Dieu N’Aime Pas Papa

Dieu N’Aime Pas Papa

Une mère et son fils, Tao, la religion, omniprésente, et l’enfance, simplement, en confrontation aux certitudes des adultes!…

Tao a huit ans. C’est un petit garçon aux cheveux blonds qui vit dans une petite ville, avec sa maman. Rien qu’avec sa maman, puisque son papa, lui, est parti. Et depuis, à la maison, c’est l’ennui et le chagrin qui construisent l’ambiance des quotidiens de Tao et de sa maman. Une mère abandonnée, qui se sent telle en tout cas, et qui se réfugie dans la foi, dans l’application stricte et pure de la religion catholique et de ses dogmes.

Pour s’occuper, Tao lit et relit la Bible, et il la dessine, maladroitement mais avec une ferveur qui n’a plus grand-chose à voir avec ces fameux dogmes, lois et obligations auxquels sa mère obéit, que sa mère veut lui imposer.

Ce livre aurait pu être une attaque en règle contre la religion catholique, au travers d’une histoire assez simple somme toute, celle d’un enfant brimé pour des raisons uniquement religieuses.

Mais ce n’est pas (fort heureusement) ce que Davy Mourier a voulu dans ce livre. Ce qu’il nous montre à voir, c’est l’opposition, douce le plus souvent, presque brutale rarement, de deux univers, celui de l’enfance qui se nourrit de  » pourquoi « , et celle du monde adulte qui éprouve toutes les difficultés possibles à trouver des réponses simples à ces questionnements…

Simples et humaines…

Construit en chapitres, dont les titres font plus qu’évoquer les fameux dix commandements de Moïse, cet album est dessiné avec douceur par Camille Moog pour tout ce qui touche au quotidien de Tao et sa mère, dans un style enfantin par Davy Mourier pour tout ce qui naît des doigts de Tao. Il en résulte un livre graphiquement multiple et formidablement attachant. Un livre à taille humaine, à taille de l’enfance, plutôt, une enfance qui se cherche des raisons de croire, d’abord et avant tout, en elle-même.

Davy Mourier: enfance et religion

Davy Mourier: La religion et ses dogmes

 

Il y a deux personnages centraux dans ce récit, mais ils vivent dans un environnement extrêmement bien décrit et raconté, avec simplicité et sourire : l’école, la maison, l’église. Et tous ces éléments de l’environnement ont une importance réelle dans la trame du récit, dans son rythme plutôt. Dans l’évolution de nos deux héros, aussi, bien évidemment.

Ainsi, ce n’est que par petites touches qu’on comprend ce qui fait le désespoir de la maman de Tao. Et à partir de cette découverte, tout prend son sens: les questions de Tao, l’absence de réponses de la part de sa mère, les tentatives d’appel au pardon de la part du curé de la paroisse.

Et cette cause du désespoir devient dès lors l’axe autour duquel continue à se construire le récit. Il s’agit de l’homosexualité du papa, un homme qui se révèle tout aussi croyant que la maman, tout compte fait.

Mais qu’on ne se trompe pas, ce livre n’est pas une charge contre l’intransigeance de la religion catholique. Il est beaucoup plus une réflexion tout en naïveté sur les diktats de toutes les religions. La naïveté, d’ailleurs, permet au message, en quelque sorte, de se faire universel, encore plus universel, surtout dans l’époque où nous vivons et où les intégrismes de toutes sortes semblent ériger des murs hérissés de préjugés de plus en plus imbéciles et mortels.

Davy Mourier: Homosexualité et religion

 

Davy Mourier est un artiste qui aime à varier les plaisirs. Touche-à-tout, souvent, connu pour son personnage de  » La petite mort « , il semble, ici, scénariste et co-dessinateur, avoir choisi une autre voie, encore. Celle de la sagesse … Pas à ce point-là, non ! Mais un chemin plus serein, une route plus étroite, peut-être, mais qui s’ouvre sur des horizons intimes joliment variés.

Son écriture comme son dessin sont faussement enfantins, certes, mais véridiquement humanistes dans la volonté qu’ils ont, mots et graphisme, de ne porter aucun jugement.

Et c’est par cette retenue tout en intelligence que ce livre mérite aussi d’être lu et partagé.

Davy Mourier: écriture et dessin

Tolérance et poésie, religion et liberté: bien des thèmes sont abordés dans ce  » Dieu n’aime pas papa « . Et ils le sont avec légèreté, tous, avec le sourire, aussi, malgré les larmes et les angoisses…

Ecrit à taille d’enfance, dessiné à taille d’adulte se redécouvrant encore et toujours enfant, cet album fait incontestablement partie des bonnes surprises de cette année 2017 !

 

Jacques Schraûwen

Dieu N’Aime Pas Papa (dessin : Camille Moog et Davy Mourier – scénario : Davy Mourier – éditeur : Delcourt)

Ninn : 2. Les Grands Lointains

Ninn : 2. Les Grands Lointains

Un deuxième tome qui remplit toutes les promesses d’une série passionnante ouverte à tous les publics…

Dans le premier tome de cette série, on découvrait Ninn, une adolescente à la recherche de ses racines. Trouvée dans le métro, elle avait été « adoptée  » par deux cheminots, et on la voyait vivre dans un Paris qui était son domaine. On la voyait, surtout, quitter ce monde connu pour suivre un tigre de papier, qui, dans les profondeurs du métropolitain, se révélait réel.

Et ici, dans ce deuxième volume, c’est dans ce monde parallèle, celui des Grands Lointains, qu’on la retrouve, en compagnie de son ami le tigre, mais aussi de personnages infiniment moins sympathiques.

Elle qui voulait savoir qui elle était, ce qu’elle veut découvrir, dans ce deuxième volume, c’est le monde qui est véritablement le sien, un univers totalement improbable, mais dans lequel elle risque à chaque pas à la fois sa vie et son équilibre.

Les Grands Lointains, dont elle est la gardienne sans le savoir, se construisent au long des méandres touffus d’une jungle qui a des aspects post-apocalyptiques. Les Grands Lointains, finalement, ce sont en même temps les papillons du rêve et de la mémoire et les créatures du cauchemar et de la mort.

Johan Pilet: le deuxième volume

 

Tous ce qui m’avait séduit dans  » La Ligne Noire « , tome initial de Ninn, me séduit encore et toujours dans ces Grands Lointains. On y trouve la ville face à la nature la plus sauvage et la plus rêvée qui soit, on s’y plonge dans une poésie se mélangeant intimement au fantastique, et tout cela avec un rythme évident, qui se révèle vite essentiel, avec un sens de l’imaginaire et de l’inventivité, tant au niveau du scénario que du dessin.

C’est un livre qui, bien évidemment, a les mêmes influences, totalement assumées, que dans le premier opus, celles d’une littérature qui, pour offerte à la jeunesse qu’elle fût, n’en était pas moins aussi ouverte à tout adulte se souvenant de l’enfant qu’il a été: Alice au pays des merveilles, Peter Pan, Le livre de la jungle…

Et j’aime ces séries, assez rares finalement, qui réussissent à s’ouvrir véritablement à tout un chacun, à être profondément « tous publics », sans aucune mièvrerie.

Johan Pilet: Ninn, une série

 

Dans le dessin également, les influences sont présentes. Le rythme dans le graphisme rappelle le côté syncopé des mangas, et les personnages, eux, leurs expressions, appartiennent sans aucun doute à la mouvance belgo-française.

Pour accompagner une histoire pleine de rebondissements, un récit s’enfouissant dans l’horreur, parfois, et le faire sans tomber dans les travers du comics à l’américaine, il fallait un dessin souple, un dessin qui réussisse à se frayer un passage entre l’action et la réflexion sans accentuer les côtés sombres et lourds. C’est le cas du dessin de Pilet, et ce grâce en partie à la couleur qui, en certaines pages, surtout celles qui n’ont qu’un ou deux dessins, devient un élément important de l’histoire racontée.

Johan Pilet: le dessin

 

Ninn : une série qui ne faiblit pas, et qui, donc, nous offre bien des promesses de plaisirs de lectures pour ses prochaines parutions ! A placer auprès de  » Seuls « , de  » Magic7 « , de  » Frnck  » dans vos bibliothèques tendues à vos envies de lecteur et à celles de toute votre famille !…

 

Jacques Schraûwen

Ninn : 2. Les Grands Lointains (dessin : Johan Pilet – scénario : Jean-Michel Darlot – couleurs : Barthelemy – éditeur : Kennes)

Le Mystère du Monde Quantique: Lauréat Prix BD FNAC

Le Mystère du Monde Quantique: Lauréat Prix BD FNAC

Ne comptez pas sur moi, surtout, pour vous résumer, de quelque manière que ce soit, cet ouvrage qui nous parle d’un des aspects les plus étonnants de la science, celui de la physique quantique. Mais une des  » pistes  » du monde quantique devrait, cependant, vous livrer une clé pour entrer dans cet album avec plaisir : l’influence que peuvent avoir des événements qui ne se sont pas réalisés, mais dont on pense qu’ils auraient pu se produire… Et, qui sait, qu’ils se sont vécus dans des univers improbables mais existant, malgré tout, aux frontières parallèles de notre propre monde.

Et là, le côté ardu de la théorie quantique rejoint le fantastique et la poésie, c’est évident. Et c’est ce chemin-là que les auteurs ont choisi de suivre dans cet album extrêmement particulier. Un chemin qui a enchanté, sans aucun doute, le scénariste, par ailleurs scientifique, Thibault Damour.

Thibault Damour, le scénariste

Le scénario s’attache à la fois, donc, à la puissance scientifique de cette théorie quantique et à sa puissance évocatrice.

Mais pour que ce scénario  » tienne la route « , pour qu’il ne débouche pas sur un pensum trop ardu, il fallait qu’un dessinateur réussisse à entrer de plain-pied dans cet univers scientifique. Et c’est bien le cas de Mathieu Burniat, grâce à la rondeur de son dessin, grâce à un certain classicisme dans le découpage agrémenté d’une audace quant à la trame narrative.

Ce jeune auteur belge aime les paris à l’aspect impossible, et ce prix FNAC couronne, déjà, son éclectisme toujours ouvert à la qualité !

Mathieu Burniat, le dessinateur

Un prix mérité, donc, pour l’inattendu d’un tel album, et pour la réussite qui en fait, en définitive, un livre tout à la fois scientifique et poétique, romanesque et plein de réflexions sur notre propre univers, notre propre existence…

 

Jacques Schraûwen

Le Mystère du Monde Quantique (dessin : Mathieu Burniat – scénario : Thibault Damour – éditeur : Dargaud)