Un livre indéfinissable, une auteure passionnée et passionnante à écouter, un album original, littéraire, poétique : ce livre est un vrai trésor à découvrir, à conserver ! Et, dans cette chronique, une interview de Daria Schmitt…
Niniche est une jeune femme presque comme les autres… Presque, seulement, parce qu’elle possède une caractéristique charnelle qui lui rend l’existence difficile à comprendre et à assumer : elle a deux petites ailes dont elle ne sait quoi faire !
A partir de cet axiome de départ, éminemment poétique et surréaliste, Daria Schmitt nous emmène à sa suite dans un monde où l’oiseau est roi de tous les destins.
Dans son livre précédent, » L’arbre aux pies « , chroniqué ici également, Daria Schmitt nous révélait déjà sa passion pour les oiseaux, qui lui sont un peu comme des rêves volants et vivants.
Ici, elle va plus loin encore, puisque le récit de ce livre s’axe exclusivement autour de la gent ailée, quelle qu’elle soit, et de l’obsession que l’envolée, symbolique ou réelle, peut créer chez l’être humain.
Daria Schmitt: les oiseaux
Je ne vais pas tenter la tâche par ailleurs impossible de vous résumer l’histoire de ce livre. Il y a des tas de personnages, dont un professeur-oiseau, un Icare squelettique retombé définitivement sur terre, des rabatteurs presque mafieux, une mère possessive et religieuse (qu’on ne fait qu’entendre, qu’on ne voit jamais), une amie intime de l’héroïne… Il y a des cigognes, un être mi chat mi oiseau… Il y a enfin le personnage central, principal, Niniche, qui n’est moteur du récit que par sa réalité de chaînon manquant entre le ciel et le sol, entre l’ailleurs et l’ici, entre l’immobilisme et l’envolée. Cette gamine, avec ses doutes, ses peurs, ses angoisses, ses espérances aussi, ressemble, finalement à toutes les adolescentes à la recherche d’elles-mêmes en d’autres lieux qu’aux miroirs de leurs quotidiens. Mais elle est aussi une enfant qui sait qu’elle va devoir grandir et qui, inconsciemment, veut profiter des derniers feux d’un âge que Lewis Carroll n’aurait pas dédaigné.
Daria Schmitt: le personnage de Niniche
Daria Schmitt: les personnages
Ce livre, certes, raconte une histoire… Mais ne vous attendez surtout pas à quelque chose de linéaire, de déjà mille fois vu ! Daria Schmitt a choisi la voie d’une narration sans cesse éclatée… On se trouve, oui, presque dans un poème de Carroll… Ou d’Henry Michaux, voire d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont ! Les réalités ne sont là, dans cet album, que pour mettre en évidence les possibles improbables qui font la vraie trame de l’existence.
Cet album est une fable, sans aucun doute, sur ce qu’est notre monde hyper médiatisé, sur ce qu’est le racisme ordinaire à l’encontre de tout ce qui peut paraître » différent » à la masse imbécile des adeptes de panurge.
Mais il est d’abord et avant tout un long et envoûtant voyage aux pays d’un onirisme sans cesse réinventé. C’est en oubliant toute logique et en acceptant d’être à chaque page étonné, surpris, ravi, qu’on peut savourer pleinement ce » Ornithomaniacs » !
Daria Schmitt: la narration
Cet album est aussi un superbe objet graphique ! Le dessin de Daria Schmitt réussit la performance de faire étalage de plusieurs références tout en étant extrêmement personnel et original. C’est en noir et blanc qu’elle crée son univers, avec des perspectives délirantes parfois, avec un travail des décors qui fait penser à Whrigtson ou à Schuiten, avec une maîtrise de la lumière et des ombres qui n’est pas sans rappeler Andreas. Ce sont des références plus que des influences, tout comme le sont les citations, devinées ou complètes, qui émaillent ce livre… Il y a du Hopper, du Vian, du Jules Vernes, de Goethe… Mais il y a surtout du Daria Schmitt!….
Et tout cela, parfaitement assumé encore une fois, crée un livre qui ne ressemble à aucun autre, un livre qui n’a qu’un message : » devenez ce que vous êtes « , un message illustré par des situations rêvées, par des réalités imaginées, par des espérances qui ne peuvent pas toutes être déçues !
Niniche n’a rien d’extraordinaire, à part sa paire d’ailes… Et Daria Schmitt réussit le pari de nous la faire aimer, de nous faire partager son existence, sur les traces, toujours, du rêve, sur celles aussi, parfois, de Boris Vian…
Daria Schmitt: les références
Le monde du neuvième art, depuis quelques années, réussit à nouveau à se caractériser par son éclectisme. Il semble loin, enfin, le temps où ne fleurissaient sur les étals des libraires que des piles d’albums se ressemblant tous et ne participant qu’à des effets de mode imbécile !
Et je ne peux que souligner le travail formidable des éditeurs, de Casterman entre autres, tant au niveau du contenu éditorial des livres qu’ils éditent que de leur fabrication. Ce » Ornithomaniacs « , par exemple, outre le fait que ce soit un livre absolument original et originalement essentiel, est un bel » objet » éditorial : le papier, la couverture, la jaquette, le format, tout dans ce livre est beau, simplement beau, et immensément poétique.
Prenez le temps d’entrer dans l’univers de Daria Schmitt, croyez-moi, et vous vous lancerez, en sa compagnie, dans un voyage aux étapes toujours inattendues !
Jacques Schraûwen
Ornithomaniacs (auteure : Daria Schmitt – éditeur : Casterman)