de mort depuis deux mois…

Trois années se passent… Jusqu’à ce que la belle et blonde Eileen reconnaisse, à la télévision, celui qui se disait être l’oncle du disparu…

Et voilà donc l’enquête relancée, sous la houlette, évidemment, de la rousse Rubine, de son adjointe Shirley et de l’analyste Anton.

Une enquête qui va les mener à découvrir que le disparu n’avait pas qu’une seule existence, qu’une seule identité ! Et que toutes ces existences dessinent la silhouette de ce qu’on peut appeler un homme à femmes… Un « sérial lover » !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Rubine découvre assez vite que Trevor travaillait pour une agence pour cœurs solitaires. Et son enquête, donc, va la pousser à rencontrer plusieurs des femmes conquises et séduites par celui qui jouait sa vie de faux-semblant en véritables empathies.

Et si tout porte à croire qu’il a été tué, l’image qu’il laisse de lui auprès de toutes les femmes qui l’ont aimé (presque toutes…) ne souffre d’aucune vraie critique…

Le scénario de Mythic est enlevé, sans beaucoup de temps morts, avec, de ci de là, des petits manquements qui ne portent pas vraiment à conséquence.

Comme dans les épisodes précédents, les personnages centraux sont des femmes… Séduisantes, bien évidemment, modernes, sexy même. C’est en quelque sorte la constante à la fois chez Walthéry, superviseur de cette série, et chez Di Sano, l’actuel dessinateur. Les hommes ne sont que des faire-valoir, ou des êtres sans consistance, des maris ou pères qui ont juste le droit de se taire, et encore !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

De là à dire qu’il s’agit d’une série féministe, il y a un pas que je ne franchis pas ! C’est une bd policière pétrie à la fois d’humour et de réalisme dans le récit des méandres de l’enquête. On sent que le scénariste s’est nourri aux polars américains des années 50, qu’il en a supprimé les privés alcoolos et désabusés pour les remplacer par des femmes qui, même si elles ont l’air d’être des vamps, sont surtout des femmes fortes, intelligentes, passionnées et, ma foi, passionnantes.

Je parlais d’humour, et c’est un plaisir que de reconnaître, au hasard des planches, des personnages connus, des auteurs de bd, par exemple, amis de Walthéry. Et de se plonger dans des dialogues qui ne manquent pas, eux non plus, de clins d’œil.

Mais cela reste une très agréable bande dessinée policière, avec les codes en vigueur dans ce genre littéraire bien utilisés, donc bien détournés aussi… Avec des dialogues serrés, et un dessin attachant. Un dessin souple, souriant, un graphisme qui ne s’attarde que très peu sur les décors pour laisser la place centrale aux personnages. Avec, comme toujours chez Di Sano, un vrai sens du mouvement.

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Et même si je peux déplorer quelques fautes d‘orthographe, je ne peux que faire part, ici, du plaisir qui a été le lien à retrouver la rousse Rubine en action… Dans un livre qui nous fait découvrir, en arrière-plan, la pauvreté amoureuse, dans notre société, de bien des gens, des femmes et des hommes appartenant à toutes les classes sociales…

Ce que j’ai aimé, aussi, c’est qu’aucune de ces femmes « honteusement trompées » ne porte de jugement sur celui qi les a trahies, et que les auteurs eux-mêmes se refusent à juger ces quelques paumées de l’existence, avides seulement de rêves auxquels donner vie.

C’est de la bonne bd populaire, bien faite, agréable à lire et à regarder. C’est un retour gagnant, sans aucun doute ! Un vrai petit plaisir de lecture… Et comme nous vivons une époque dans laquelle les plaisirs et font rares, profitons-en !

Jacques Schraûwen

Rubine : 14. Serial Lover (Deqssin : François Walthéry et Bruno Di Sano – scénario : Mythic – couleurs : Stibane – éditeur : éditions du tiroir – 48 pages – mars 2021)

https://www.editions-du-tiroir.org/

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Rorbuer

Rorbuer

Prix de la Fédération Wallonie Bruxelles de la première œuvre en BD – Un avis mitigé !

C’est à un livre à l’accès très particulier que ce prix a été remis… Un livre très éloigné de tous les codes traditionnels de la bande dessinée. Un véritable « Objet Dessiné Non Identifiable »…

Rorbuer © Super Loto Éditions

Quatre chapitres… Une cinquantaine de planches totalement muettes… Une narration qui, à aucun moment, ne se veut facile… Des couleurs essentiellement chaudes dans lesquelles les personnages non identifiables se perdent et semblent s’immerger… Des symboles inconnus dans lesquels, malgré tout, on retrouve des thèmes universels, celui de la mort, celui de l’ailleurs… Des dessins aux traits le plus souvent absents… Des passants qui, tous, semblent être les copies les uns des autres… Un graphisme qui paraît presque imposé au papier par des mains enfantines…

C’est vraiment à un album étrange que ce prix a été décerné, il faut l’avouer. Et pour comprendre un tant soit peu ce que ce livre nous raconte, ou essaie plutôt de nous montrer, il faut attendre l’ultime page, sur laquelle Aurélie Wilmet nous donne la signification des quatre intitulés des chapitres de cet album.

Rorbuer © Super Loto Éditions

Et on comprend alors qu’on ne se trouve pas uniquement en présence d’un exercice de style quelque peu narcissique, et assez fort, également, hermétique.

Tout se déroule dans le Nord de l’Europe, en Norvège peut-être.

Tout se concentre sur un mysticisme quotidien au cœur du quotidien d’un village perdu loin de tout, loin de tous.

Mourir en mer, pendant la pêche, ce n’est, pour la foi et la tradition des habitants de ce lieu, qu’un passage de l’âme qui, le corps étant noyé, se mêle à des bancs de poissons pour pouvoir, un jour, un instant, traverser le monde des apparences, celui du deuil, et se plonger dans l’univers du brouillard.

Je parlais de symboles, ils sont nombreux… La mer, bien entendu, celle dont Baudelaire disait qu’elle était la compagne essentielle de l’Homme. La mer qui, par allitération, devient la mort, s’éloignant ainsi de l’habitude poétique de mêler mort et amour. Il y a un chat, que l’on pend, que l’on éviscère, comme pour contrer la possession, par les poissons que l’on sèche, de l’âme du défunt. Il y a des loups, et leurs libertés, ponctuées, dans ce livre, par leurs regards.

Rorbuer © Super Loto Éditions

Je dois faire un aveu. Devant ce livre, je suis comme « Les Bidochon » devant un tableau abstrait : « est-il beau ou pas, est-il fini, le titre n’aide en rien la compréhension, y a-t-il quelque chose à comprendre ? » !

Il y a une chose dont je suis certain, pourtant, c’est que ce livre, ce premier livre est à la fois très ambitieux dans sa thématique et très minimaliste dans sa forme et que, de ce fait, il ne pourra séduire, malgré la récompense obtenue, qu’une frange très limitée des lecteurs de bande dessinée.

Cela dit, il n’est pas désagréable du tout de se balader dans les planches de ce livre sans chercher à les comprendre, de se laisser entraîner, en quelque sorte, par une promenade colorée dans un graphisme muet et refusant de se laisser appréhender par l’esprit. Il y a une part d’abstraction, il y a une part aussi de refus de tout lyrisme, de toute explication… Il y a de la part de l’auteur, surtout, une volonté presque adolescente de se couper de tous les passés de l’art que, pourtant, elle veut pratiquer, celui que l’on dit neuvième.

Ce genre de bande dessinée, ce n’est pas, selon l’expression consacrée, ma tasse de thé, loin s’en faut ! Je reconnais cependant que ces « recherches » expérimentales ont une utilité, celle de dépasser les limites des habitudes de la création. Mais je reste persuadé qu’une bande dessinée, quelle qu’en soit la technique, se doit d’aller vers le lecteur et de ne pas attendre qu’il fasse seul l’effort de comprendre, donc de pouvoir apprécier, aimer ! Et ici, force est de reconnaître qu’il y a, à mon avis, rupture dans cet échange-là, primordial dans toute création littéraire et/ou graphique…

Rorbuer © Super Loto Éditions

Un livre intéressant, donc, pour les curieux, pour celles et ceux qui ont envie de découvrir ce que le mot « modernité » signifie, dans la bande dessinée, avec son lot de ruptures volontaires (et brutales…) avec la tradition… Un livre qui, indéniablement cette fois, montre que l’auteure a un vrai talent de dessinatrice, et que, peut-être, c’est ce talent, perdu dans les méandres d’un non-récit, que ce prix a couronné… C’est mon avis… Et je l’espère « juste », parce que, sinon, ce serait la preuve, une fois de plus, que les prix officiels, à Bruxelles comme à Angoulême, oublient que la réussite de toute création dépend aussi, et surtout peut-être, des lecteurs !

Jacques Schraûwen

Rorbuer (auteure : Aurelie Wimet – éditeur : Super Loto Éditions – une cinquantaine de pages – sortie : novembre 2020

Le Réveil du Tigre

Le Réveil du Tigre

Revoici CHINAMAN, un personnage envoûtant paru jusqu’en 2007, tout au long de neuf albums. Le temps a passé, et ce héros vit ici, dans un album somptueux qui se lit comme un one-shot, une aventure aussi violente qu’humaine !

Le Réveil du Tigre © Dupuis

Un résumé en début de ce livre est totalement inutile, en effet. Certes, le passé du personnage central est au centre même de l’intrigue, mais c’est un peu un homme neuf que l’on découvre dans une errance qui, on le devine très vite, sera celle de la rédemption.

Le passé est présent, oui… Il est celui d’un homme qui a dû se battre toute sa vie pour que soit respectées ses vérités d’homme venu d’ailleurs dans un pays neuf et, déjà, raciste. Ses yeux bridés l’ont poussé, lui, un ancien des tribades, à faire de son art de guerrier une arme redoutable contre l’injustice, la bêtise quotidienne, l’intransigeance idéologique. Une arme, aussi, contre ses sentiments amoureux…

Taduc : la mort et la violence

Mais voilà, le temps a passé… Chinaman a vécu la guerre, celle de Sécession qui n’a usé de la fin de l’esclavagisme que pour des raisons infiniment plus mercantiles. Il en est sorti blessé… Il en est sorti vivant mais déjà cultivant au jour le jour la déchéance de la mort à venir.

Le Réveil du Tigre © Dupuis

Cette guerre, en fond sonore ai-je envie de dire, est un élément moteur du récit. C’est par elle que le personnage principal s’est retrouvé en retrait de la vie, c’est par elle que sont nés des personnages variés qui, inéluctablement, vont obliger Chinaman à se restaurer à lui-même.

Taduc : la guerre de sécession, les personnages croisés dans ce livre

Parmi ces personnages, il y en a un, venu d’un passé que Chinaman ne se connaissait pas, mais un passé ancré profondément en lui, au plus vif de ses chairs. Dans les albums précédant celui-ci, on a pu suivre la vraie relation amoureuse de Chinaman, avec une femme le quittant, finalement, pour ne pas se perdre à son tour dans le monde de violence et de mort nimbant toute l’existence de cet homme qu’elle aimait. Chinaman ne l’a jamais oubliée. Sans savoir qu’en partant, elle portait son fils.

Un fils qui, dans ce réveil du tigre, cherche et retrouve son vrai père, sans pour autant renier son père adoptif.

Le Réveil du Tigre © Dupuis

La réflexion, dès lors, dépasse la simple relation d’une aventure « western », la seule relation de l’histoire d’un homme cherchant à redevenir lui-même. La réflexion porte aussi, en demi-teinte, sur la filiation, le sens de la famille, le sens, aussi, surtout peut-être, de l’appartenance par le hasard ou la volonté à des vérités indicibles et essentielles. A une filiation qui devient comme un lieu de l’âme où la rédemption peut enfin prendre vie.

Taduc : la filiation…

Dans les neuf albums précédents, on parlait de la fièvre de l’or. Ici, les années ayant passé, c’est d’or noir que l’on parle. Mais avec la même thématique de pouvoir, de puissance, de compromissions, de vols, de terreur.

Il est vrai que tous les codes du western sont bien ancrés dans le récit de ce réveil du tigre. Un album très cinématographique, dans sa construction, dans ses références aussi. On peut penser, par exemple, à des films comme « Le jardin du diable », avec Gary Cooper, ou au film sublime « Les sept samouraïs » de Kurosawa, ou même au personnage superbe de Mifune dans « Soleil rouge ».

Le Réveil du Tigre © Dupuis

Il est tout aussi vrai que, de par le nombre de personnages secondaires, on se retrouve aussi en face d’une tragédie grecque, avec un chœur qui observe, qui juge, qui s’exprime, mais en retrait, pour laisser le sentiment, les sentiments se vivre à l’avant plan, pleinement et sans tabou ni pudeur.

Taduc : western et tragédie

Taduc a un style graphique qui s’adapte aux récits de ses scénaristes. Il ne dessine pas de la même manière la série des Chinaman, XIII ou Griffe d’or. Et avec ce livre-ci, on a l’impression qu’il a franchi un cap important dans sa manière de dessiner, sans doute, de raconter une histoire aussi.

La construction en chapitres de cet album lui permet par exemple de créer des séquences qui, pour indépendantes les unes des autres qu’elles puissent avoir l’air, lui donnent l’occasion de varier ses plaisirs de dessin et ceux de ses lecteurs qui ne peuvent qu’admirer le sens du mouvement qu’il inscrit à même ses planches, d’admirer aussi l’importance des regards en contre-point des paysages et des scènes de sauvagerie. Incontestablement, ce livre est un moment clé dans l’œuvre de Taduc et, probablement, dans celle de son scénariste Le Tendre également.

Taduc : le dessin et le scénario

Un des éléments importants dans la narration de cet album réside de manière flagrante dans la couleur. Nous sommes dans un western à la fois atypique et à la fois respectueux de ses thématiques. Et pour accentuer ces thèmes, justement, d’oppression, de violences gratuites, de souvenances insupportables (certaines, par ailleurs, rappellent d’identiques mémoires des crimes de ce qu’on appelle la dernière guerre mondiale), pour ajouter aux dialogues et à leurs silences, Taduc utilise la couleur, en usant de ses possibilités avec un brio évident.

Taduc : la couleur

Le western, au cinéma comme en bd, reste un genre dans lequel tout peut être fait, dit, montré.

Le Réveil du Tigre © Dupuis

Ce réveil du tigre fait partie des grandes réussites en ce domaine. Taduc a ses influences, mais il n’imite personne, loin s’en faut. Dans ce livre, il est lui-même, entièrement, avec une histoire dans laquelle, on le sent, il s’est énormément investi.

Chinaman, avec son réveil aujourd’hui, appartient véritablement à la famille des grands héros improbables du neuvième art !

Jacques Schraûwen

Le Réveil du Tigre (dessin : Olivier Taduc – scénario : Serge Le Tendre, Chantal Vincentelli, Olivier Taduc – couleur : Olivier Taduc assisté de Luc Perdriset – éditeur : Dupuis – 134 pages – janvier 2021)