Dix livres de 2016 à découvrir, à redécouvrir, à (s’) offrir !

2016 a été une année fertile en parutions de qualité.

Au fil de cette année, j’ai tenté, au travers de mes chroniques, de vous donner un aperçu assez large de ce que j’aimais dans l’univers du neuvième art.

J’ai voulu ici épingler dix albums qui me semblent, avec le recul, sortir vraiment du lot. Dix livres, très différents les uns des autres, mais qui dressent une partie du paysage de la bd…

Et, le choix étant plus que difficile, j’ai ajouté, en fin de liste, quelques titres supplémentaires…

Bonne lecture à toutes et à tous !…

 

Jacques Schraûwen

 

Boule à zéro : https://www.rtbf.be/culture/article/detail_boule-a-zero-5-le-nerf-de-la-guerre-jacques-schrauwen?id=9211654

 

Chlorophylle et le monstre des trois sources : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_chlorophylle-et-le-monstre-des-trois-sources-jacques-schrauwen?id=9247265

 

Journal d’Anne Frank : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_journal-d-anne-frank-jacques-schrauwen?id=9250985

 

Les enfants de la résistance : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_les-enfants-de-la-resistance-2-premieres-repressions-jacques-schrauwen?id=9261024

 

Mon frère le chasseur : http://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_jusqu-au-28-aout-sarah-herlant-un-premier-livre-et-une-exposition-au-centre-belge-de-la-bande-dessinee-jacques-schrauwen?id=9348988

 

Les ogres-dieux : demi-sang : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_les-lectures-de-votre-ete-les-ogres-dieux-demi-sang-jacques-schrauwen?id=9376347

 

Là où vont les fourmis : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_la-ou-vont-les-fourmis-jacques-schrauwen?id=9430213

 

Le dernier assaut : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_le-dernier-assaut-un-album-un-cd-un-spectacle-jacques-schrauwen?id=9439029

 

Un bruit étrange et beau : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_un-bruit-etrange-et-beau-jacques-schrauwen?id=9439621

 

Magritte : https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_magritte-ceci-n-est-pas-une-biographie-jacques-schrauwen?id=9453408

 

Et aussi… L’homme qui tua Lucky Luke, Alvin, Watertown, Melville, Choc, Macaroni, Auschwitz, Filles des oiseaux, Iroquois, Spirou et la lumière de Bornéo…

L’Armée de l’Ombre : T4 – Nous étions des hommes (un album et une exposition à Bruxelles !)

L’Armée de l’Ombre : T4 – Nous étions des hommes (un album et une exposition à Bruxelles !)

 

L’armée de l’ombre – © éditions Paquet

Fin d’une série consacrée à des soldats allemands de la deuxième guerre : l’armée de l’ombre est celle de tous les vaincus de toutes les guerres du monde… A découvrir aux murs d’une nouvelle galerie bruxelloise et dans un album intelligent.

L’armée de l’ombre – © Editions Paquet

Tous les militaires verts de gris qu’on a vus vivre, survivre plutôt, dans les trois premiers volumes de cette série, se retrouvent sur les chemins de la défaite. De la débâcle, plutôt… Loin des plaines glacées de l’URSS où ils ont laissé leurs dernières illusions, ils traversent un pays, le leur, cette fameuse patrie qu’un führer fou leur a fait croire éternellement victorieuse, et ils ne rencontrent que ruines, cadavres, morts, encore, toujours.

Le dessin d’Olivier Speltens, dans cet ultime épisode de sa série, est sombre, et parle, au-delà des simples apparences, de l’homme, dans son ensemble, en prenant comme point de départ ces quelques soldats qui furent des hommes, et qui, peut-être, ne seront plus jamais que des ombres, les ombres de cette armée qui, de par son idéologie, n’est plus rien.

Ce qui me plaît surtout dans le travail d’Olivier Speltens, c’est le souci qu’il a, toujours, de ne pas laisser la place au sensationnalisme, de privilégier le récit à taille humaine plutôt que la fresque historique. Et qu’il le fait en décrivant, en racontant, sans porter de jugement, même et surtout quand il nous montre quelques scènes qui auraient pu avoir leur place dans l’époustouflant film de Bernhard Wicki,  » Le Pont « , et qui révèlent l’horreur des enfants soldats.

Il y a chez Speltens une certaine pudeur, tant dans le propos que dans le graphisme, pour nous raconter l’irracontable, et le tout dernier dessin de ce livre en est un exemple absolument extraordinaire : en un raccourci d’une redoutable efficacité, Olivier Speltens réussit, sans rien en montrer, à nous parler de l’horreur de la Shoah…

Son propos, finalement, est celui de la réflexion que chaque être humain se doit d’avoir face à des idées extrêmes, de quelque ordre qu’elles soient !

Olivier Speltens: les soldats

Olivier Speltens: les idéologies et leurs perdants

L’armée de l’ombre – © éditions Paquet

La guerre, bien entendu, avec son cortège de combats, d’explosions, de morts brutales, est omniprésente. Mais elle l’est aussi, essentiellement même, au travers des décors, au travers de l’environnement dans lequel évoluent ces quelques soldats qui n’ont plus qu’une seule envie, qu’une seule espérance, se rendre aux Américains plutôt que se faire prendre par les Russes. Et les paysages dans lesquels ils évoluent se devaient d’être à l’image de leurs sentiments, de leurs sensations, de leurs abandons, de leurs déroutes intimes.

Ce sont, dès lors, les ruines que met en évidence cet album. Et la dominance de la grisaille dans la couleur en accentue le poids, la lancinante présence.

C’est d’horreur que nous parle Olivier Speltens, et c’est d’horreur que se nourrit, mais encore une fois sans ostentation voyeuse, son dessin et sa colorisation.

Olivier Speltens: la couleur

Olivier Speltens: l’environnement, le décor

L’armée de l’ombre – © éditions Paquet

Olivier Speltens est un dessinateur réaliste difficile à situer. Je le placerais, personnellement, à la croisée de deux époques : celle des années 70, avec des dessinateurs comme Paape (ou, mais dans une évidente moindre mesure, Vassaux), et celle des années 90 avec l’avènement d’une nouvelle manière de raconter la grande Histoire.

Mais sa grande originalité, ou, plutôt, la vraie force de son dessin se situe dans la manière dont il travaille les visages et, surtout, les regards de ses personnages. Dans les yeux de ses soldats éperdument perdus, on lit la peur, le remords, la fatigue, la mort à venir, la souvenance infinie, et l’indicible souffrance…

Le regard humain dans ce qu’il peut avoir de plus désespéré, oui, voilà ce qui donne à ce livre une force sans apprêts.

Olivier Speltens: les regards

 

L’armée de l’ombre – © éditions Paquet

Au cinéma, il y a eu quelques films qui ont osé (La croix de Fer, de Sam Peckinpah, par exemple) montrer la guerre 40/45 du côté des vaincus. Dans l’univers de la BD, je n’ai pas souvenance de telle démarche, je l’avoue. C’est pour moi une raison supplémentaire d’aimer vraiment cette armée de l’ombre. Aucun angélisme, une vision qui est tout sauf manichéenne de la guerre, une approche de l’horreur universelle faite à taille humaine !… Une excellente série!…

 

Jacques Schraûwen

L’Armée de l’Ombre : T4 – Nous étions des hommes (auteur : Olivier Speltens – éditeur : Paquet – décembre 2016)

Exposition à la Galerie Neuvième art, rue de Villers 2 à 1000 Bruxelles, jusqu’au 14 janvier 2017.

 

Blake et Mortimer : Le Testament De William S. – Un nouvel album et une exposition à Bruxelles

Le testament de William S. – © édition

Blake et Mortimer continuent leur petit bonhomme de chemin, sous la houlette de Juillard et Sente, et ils s’exposent à la galerie Champaka à Bruxelles, jusqu’au 7 janvier 2017.

 

Le testament de William S. – © éditions Blake et Mortimer

Yves Sente est un scénariste qui connaît son métier, qui est capable aussi de s’intégrer totalement dans des univers créés par d’autres. Il le prouve avec Blake et Mortimer depuis un certain temps, avec un succès ma foi mérité.

André Juillard, quant à lui, fait partie de l’Histoire de la bande dessinée. La manière qui fut la sienne d’aborder la grande Histoire, avec entre autres  » Les sept vies de l’épervier « , a été un tournant important dans la narration historique du neuvième art, c’est une évidence.

Et c’est ensemble qu’ils parviennent à rendre vie à des héros mythiques de la bd, avec un respect total des codes qui furent ceux de Jacobs.

Cela dit, dans cet album-ci, même si ces fameux codes sont bien présents, le récit, lui, me paraît plus intemporel… Bien sûr, on se trouve en 1958, et cela se remarque dans certains décors, dans les voitures aussi. Mais le côté intimiste du scénario, la nécessité qui fut celle de Juillard de faire énormément de scènes d’intérieur, tout cela rend plus actuel cet album. On a l’impression, souvent, au fil des pages, que l’histoire qui nous y est racontée pourrait se vivre aujourd’hui.

Une impression que je vous invite d’ailleurs, à découvrir aux cimaises de la galerie Champaka à Bruxelles, jusqu’au 7 janvier prochain…

Yves Sente: un album intimiste et artistique

André Juillard: l’intemporalité

Le testament de William S. – © éditions Blake et Mortimer

L’histoire aurait plu, sans aucun doute, à Agatha Christie. On parle de Shakespeare, de Venise, de théâtre, de mystères autour de la véritable identité du dramaturge anglais, on passe d’un siècle à un autre… On enquête, surtout, d’énigme en énigme, pour arriver à découvrir qui était Shakespeare d’une part, et un texte inédit rédigé peu avant sa mort.

Le scénario de Yves Sente, du coup, se fait extrêmement artistique, littéraire, et André Juillard s’amuse à mettre sur les murs de ses personnages des œuvres picturales qui font penser à Arp, à Mondrian…

Bien sûr, il y a des méchants, des vrais, comme Olrik, mais qui, ici, n’a qu’un rôle très secondaire. Il y a aussi une enquête concernant un autre héritage, et, surtout, une bande de jeunes voyous…

Mais c’est vraiment l’art et la culture, tout compte fait, qui sont au centre de l’intrigue de cet album.

Et pour construire cette intrigue, Yves Sente, évidemment, a respecté intégralement les codes de Jacobs. Les textes sont nombreux, ils occupent un espace très important, ils racontent en quelque sorte ce qui se passe entre deux vignettes, entre deux dessins, entre deux pages.  Il y a un côté vieillot, certes, dans cette manière de travailler, dans cette manière de construire un album bd. Mais ce côté vieillot, vintage diraient certains, ne manque cependant pas d’intérêt, à partir du moment où, lecteur, on accepte de prendre le temps de faire autre chose que regarder uniquement les dessins.

Yves Sente: l’écriture

André Juillard: le dessin

Exposition chez Champaka – © Juillard

Ce qui est intéressant aussi, dans cet album, c’est que Mortimer et Blake suivent tous les deux une enquête différente. Blake à Londres pourchasse les jeunes truands qui attaquent le soir venu des riches passants, et Mortimer, lui, cherche à résoudre, en très agréable compagnie, le mystère de Shakespeare.

Un des éléments qui change aussi, dans ce  » Testament « , de ce que les lecteurs fidèles de Jacobs ont connu, c’est la présence importante d’un élément féminin, d’une jeune femme, oui, qui occupe un large espace, et sans laquelle, d’ailleurs, les énigmes successives menant à la résolution du mystère n’auraient pas été résolues.

Et puis, il y a, par petites touches, quelques révélations sur le passé de Mortimer. Son passé amoureux, même !

André Juillard: un personnage féminin

Exposition chez Champaka – © Juillard

Au-delà de ces quelques modernisations, j’ai aussi été assez surpris, dans le bon sens du terme, par la construction en tant que telle de cet album. Jacobs, tous ses fans le savent, préférait, et de loin, l’opéra à la bande dessinée. L’opéra, ses décors et ses voix qui portent, ses longues tirades chantées et donc littéraires. Son obligation de démesure théâtrale, aussi.

Et Yves Sente, secondé graphiquement dans le même sens par André Juillard, a élaboré son scénario de façon, justement, très proche du théâtre et de l’opéra. Il y a des dialogues, il y a des chœurs, il y a des décors qui changent, de Londres à Venise, de Venise à la campagne britannique… Un peu comme si les auteurs de ce  » Testament  » avaient voulu rendre hommage à un Jacobs qui n’était pas uniquement dessinateur.

Yves Sente: un scénario théâtral

Exposition chez Champaka – © Juillard

Bien sûr, Blake et Mortimer ne sont pas des héros d’aujourd’hui. Avec eux, pas de grandes bagarres, pas de décors somptueux, pas d’envolées lyriques, mais un côté très « british », très désuet parfois. Et dans cet album-ci comme dans les précédents d’ailleurs de nos deux compères, le respect à l’œuvre originelle ne souffre aucune dérive, c’est évident. Mais il y a un vrai charme à la lecture d’un tel livre, un charme pour les nostalgiques d’une bd qui prenait le temps en écriture comme en dessin, pour les amoureux de la ligne claire, aussi, pour les amateurs de l’art graphique de Juillard, également. Et, finalement, pour ceux qui aiment les enquêtes policières bien ficelées.

La BD est multiforme, et c’est toujours un plaisir que de pouvoir se plonger aussi dans des récits qui se conjuguent dans une certaine tradition…

 

Jacques Schraûwen

Blake et Mortimer : Le Testament De William S. (dessinateur : André Juillard – scénariste : Yves Sente – couleur : Madeleine Demille – éditeur : Blake et Mortimer)

Exposition à la galerie Champaka jusqu’au 7 janvier 2017 (rue Ernest Allard – 1000 Bruxelles)