Ras le bol – Des dessins d’humeur qui n’ont pas pris l’ombre d’une seule ride !

Ras le bol – Des dessins d’humeur qui n’ont pas pris l’ombre d’une seule ride !

On ne dira jamais assez combien le début des années 70 a été une époque d’invention, de liberté revendiquées et assumées, d’intelligence jamais formatée dans les dessins qui faisaient briller la presse dite d’opinion…

copyright Cardon

Et voici donc un recueil des dessins de presse (dans le journal « Humanité » essentiellement) réalisés par Cardon de l’année 1970 à l’année 1976. Des dessins qui, ma foi, auraient pu être faits aujourd’hui ! Auraient dû… Tant il est évident que les choses n’ont pas vraiment changé en un demi-siècle ! Toutes les attaques frontales que Cardon opère vis-à-vis d’une société dans laquelle il se sent peu à sa place, toutes les cibles qui sont les siennes sont toujours celles que les dessinateurs de presse pourraient viser aussi ! Sans doute le font-ils… En disant que les temps ont bien changé… Que, la presse d’opinion n’existant pratiquement plus, il s’agit d’être convivial… Je n’irai pas jusqu’à dire que le dessin de presse est devenu sage, quand même pas, mais il faut bien admettre qu’il s’est énormément édulcoré en un demi-siècle…

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Chez Cardon, il y a, c’est vrai, une vraie lutte latente dans tous ses dessins. Une sorte de violence, intellectuelle certes, mais appelant aussi à la lutte, la vraie… Avec la conscience, en même temps, que cette lutte que d’aucuns, en 1970, espéraient encore finale ne le sera jamais… Et aujourd’hui sans doute encore moins qu’hier !

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Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques mots écrits par l’écrivain belge Jacques Sternberg, au sujet de Cardon, dans « Les chefs d’œuvre du dessin d’humour », anthologie parue chez Planète en 1968.

« Ses dessins frappent par la charge de dynamite et de perfection qu’ils contiennent »

« Cardon est un des dessinateurs satiriques les plus violents qu’on ait eus en France. »

« Il manie l’insolite et l’inquiétude, … ses idées sont ahurissantes, son style ne doit rien à personne, l’exécution est sans bavures. »

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Ce livre publie les dessins de Cardon entre 1970 et 1976, et force est de reconnaître que la dynamite annoncée en 1968 par Sternberg n’a pas fait long feu, loin s’en faut ! Elle est toujours aussi virulente, toujours aussi puissante, et si on parle d’humour, c’est d’un humour qui fait grincer des dents plus que sourire.

Il y a chez Cardon moins de désespoir que chez Chaval ou Bosc, il y a moins de poésie provocatrice que chez Topor, un peu moins de perfection graphique que chez Gourmelin… Mais le regard est identique, et terriblement et merveilleusement engagé.

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Partagé en chapitres, chacun d’entre eux consacré à une année, ce livre nous permet de retrouver, presque au quotidien, ce que fut l’histoire de France (et des dictatures à travers le monde) entre 1970 et 1976, grâce à des têtes de chapitres résumant les points forts à chaque fois de l’année concernée.

Mais ce qui est important, évidemment, c’est le talent de Cardon… Un dessin en noir et blanc, extrêmement expressif, avec, de temps en temps, des moments travaillés longuement, et, le plus souvent, des idées mises en dessin dans l’immédiateté du propos. Mais toujours sans que rien ne soit bâclé…

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Je disais que les thèmes abordés par Cardon en ces années-là sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Jugez-en: la place des voitures, l’immigration, les vieux, le travail et le patronat, les élections, le pouvoir politique et le pouvoir du fric, l’écologie, la pollution, une loi de 1970 dite « anti-casseur » contre les manifestants qui auraient le toupet d’être violents… Et j’en passe!

Tout cela est abordé par Cardon avec son engagement politique personnel… Mais ce qui est surtout intéressant, c’est de s’apercevoir que cet engagement est surtout humain… Culturel… Avec quelques références à Marcel Thiry ou à Magritte, par exemple, à Prévert aussi, à Mac Orlan…

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Cardon est un artiste dont les coups de gueule face au quotidien deviennent des dessins… Des coups de gueule qui sont à la fois comme des rêves et de la colère… Avec, parfois, une forme de surréalisme absurde.

Avec aussi quelques phrases en presque-aphorismes : « combien de joies contient un cercueil ? », « plus le mur me ressemble, plus je ressemble au mur » !…

Ce ras le bol de Cardon est sans doute également aussi celui qu’on peut avoir vis-à-vis d’une société qui n’a fait, semble-t-il, depuis 1970, que mal évoluer…

Il ne faisait pas plus beau hier qu’aujourd’hui, loin de là ! Mais hier, on se battait au quotidien pour la liberté… Celle de l’individu aussi… Un mot qui revient dans ce livre, un mot qui résume, à lui tout seul, le travail et l’art de Cardon !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ras le bol (auteur : Cardon – éditeur : Les Requins Marteaux et Super Loto éditions – 2023 – 255 pages)

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Best Of ROBIN – C’est Parti Mon Shérif !

Les premiers soubresauts de la bande dessinée, tant au niveau du graphisme que du scénario, ont essentiellement choisi l’humour et la déraison… Robin Dubois est incontestablement à situer dans la lignée de cette réalité du neuvième art !

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Loin de moi l’idée, ni l’envie d’ailleurs, de me lancer dans un pensum consacré à l’Histoire de la BD.

Mais ce que je trouve important, en une époque où bien des dessinateurs et des scénaristes, enfin reconnus comme artistes, se cherchent des alibis culturels pour tenter de faire oublier qu’ils sont auteurs de bd, je trouve essentiel, oui, de se souvenir que les « romans graphiques » souvent pompeux et pompants n’existeraient pas sans ce qui fut et reste de la bande dessinée populaire !

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Et, sans aucun doute, le héros dessiné Robin Dubois fait partie intégrante de cet art populaire que j’aime, ici, mettre assez fréquemment en évidence.

Ses auteurs, le scénariste Bob de Groot et le dessinateur Turk, ont dû très certainement adorer Tex Avery, tant leur façon de construire des gags, visuellement, allie la folie, la déraison, la démesure… On se tape dessus, sans se faire trop mal évidemment, on aborde des sujets quotidiens pour mieux en ridiculiser les travers, le trait se fait caricatural pour exprimer des sentiments irréalistes, les grimaces des personnages aiment à accentuer la force d’un gag.

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Ce personnage a vu le jour à la toute fin des années 60, et n’a arrêté de faire rire ses lecteurs qu’en 1998. Faire rire, oui… Vous savez, cette espèce de spontanéité physique dont on dit qu’elle est ce qui différencie l’homme de son environnement… Sans doute cette affirmation est-elle fausse, mais il n’empêche que le rire reste un moyen d’évasion facile et accessible à tout un chacun.

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Et l’homme étant ce qu’il est, le chemin emprunté par Turk et de Groot correspond parfaitement aux routes de l’humour les plus ancrées dans l’âme humaine : le pastiche, la façon détournée d’aborder l’Histoire et d‘en ôter tout sérieux pour mieux la triturer et la rendre absurde, ce qu’elle est déjà le plus souvent naturellement !

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Avant Léonard de Vinci, c’est donc Robin Des Bois que nos deux compères se sont amusés à égratigner…

Loin d’Errol Flynn, de Costner, de Richard Todd, de Sean Connery et même de Disney, le personnage mythique (et ne correspondant que de très loin à l’icône que le cinéma a faite de lui) du héros sans peur et sans reproche est ainsi devenu l’anti-héros de plusieurs centaines de gags déjantés, tout comme son compagnon le stupide shérif, son épouse acariâtre qui n’est pas sans rappeler une certaine cantatrice de la ligne claire, tout comme aussi ce prisonnier à l‘imposante barbe présent presque d’album en album.

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Et donc, voici un best-of… Un choix de cent pages, de cent gags, tout simplement… Inégaux, bien évidemment, le contraire serait impossible, mais tous parfaitement représentatifs de l’humour décalé de ses auteurs, du côté absurde de cette série qui a fait les beaux jours du journal Tintin.

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C’est un album hommage, en quelque sorte. A deux auteurs extrêmement prolifiques, bien sûr, mais aussi à cette bande dessinée aux résultats immédiats, cette bd populaire , c’est-à-dire proche des gens, proche des enfants comme de leurs parents, cette bd qui ne se prend pas au sérieux et qui, de ce fait, devient partie intégrante du plaisir de la lecture… Robin Dubois, ce fut aussi une série plébiscitée par ses lecteurs, grâce au référendum du journal Tintin qui mit par huit fois le tandem Turk-de Groot en première position !

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Un livre sympathique, qui rappellera sans doute pas mal de souvenirs à bien des lecteurs, et qui ne demande qu’à se faire découvrir par de nouveaux fans !…

Jacques et Josiane Schraûwen

Best Of ROBIN – C’est Parti Mon Shérif ! (dessin : Turk – scénario : Bob de Groot – éditeur : Le Lombard – 112 pages – juin 2023)

Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort

Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort

Un héros mythique dont la nouvelle existence est une totale réussite !

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Zidrou, scénariste, ne manque pas de culot, et il lui en a fallu pour réussir à moderniser ce personnage qui, en son temps, était presque une sorte de double réaliste d’un Tintin bien sage et bien gentil… Pour le moderniser, oui, tout en l’ancrant totalement dans les années 70, des années qui, après une révolution plus ou moins ratée, étaient celle d’une sorte de renouveau du sens de la liberté. Pour le moderniser sans pour autant, surtout, le dénaturer.

Ric Hochet reste un journaliste aventurier, aimant rouler en voiture sportive, aimant se coltiner avec le mystère, amoureux sans vouloir vraiment officialiser cet amour, sûr de lui… Tout cet adn se trouve bien présent dans ce sixième opus d’une série désormais dessinée par l’excellent Van Liemt.

Mais Ric, au fil de ces six albums, prend de plus en plus « chair », révèle ses failles, ses faiblesses, ses certitudes battues en brèche. Il devient de plus en plus humain, tout simplement ! Mais toujours en étant comme un chevalier sans peur et sans reproche toujours prêt à enquêter pour élucider une affaire crapuleuse !

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Et, dans ce tiercé de la mort, on peut en effet dire que le côté crapuleux est bien présent !

Il y a de la violence, il y a du sang, il y a des victimes choisies au hasard, il y a du chantage, il y a des aveugles, vrais ou faux, il y a une association de malfaiteurs qui s’appelle « la ligue braille »… On n’est plus vraiment dans la construction des scénarios de Duchâteau, quelque peu  convenus, le plus souvent, prévisibles aussi… Avec Zidrou, on s’éloigne de l’univers de Stanislas-André Steeman, mentor de Duchâteau, pour se plonger bien plus dans l’ambiance des polars des années 70, durs, critiques vis-à-vis de la société, ces romans de Manchette, de Demouzon, d‘Andrevon, Vautrin, Siniac, entre autres…

Avec Zidrou, on se trouve aussi dans un monde d’humour, de cet humour quelque peu potache que Tibet adorait et dont il faisait amplement usage dans ses Chick Bill !…

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Du côté du dessin, cette modernisation existe aussi. Le trait de Simon Van Liemt réussit à faire preuve d’originalité, dans les perspectives, par exemple, dans le découpage également, mais il s’inscrit totalement dans la continuité du graphisme de Tibet. Jusque dans le plaisir que Van Liemt a à caricaturer des personnages connus pour jouer le rôle des acteurs de second plan !

En fait, il y a une vraie complicité entre le dessinateur et le scénariste, qui permet à cette « reprise » s’être bien plus qu’une opération de marketing nostalgique ! Une complicité qui est aussi celle vécue avec le maître des couleurs, François Cerminaro, qui parvient à trouver des ambiances plus proches de la « Trilogie Noire » (de Daoudi d’après Léo Malet) que des épisodes originels de Ric Hochet…

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On s’amuse… On suit, en même temps, une enquête parfaitement orchestrée… On prend plaisir à chercher les références que Zidrou cache entre deux bulles, comme de nous parler de Gourio et de ses brèves de comptoir. Ou de nous remettre en mémoire Stewball…

En pratiquant, au début de l’album du moins, une narration éclatée, Zidrou se permet de retrouver des références à la série de Tibet elle-même, et, ce faisant, de donner l’envie de la relire; mais il y a aussi d’autres références… Cet album voit le retour, malheureusement bien bref, de « Grevisse », personnage au langage très particulier, et dont les interventions, entre Audiard et San-Antonio, émaillent d’éclats de rire cet album !

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Et puis, comme très souvent avec Zidrou, il y a quand même, au-delà de la seule aventure policière, des côtés sérieux… Moralistes, presque, dans le sens noble du terme. « La vie est un pari, écrit-il, la mort votre seul gain garanti. » Parce que ce livre-ci, c’est un peu cela, tout compte fait : une fable sur notre société qui, qu’on le veuille ou non, nous pousse à parier sur la mort… Comme chez Stephen King… A parier, aussi, autour de la mort… La mort de ces anonymes, par exemple, qui ont construit des stades de football dont l’absurde le dispute à la connerie.

Oui, Zidrou, toujours, fait des ponts entre l’imaginaire de ses récits et le réel de notre société, de ce qu’elle est en train de devenir. Le choix qu’il a fait, dans cet album, de le construire autour d’un thème sportif n’est certainement pas gratuit ! Aime-t-il le sport ? Peut-être ?… Mais ce qu’il n’aime pas, sans aucun doute possible, c’est l’immoralité qui devient le label du sport autour des dieux Argent et Politique… Le PMU dans ce livre, c’est le rêve imposé, par le pouvoir, d’une vie meilleure accessible au seul hasard… Le gros Léon brille sur petit écran, dans les années 70 et dans cet album, comme y brillent de nos jours des hommes et des femmes acceptant, le sourire aux lèvres, de formater leurs téléspectateurs…

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Zidrou, en fait, dans bien de ses scénarios, parie sur l’intelligence de ses lecteurs.

Donnez-lui raison en savourant, pleinement, ce Ric Hochet de haute tenue, souriant, sérieux, passionnant !

Jacques et Josiane Schaûwen

Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort (dessin : Simon Van Liemt – scénario : Zidrou – couleur : François Cerminaro – éditeur : Le Lombard – septembre 2022 – 48 pages)