Franquin : Il était une fois Idées Noires

 

2017 sera-t-elle l’année Franquin ?…. Cela commence bien, en tout cas, puisque voici un album (à paraître le 18 janvier!…) consacré à ce créateur essentiel dans l’histoire du neuvième art, et à ses fabuleuses idées particulièrement sombres ! Avec des témoignages, dont celui de Frédéric Jannin.

1977… Alors que la bande dessinée, en Belgique, ronronne doucement, alors qu’en France, issus de Pilote, des dessinateurs ruent dans les brancards, alors que le neuvième art voit fleurir fanzines de toutes sortes, alors que l’underground ouvre la porte à tout un tas de nouvelles revues consacrées à la BD, Franquin et Delporte réussissent à lancer un superbe pavé dans la mare bien-pensante d’un journal de Spirou oublieux de ce qui faisait aussi sa qualité, l’irrévérence.

Ce pavé, c’était le mythique  » Trombone Illustré « , qui a tenté, pendant une trentaine de numéros insérés dans le journal de Spirou, de faire croire aux lecteurs qu’il s’agissait d’une édition pirate !

Y régnait une liberté de ton que Spirou n’avait pratiquement connue jusque-là que grâce à Gaston, une liberté de critique, aussi, même vis-à-vis de ce qu’étaient les valeurs véhiculées par le journal de Spirou, vis-à-vis de son rédacteur en chef, accusé plus qu’à demi-mot de mercantilisme aigu.

Dans ce fameux Trombone qui lançait à tous vents ses notes contestataires, bien des dessinateurs qui n’avaient rien à voir avec Charleroi vinrent rejoindre le duo Delporte/Franquin : de Bretécher à Bilal, de Gotlib à Clerc, de Rosinski à Tardi, ils ont tous été collaborateurs de ce fameux Trombone.

Mais ce qui a marqué les mémoires, surtout, c’est que ce média plus ou moins pirate, même s’il avait l’approbation de Monsieur Dupuis, a vu André Franquin créer des  » idées noires « , désespérées et désespérantes, inspirées tantôt par l’actualité, tantôt par des considérations écologiques ou politiques d’ordre général. C’est avec lui et avec Delporte, c’est grâce à eux, que deux générations de dessinateurs de bédé se sont trouvées en accord ! C’est grâce au Trombone et à ses idées noires que Franquin est devenu un élément majeur de ce que fut la nouvelle bande dessinée !

Frédéric Jannin: Franquin et la « nouvelle bande dessinée »

L’aventure du Trombone a dû bien sûr un jour se terminer, vaincue par une hiérarchie qui, tous comptes faits, n’a pas, à l’époque, compris grand-chose à l’évolution de la bd.

Mais l’aventure des idées noires, elle, ne s’est pas arrêtée, grâce à Gotlib qui a ouvert les pages de son magazine, Fluide Glacial, à Franquin et à ses dessins de plus en plus pointus, de plus en plus sombres, de plus en plus ancrés dans les soubresauts d’une société se lançant dans une course effrénée à l’inutile.

C’est à cause de ces planches souvent cruelles et dessinant de la société une image sans concessions qu’on a dit de Franquin que c’était un éternel déprimé. Il a, c’est vrai, eu des moments de dépression, comme tout un chacun, ai-je envie de dire, surtout dans ce monde en mutation qu’était la bande dessinée. Mais ce livre qui vient de sortir chez Fluide Glacial remet les choses en place, et restitue de Franquin une image infiniment plus juste, celle d’un homme ouvert à toutes les réalités du monde, et s’amusant au quotidien comme dans son métier. Une image vivante, en quelque sorte, grâce à plusieurs témoignages, celui de la fille de Franquin, entre autres, celui de Frédéric Jannin, également, qui fut un des proches de Franquin.

Frédéric Jannin: une mise au point sur les « déprimes » de Franquin, ses idées noires, …

Ce livre est essentiellement consacré aux idées noires de Franquin, avec, de ci de là, quelques hommages… Celui de Foerster, par exemple, ou celui de Goossens ! Mais cet album, de par les textes qui l’émaillent, est aussi un ouvrage qui se consacre à la personne d’André Franquin, au-delà de son seul  » art « . On le découvre vraiment, ici, sans apprêt, pas du tout comme une icône à la  » Hergé « . On en voit les failles, les regrets, les déceptions, les plaisirs, l’enfance sans cesse restaurée à elle-même. On le découvre aussi  » engagé  » et participant, graphiquement, à des revues résolument et politiquement de gauche. Tout en dessinant aussi, en même temps, pour la FSC (fédération des Scouts Catholiques de Belgique)… Franquin était un être humain complet, avec ses contradictions, avec, surtout, ses coups de cœur, et c’est ce personnage-là qui apparaît, de bout en bout, dans ce livre !

Frédéric Jannin: Franquin et la conscience politique

A mon très humble avis, André Franquin est un des créateurs les plus importants de l’Histoire de la bande dessinée, un de ceux qui ont réussi à faire de leur métier d’amuseurs pour enfants un art à part entière. Et ce sans mercantilisme, sans besoin de reconnaissance, sans envie d’être mis en évidence.

Lui rendre hommage, c’est vouloir, simplement, que se lisent et se relisent, encore, et encore, ses gags, ses dessins, ses trouvailles, ses inventions.

En cette année 2017 qui voit pointer le soixantième anniversaire de Gaston, ce livre arrive à son heure, et je pense qu’aucun amoureux du neuvième art ne s’en privera ! Cela dit, j’aurais aimé que Fluide Glacial se paie un correcteur, pour éviter les redites, trop nombreuses, et les fautes d’orthographe: cela aurait évité de voir Jijé écrit de deux manières différentes, dont une, évidemment, totalement fausse (Jigé!!!!).

Un bon livre, donc, qui remet en lumière les idées superbes de Franquin, mais qui aurait mérité une approche éditoriale mieux construite!… Heureusement qu’Isabelle Franquin et Frédéric Jannin, eux, se souviennent avec talent de qui fut André Franquin!

 

Cela dit, s’il exist déjà une version « kiosque » de cet album, sous la forme d’un Fluide Glacial spécial, pour acquérir le « livre », il vous faudra attendre le 18 janvier prochain… A commander, donc, chez votre libraire préféré!…

 

Jacques Schraûwen

Franquin : Il était une fois Idées Noires (Gérard Viry-Babel – éditeur : Fluide Glacial)