Grande image, ambigüe mais omniprésente, de la révolution française, du Consulat et de l’Empire, Fouché méritait, assurément, que la bande dessinée s’y intéresse. C’est désormais chose faite avec cette série naissante qui ne manque pas d’intérêt !
Il y a de ces noms qui appartiennent à la conscience collective d’une Histoire majuscule… Robespierre, Marat, Napoléon, Danton, sont ainsi des personnages dont tout le monde a entendu parler, plus ou moins bien, avec plus ou moins de véracité historique. Parmi les ténors de cette Révolution française, faite d’idéal et de veulerie, d’espérance et de haine, de liberté et de dictature, il faut ajouter également Joseph Fouché.
Petit professeur à Nantes, rien ne prédisposait Fouché à devenir une des figures marquantes de la révolution d’abord, de l’Empire ensuite… Rien, sinon un idéalisme évident, un besoin presque charnel de refuser des autorités qui se refusaient à prendre en considération le petit peuple, rien, sinon une nécessité d’action nourrie de ce qu’on a appelé aussi le siècle des lumières.
Nicolas Juncker, le scénariste de cet album, n’a pas fui la difficulté, loin de là, pour nous parler à la fois d’un personnage à l’ambiguïté évidente et d’une époque dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut particulièrement troublée, politiquement, socialement, et humainement. Et le résultat est un livre dans lequel Fouché est un être de chair, de sang, de rêves et de destruction, de trahison et de continuité dans une certaine notion de l’idéalisme.
Nicolas Juncker: le personnage
Nicolas Juncker: l’époque
Dans ce premier volume de ce qui doit être une série historique passionnante, Ce sont les premières années de Fouché qui sont mises en avant. En avant, en dessin et en couleur !
On aurait pu penser, pour » raconter » le destin d’un homme comme Fouché, à un graphisme excessivement réaliste, de manière à s’approcher au plus près de ses vérités. Le choix a été tout autre, et le dessin de Patrick Mallet s’inscrit dans la ligne d’auteurs comme Moynot, ou Ferrandez : réaliste, sans doute, mais avec un sens de l’épure évident. Les visages, ainsi, expriment, certes, les émotions, mais d’une façon parfois proche de la caricature ou, en tout cas, de l’image d’Epinal. C’est la simplicité des traits, tant dans le regard que dans la bouche, qui soulignent les états d’esprit de Fouché, ou de Robespierre, bien plus que les expressions de la chair, voire les mouvements du corps.
Et puis, outre le dessin, assez expressionniste ma foi, mais avec simplicité, sans ostentation, il y a la couleur de Laurence Croix. C’est cette couleur qui rend essentiels, dans la trame narrative, les décors, par exemple, c’est cette couleur qui souligne ici l’horreur de la guerre, là la routine de la guillotine…
Patrick Mallet: le dessin
Patrick Mallet: le dessin et la couleur
Pour parler de Fouché, et de cette époque révolutionnaire où, refusant d’abord la mort du roi, puis votant sa décapitation, devenant d’abord proche de Robespierre, avant de tout faire pour qu’il soit abattu, pour parler de ce héros anti-héros et de son époque, les auteurs ont un parti-pris : ne rien cacher, ne rien embellir. Ce n’est pas un album-icône qu’ils nous offrent, mais un livre qui montre un monde tel qu’il était, un monde dans lequel la vertu, tant défendue par Robespierre, ne pouvait qu’engendrer la haine et la mort. Un monde dans lequel, pour arriver au pouvoir politique, il fallait pouvoir se salir les mains aux boues de l’horreur et du sang.
Et le scénariste comme le dessinateur, tout comme la coloriste d’ailleurs, se sont incontestablement coltinés avec l’horreur pour rendre leur livre le plus proche possible de ce qu’était la réalité de la Révolution française. Et à ce titre, étrangement, il y a des échos très contemporains qui naissent de leur travail, comme un autodafé à Lyon qui fait penser à d’autres exactions du même genre bien plus proches de nous !
Patrick Mallet: le dessin et la violence
Nicolas Juncker: vertu, liberté, violence
Dans les volumes suivants, j’imagine qu’on suivra la suite de la carrière de Fouché, lui qui a aussi laissé son nom dans l’histoire comme étant l’inventeur de la police moderne.
Et je ne raterai pas le deuxième volume de cette série, sachez-le. Dans ce » Révolutionnaire « , les auteurs ont en effet réussi à me faire découvrir un personnage que je connaissais très peu, à me montrer un Robespierrre, aussi, qui n’était pas uniquement celui de la » Terreur « … Fred Vargas, dans un de ses superbes polars, y était parvenue, elle aussi, d’ailleurs !
On peut parfois, à la lecture de ce » Fouché « , être quelque peu désarçonné par le dessin, c’est vrai… Mais il faut passer outre cette petite difficulté de lecture pour découvrir, ensuite, que scénario, graphisme et couleurs forment véritablement un » Tout » particulièrement réussi !
Jacques Schraûwen
Fouché : 1. Le révolutionnaire (dessin : Patrick Mallet – scénario : Nicolas Juncker – couleur : Laurence Croix – éditeur : Les Arènes BD)