Le retour de Thorgal, avec un nouveau scénariste, Xavier Dorison : du sang neuf pour une série qui réussit –à nouveau- à surprendre, à émerveiller !…
le feu écarlate – © Le Lombard
Thorgal continue sa quête : retrouver son fils Aniel, enlevé par des sorciers qui voient en lui la réincarnation du Grand Maître de leur ordre. C’est dans la ville de Bag Dadh, assiégée, qu’il le retrouve enfin. Mais l’enfant muet, sous la houlette des magiciens rouges, a retrouvé la parole et se révèle sans pitié pour qui que ce soit, riche d’un pouvoir qui fait du feu son allié les plus cruel.
A partir de ce canevas tout compte fait dans la lignée de Van Hamme et Sente, on aurait pu s’attendre à un album de plus parlant de pouvoir, de luttes pour la possession et la richesse, quelles que soient les formes que peuvent prendre ces réalités toujours présentes dans les scénarios de Van Hamme.
Mais ici, c’est Xavier Dorison qui s’attaque à cette bd mythique dont l’âge approche des 40 printemps. On lui doit déjà quelques séries de première qualité, comme le superbe Undertaker, l’étonnant HSE, le puissant Asgard… Et son entrée dans l’univers de Thorgal est à la hauteur de ses scénarios précédents, sans aucun doute possible !
On sent même, dans le suivi de cet album, dans sa construction graphique, dans la place que prennent les mots de page en page, on ressent que les deux auteurs, Rosinski, dessinateur réaliste exceptionnel, et Dorison, scénariste multiforme, on devine, oui, qu’ils ont acquis au cours de leur travail artistique une belle complicité.
Grzegorz Rosinski: le scénario
Xavier Dorison: le travail avec Rosinski
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le feu écarlate – © Le Lombard
Je le disais, avec Dorison, pas question de tomber dans les travers et les routines chères à d’autres scénaristes. Pas, non plus, fort heureusement, d’absence de fidélité à l’égard du personnage repris. C’est bien de Thorgal qu’il nous fait suivre les aventures, un Thorgal qui se retrouve en combat, non seulement pour sa survie et celle de ceux qu’il aime, mais aussi contre une évidente forme d’obscurantisme, d’intégrismes religieux, pluriels dans cet album comme dans la réalité d’hier et d’aujourd’hui.
Cependant, au-delà de cette lutte, au-delà des péripéties aventureuses qui émaillent cet album, au-delà de la violence, de la mort, de la trahison, de la haine, de la rédemption impossible, ce qui sous-tend ce » Feu écarlate « , c’est le côté humain de Thorgal. On le découvre prisonnier, meurtri moins dans le corps que dans l’âme. On le découvre aussi et surtout en recherche d’amour… Amour paternel à donner, amour filial à recevoir…
Parce que, finalement, c’est bien cela qui forme la vraie trame de ce livre : les relations entre un père et son fils, pris tous deux dans les remous d’une Histoire qui les dépasse et les oblige à s’opposer, à briser aussi les miroirs invisibles qui ne leur renvoient jamais que des débris de reflets d’eux-mêmes.
le feu écarlate – © Le Lombard
Rosinski est un des dessinateurs essentiels dans l’histoire de la bande dessinée réaliste de ces quarante dernières années, personne ne peut le nier. Un artiste complet qui, dans cet album, a joué avec la couleur.
Le rouge, couleur du sang, de la haine, de la violence, de la guerre est présent dans chaque planche. Progressivement, cette couleur qui est celle du feu donnant son titre à l’album, finit même par occuper pratiquement tout l’espace.
C’est vrai qu’en ouvrant le livre, on est immédiatement frappé par cette teinte puissante et omniprésente, très lumineuse, très flashy même… Frappé, étonné, déstabilisé… Mais très vite, on entre dans l’histoire qui nous est racontée également grâce à cette couleur et à ses remous continuels, à ses mouvances, à ses mouvements même, parfaitement maîtrisés par l’art de Rosinski.
Ce qui m’a marqué aussi, à la lecture de ce » Feu écarlate « , c’est la manière dont Rosinski s’est approprié, plus me semble-t-il que dans ses précédents albums, son héros vieillissant. Les traits sont burinés, marqués, ils sont ceux d’un homme qui a souffert et qui ne le cache pas, ils sont ceux d’un héros qui fait preuve de fragilité. En même temps, la manière dont Rosinski s’approche au plus près du regard de Thorgal, et des yeux également de ses autres personnages, cette façon de nous accrocher à des regards variés participe à la puissance du récit et, surtout, au fait que chaque lecteur se sente presque en dialogue avec Thorgal…
Grzegorz Rosinski: la couleur
Grzegorz Rosinski: le dessin
le feu écarlate – © Le Lombard
En commençant à lire ce livre, j’ai eu peur, je l’avoue, d’être obligé de me replonger dans les cinq précédents opus pour pouvoir ne pas me perdre en cours de route.
Mais là aussi, Dorison, tout de suite, a réussi à innover.
Sans être un one-shot, » Le feu écarlate « , grâce au résumé qui se trouve en début d’album, grâce aussi à la fluidité du récit, à la construction de cette histoire, cet album, oui, on y pénètre sans aucune difficulté. C’est là une rupture avec ce qu’était cette série jusqu’ici, une rupture qui mérite d’être soulignée, et qui est la preuve d’un respect que les auteurs ont, tous deux, pour leurs lecteurs, anciens ou nouveaux !
le feu écarlate – © Le Lombard
Thorgal est une série mythique de la bd réaliste. Rosinski en est depuis toujours le maître d’œuvre incontestable et incontesté. Et ici, avec ce » Feu écarlate « , il réussit encore à nous étonner, par la magie de sa couleur, lumineuse, essentielle, par la présence presque charnelle de son trait… Et si cet album nous étonne, m’étonne en tout cas, c’est aussi parce qu’il ne se contente pas de ronronner dans des habitudes par trop routinières. Et là, toute la grâce en revient à Dorison qui fait de Thorgal un héros de plus en plus moderne, tout en restant aussi un merveilleux personnage de tragédie !
Jacques Schraûwen
Thorgal : 35. Le feu écarlate (dessin Grzegorz Rosinski – scénario : Xavier Dorison – éditeur : Le Lombard – novembre 2016) Images:le feu écarlate – © Le Lombard