Duke : La Boue et le Sang

Le grand retour de Hermann dans l’univers du western, avec le début d’une série pleine de colère, de sang, de mort et de désespérance…

Nous sommes à la fin du dix-neuvième siècle. Shérif adjoint dans une petite ville minière, Duke est ce qu’on peut appeler un professionnel de la gâchette. Un professionnel qui peut se révéler implacable, mais qui reste impuissant face au pouvoir de l’argent, représenté par le propriétaire de la mine d’or et, surtout, par ses mercenaires qui, eux, tuent à tout va, même les femmes et les enfants.

A partir de ce canevas, somme toute classique, Hermann et Yves H. nous offrent le portrait d’un homme pour qui la mort est une compagne quotidienne, mais pour qui la vie et tous ses possibles reste un but essentiel. Et sa manière d’exister ressemble à un balancier hésitant sans cesse entre ces quatre vérités : la vie et la mort, la haine et l’amour.

A ce titre, Duke est un anti-héros, bien évidemment, mais aussi un personnage de tragédie. Il fait penser à  » L’homme des hautes plaines « , de Eastwood, puisqu’on ne sait rien de lui, rien de son passé, rien de ses buts précis dans cette petite cité perdue loin de tout sauf de l’injustice. Et c’est vrai que, dans son scénario, Yves H. n’hésite pas à placer ici et là des références cinématographiques qui, graphiquement, enchantent Hermann. Et le tout est parfaitement assumé, et ce qui en résulte, c’est la découverte d’un personnage central « en formation », en gestation humaine et sans doute humaniste, et dont les avenirs sont, d’ores et déjà, pleins de promesses plurielles.

Yves H.: le personnage de Duke

Hermann: le personnage de Duke

Ce premier volume d’une série met en place différentes personnes, et le scénario comme le dessin leur donnent de la chair, c’est évident. Les personnages, tous, existent, ils s’animent au fil des pages et de leurs sentiments, et de leurs sensations, et de leurs sympathies ou de leur manque total d’empathie. On est très loin, ici, de l’ambiance de la série  » Comanche  » qui, pourtant, à l’époque, se différenciait totalement de ce qui se faisait en guise de western-bd. Par contre, ce qui reste similaire à cette ancienne série aujourd’hui rééditée, c’est le côté one-shot de ce premier volume. Bien sûr, on attend une suite… Mais l’histoire racontée dans cette boue et ce sang tient toute seule, et j’espère que les albums suivants en feront de même! Il y a là un certain classicisme qui va bien à Hermann et à Yves H., j’en suis persuadé!

Yves H.: un album one-shot?

Le scénario de Yves H., vous l’aurez compris, me plaît beaucoup. Simple et linéaire sans jamais être simpliste, référentiel sans être pesant, il laisse au dessinateur une vraie liberté, une liberté que Hermann utilise à partir d’un canevas qu’il respecte mais auquel il ajoute ses touches personnelles, dans l’art du mouvement, dans l’art de la mise en scène, dans l’art essentiel chez lui de l’utilisation de la couleur.

Hermann: le découpage

Quand on regarde l’œuvre de Hermann, on ne peut qu’être ébloui par son trajet, à la fois artistique et humain. Ses premiers personnages, Bernard Prince et Red Dust, étaient des vrais héros véhiculant des valeurs universelles dans un monde qui les reniait. A ce titre, certes, ils se dessinaient déjà comme  » à côté « , comme porteurs de jugements, au travers de l’action, sur l’univers qui était le leur.

Mais ils étaient, physiquement, ce qu’on attendait qu’ils soient, dans les années 70 et 80 : beaux, solides, moraux !

Au fil des années, le graphisme de Hermann a évolué, et sa manière de voir et de nous restituer les êtres humains a changé. On peut dire (comme il le dit lui-même d’ailleurs…) qu’il force le trait, c’est vrai. Mais c’est une démarche plus profonde que ça, plus philosophique presque ! Il accentue les défauts physiques des hommes comme des femmes pour leurs donner vie, totalement, pour qu’ils ne soient à aucun moment des icônes sans intérêt. Chez Hermann, par exemple, depuis quelques années, les pin-up n’ont plus droit de cité… Les femmes qu’ils dessine sont réelles, elles sont donc celles qu’on peut croiser, qu’on peut aimer. Et c’est pour cela, dans aucun doute, que dans cet album-ci comme dans ses précédents d’ailleurs, les personnages féminins, qu’ils soient ou non au premier plan de l’intrigue, occupent dans l’œuvre d’Hermann une place essentielle !…

Hermann: le dessin

Un scénario sans temps mort, un dessin toujours inventif, des mots sans apprêts et sans vulgarités gratuites, un sens du mouvement et de la couleur de plus en plus aboutis : tout, dans ce premier volume d’une nouvelle série western ne peut que donner l’envie d’en découvrir vite les futurs soubresauts !

Hermann et Yves H. : ici, un duo gagnant, incontestablement !

 

Jacques Schraûwen

Duke : La Boue et le Sang (dessin : Hermann – scénario : Yves H. – éditeur : Le Lombard)