Hypnos : 1. L’Apprentie

Hypnos : 1. L’Apprentie

Le destin d’une jeune femme, après la première guerre mondiale. Une jeune femme possédant un don pour le moins intrusif !…

1918… Camille, à Paris, vit seule avec sa fille, atteinte par la tuberculose.

Son mari est un de ces disparus de la première guerre mondiale, reniés par L’État tout-puissant, un de ces hommes fusillés pour avoir refusé l’horreur quotidienne.

Ce mari disparu lui a malgré tout laissé un héritage immatériel : un don, celui de l’hypnotisme, un don qu’elle va utiliser pour pouvoir payer à sa fille les soins dont elle a besoin.

Mais voilà, cette apprentie-voleuse se fait arrêter par la police, et, pour que sa fille puisse être soignée, elle met son don au service de  » la rousse « , pour pourchasser des anarchistes.

A partir d’un canevas somme toute classique, trame d’un récit d’aventures policières en début de vingtième siècle, Laurent Galandon, comme à son habitude, choisit des chemins détournés, socialement et politiquement (au sens le plus large possible du terme !…) pour nous donner à lire une histoire passionnante et passionnée.

L’histoire d’une époque agitée, qui voit jaillir des cendres de la grande Russie une URSS qui fait peur à tout le monde, une époque qui se doit de construire une paix qu’elle voudrait durable, une époque au cours de laquelle le mouvement social va prendre de plus en plus de place en occident, une époque pendant laquelle l’anarchie intellectuelle va de plus en plus souvent côtoyer l’anarchie activiste.

Dans les scénarios de Laurent Galandon, les choses ne sont jamais manichéennes. Cet auteur aime construire ses récits à hauteur humaine, s’attacher à des personnages qui, tous, ont leur propre personnalité, et tous participent à l’intrigue, au récit, à ses ambiances.

Ici, dans ce  » Hypnos « , il en va de même, et les thèmes abordés nous parlent aussi, au-delà des péripéties racontées, d’indépendance de l’individu vis-à-vis d’un système qui l’étouffe, de nécessité, pour vivre plus que survivre dans un univers où seule l’autorité a doit de cité, de se battre, chacun à sa manière.

Certaines faiblesses existent du côté du découpage, un peu comme si, en certains endroits, des raccourcis narratifs avaient été collés vite fait bien fait. Mais rien de grave… Parce que l’histoire qui nous est racontée est romanesque à souhait, et qu’elle nous offre vraiment une image qui n’a rien d’Épinal des grands hommes, et des autres, du début du vingtième siècle.

Et le dessin, dû au Hongrois Attila Futaki, souffre parfois, lui aussi, de quelques faiblesses dans la différenciation des personnages secondaires. Mais ce graphisme est malgré tout d’une vraie efficacité, et son traitement, entre réalisme à la comics américains et expressionnisme plus proche des bd  » noires  » de Berthet, cette manière de dessiner est d’une belle originalité.

Soulignons aussi le talent du coloriste Greg Guilhaumond : là aussi, il y a un travail à l’américaine, et on sent chez lui l’admiration qu’il a pour des artistes comme Hopper. Les jeux de lumières improbables prennent, grâce à son talent, une puissance étonnante, et la façon dont il use du rouge est totalement flamboyante.

Cette  » apprentie  » met en place quelques personnages que l’on sait déjà récurrents. Cet album remplit parfaitement son rôle de premier volume d’une série qui, d’ores et déjà, s’avère pleine de promesses, à la fois littéraires et graphiques.

Cela fait longtemps que je dis haut et fort que je trouve les scénarios de Galandon extrêmement intelligents, toujours. Ici, j’ai découvert aussi un coloriste et un dessinateur qui méritent assurément qu’on suive leur travail de tout près !

Et donc, j’attends déjà la suite de cette série naissante avec une douce impatience !

 

Jacques Schraûwen

Hypnos : 1. L’Apprentie (dessin : Attila Futaki – scénario : Laurent Galandon – couleurs : Greg Guilhaumond – éditeur : Le Lombard)

Les apprentissages de Colette

Les apprentissages de Colette

Le portrait d’une grande dame de la littérature par une grande dame du neuvième art…

Claudine, La Vagabonde, Chéri, Le Blé en Herbe, La Chatte, Gigi : voilà quelques-uns des titres emblématiques de Colette, une écrivaine tantôt sulfureuse, tantôt douce comme un chat ronronnant. Une auteure, en tout cas, qui a profondément marqué la littérature française, tout au long du vingtième siècle, tant par la pureté de son style (un style qui s’est toujours voulu à taille humaine) que par le feu de sa vie privée.

Bien des  » biographies  » et des essais lui ont été consacrés, d’ailleurs, et on aurait pu craindre que, la bd s’y mettant aussi, elle se contente d’un seul aspect de l’existence de Colette, voire d’une simple énumération linéaire et dessinée des heures marquantes de son existence.

Mais c’est Annie Goetzinger qui s’est attelée à cette tâche, à ce plaisir, et le résultat ne pouvait qu’être intelligent, poétique, ouvert à toutes les réalités de cette femme étonnante qui fut présidente de l’académie Goncourt mais aussi membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Ce sont un peu plus de trente ans de l’existence de Collette auxquels Goetzinger s’est intéressée. Trente ans qui mènent Colette de la campagne à la ville, du mariage à la création, de la timidité à la liberté.

Ces  » apprentissages  » de Colette sont ainsi le portrait, d’abord, d’une femme, bien entendu, mais aussi de toute une époque. Les dialogues, tout comme les textes, sont fidèles à ce qu’on pouvait lire au début du vingtième siècle, chez Willy, par exemple, souvent féroce dans ses jeux de mots, ou chez Rémy de Gourmont, au style un peu plus ampoulé.

Le dessin, lui, nous restitue avec une légèreté de trait et des tons lumineux, presque transparents parfois, ce début de siècle au cours duquel bien des évolutions ont pu avoir lieu… Des évolutions, et des révolutions !

Annie Goetzinger: la jeunesse de Colette

Annie Goetzinger: le portrait d’une époque

L’existence de Colette a été celle d’une époque. Mais elle fut également rythmée par des rencontres de toutes sortes, des amours tapageuses parfois, bisexuelles aussi… Par un plaisir à se montrer, sur scène, en compagnie des grands de l’art, comme Musidora, dans la vie de tous les jours…

C’était un temps où il fallait voir et être vu, où le libertinage était pratiquement social, mais c’était aussi un temps pendant lequel Colette n’a jamais renié ses racines, au travers de l’importance qu’elle a toujours attachée à sa famille.

Toute existence se résumant, en définitive, à elle-même, les grands événements n’en sont jamais qu’un décor dans laquelle elle peut s’épanouir, se révéler. Voire se révolter !…

Et ce n’est pas la moindre des qualités d’Annie Goetzinger dans ce livre que d’avoir réussi à créer une trame tout autour de Colette, une trame dans laquelle la réalité, historique, biographique, laisse ici et là la place à une imagination qui, jamais, ne trahit le modèle qu’elle s’est choisie !…

Annie Goetzinger: réalité et imagination

Colette n’était pas féministe, elle était plus totalement, plus spécifiquement féminine, avec un F majuscule ! Mais son combat quotidien pour passer outre aux contraintes de la morale et de la bourgeoisie (jusqu’à se couper les cheveux, par exemple), sa nécessité morale et charnelle de vivre ses amours en liberté, même si, à chaque fois, la rupture ne peut qu’en être la conclusion, son caractère sans concession, tout cela a fait d’elle un symbole d’émancipation de la femme, donc de féminisme. Un féminisme qu’Annie Goetzinger, en douceur, revendique, elle aussi.

Annie Goetzinger: le féminisme

C’est dans les années 70 que la bande dessinée s’est affranchie peu à peu de son image de sous-littérature pour enfants. A ce titre, le journal de Pilote a joué un rôle essentiel. Et c’est dans Pilote qu’Annie Goetzinger est entrée, après avoir appris le dessin avec, entre autres, l’immense (et quelque peu oublié…) Georges Pichard, c’est dans Pilote qu’elle s’est révélée comme une des grandes pionnières du neuvième art, avec ses propres scénarios, ou ceux d’auteurs  » reconnus « , Christin par exemple.

C’est elle, avec des auteures comme Bretécher, Cestac, Montellier, qui a ouvert une brèche dans un monde où mes hommes semblaient, jusque-là, être les seuls à avoir l’accès ! Et ce sont des revues comme L’Echo des Savanes, Circus, Fluide Glacial, qui leur ont permis de participer pleinement à la grande Histoire de la bande dessinée !

Annie Goetzinger: une pionnière de la bd

Cet album ne peut que plaire à la fois aux amoureuses et aux amoureux de la bande dessinée, dans ce qu’elle peut avoir de plus abouti, même dans un style classique, et à toutes celles et tous ceux qui aiment la littérature.

Colette est le  » thème  » central de ce livre. Mais les thématiques y sont nombreuses, et merveilleusement bien racontées et dessinées. Toute femme, plus que probablement, pourrait (devrait ?…) se retrouver dans ce personnage hautement romanesque. Tout homme aussi !…

Vive la BD quand elle parvient, comme chez Annie Goetzinger, à cette fusion intime et intimiste entre la vérité d’un portrait profondément humain et la qualité du graphisme et de la couleur !

 

Jacques Schraûwen

Les apprentissages de Colette (auteur : Annie Goetzinger – éditeur : Dargaud)

L’envers des contes : La sœur pas si laide de Cendrillon

L’envers des contes : La sœur pas si laide de Cendrillon

Cendrillon s’est mariée avec son Prince Charmant… Du coup, Madame de Trémaine et ses deux filles, Javotte et Anastasie, se retrouvent sans souillon pour s’occuper de leur maison ! Et si une de ces deux filles, Javotte, n’était pas du tout celle que Perrault nous a décrite ?….

Tout le monde connaît, bien évidemment, le conte de Charles Perrault. Mais que s’est-il passé après le départ de Cendrillon pour rejoindre son prince dans un château de rêve ? C’est ce que s’efforcent de raconter Gihef et Zimra dans ce livre tout gentillet…

Tout gentillet, oui !…. Il est vrai que Gihef ne nous a pas habitués à de tels scénarios, lui qui, habituellement, les aime taillés à grands coups de provocation, tant dans l’intrigue que dans, surtout, les dialogues.

Mais ici, il prouve que son talent de dialoguiste, justement, peut se mettre au service d’une histoire qui s’adresse à tous les publics, même celui de l’enfance !

Et s’il est vrai qu’il a laissé libre cours, dans cet  » envers des contes  » à son imagination débridée, il est tout aussi vrai qu’il l’a maintenue dans des limites connues, reconnues, mais corrigées avec un humour parfois décapant, toujours souriant, un humour né des personnages qu’il nous laisse rencontrer.

Il y a la Bergère qui cherche ses moutons, il y a ville de  » Livresdecontes « , il y a la Belle au bois dormant, Humpty Dumpty, Boucle d’or, la Mère Michel, son chat, la méchante sorcière, et même un des trois petits cochons.

Et tout ce beau monde vit une aventure entre rêve et presque cauchemar, une aventure dans laquelle l’empoisonnement d’une pomme est la trame centrale.

Une aventure qui se finit bien, puisqu’on est, malgré tout, dans un conte pour enfants, et ça va être au tour de la sœur pas si laide de Cendrillon de connaître le pouvoir d’un premier baiser d’amour !

On peut dire, oui, que ce livre est destiné à tous les publics, mais il faut insister sur le fait que l’humour qui y règne n’est pas toujours, loin s’en faut, politiquement correct, et tant mieux !

Le scénario de Gihef est virevoltant, le dessin de Zimra ne l’est pas moins, avec des couleurs franches, des visages tout en rondeurs, des cadrages parfois très variés, des ambiances sucrées…

Le tout, vous l’aurez compris, est un livre, ma foi, très agréable à lire et qui replongera tous les adultes dans le monde des contes pour enfants qui n’étaient jamais aussi gentils qu’ils en avaient l’apparence !…

 

Jacques Schraûwen

L’envers des contes : La sœur pas si laide de Cendrillon (dessin : Zimra – scénario : Gihef – éditeur : Kennes)