Le Vétéran

Un thriller passionnant, un polar historique sans temps mort, une lutte sans merci entre le réel et la mémoire, entre l’identité assumée et la lâcheté reniée…

 

Les trois premières pages nous plongent dans l’année 1798. Jeanne, une jeune fille amoureuse se dispute violemment avec son père, implore ses deux frères d’intervenir… Elle découvre ensuite le suicide de l’élu de son cœur, et se jette dans la Seine.

La quatrième planche, elle, nous emmène dix-sept ans plus tard, au plus profond de la bataille de Waterloo. On y voit des officiers fuir le champ guerrier, on y voit aussi un capitaine, Maxime Danjou, refuser la lâcheté, se faire blesser, se retrouver dans un hôpital…

Le lecteur, un peu perdu d’abord, va découvrir les liens qui unissent ces deux moments de la vie du personnage central de cette histoire.

Maxime Danjou a des souvenirs… Des blessures aussi, des migraines, une perte de mémoire, des évanouissements.

Il a surtout une identité, soudain, qu’il ne connaît pas, dont il n’a aucune souvenance, celle du colonel Théodore Brunoy, un de ces fameux officiers ayant fui l’enfer de Waterloo !

Qui est-il ? Au plus profond de lui-même, il se sent  » Danjou « . Mais tout le monde, autour de lui, le reconnaît comme étant le riche Brunoy.

 

 

Ce thème de perte de mémoire, voire de double personnalité, n’est pas neuf, loin s’en faut ! Le cinéma en a abondamment usé, tout comme la bande dessinée, d’ailleurs.

Mais Frank Giroud n’est pas genre à se contenter d’une reprise plus ou moins personnalisée d’une forme de récit préexistant. Il fait partie de ces scénaristes dont les imaginations (plurielles, oui…) aiment à brouiller des pistes qu’on pourrait croire, au premier coup d’œil, par trop convenues.

Avec son personnage central, Maxime/Théodore, il ne nous montre pas un homme à la recherche de qui il est, comme dans XIII par exemple. C’est un vrai polar qu’il construit, dans ce  » Vétéran « , en créant des tas de pistes qui peuvent faire croire à l’une ou l’autre version. Là où bien des scénaristes auraient placé des jalons susceptibles d’offrir au lecteur de quoi se faire une idée, comme on dit, Giroud réussit à ce que les deux identités revendiquées par son héros ou son entourage, sans cesse mêlées, intimement unies au-delà des souvenirs et des apparences, il parvient à ce que chacune de ces identités soit sans cesse plausible.

Maxime-Théodore est-il fou, ou est-il plongé dans un complot ? Et si tel est le cas, quel est le but de ce complot ?

Frank Giroud, d’ailleurs, ne se contente pas de poser, tout autour de son personnage central, un environnement sans grand intérêt. Il ancre son histoire dans la grande Histoire, et les réflexions qu’il fait sur l’évolution de la médecine, par exemple, sur le sort réservé, sous la Restauration, aux anciens fidèles de Napoléon, tout cela, sans aucun doute possible, montre un vrai travail de fond dans l’écriture. Et construit une narration ancrée dans la réalité d’une époque bien précise.

 

 

Un vrai travail de fond, oui, comme dans la création, en bon metteur en scène, de personnages secondaires qui, tous, ont une véritable existence et une véritable utilité dans la construction du récit.

Cette méticulosité se retrouve également dans le dessin de Gilles Mezzomo. Réaliste, dans la lignée d’un Giraud ou d’un Rossi plus que d’un Hermann ou d’un Vance, Mezzomo soigne ses décors, des rues de Paris ou de Rouen aux costumes militaires et aux tenues des femmes. Des femmes que, comme à son habitude d’ailleurs, il dessine d’une manière admirable !

Dessinateur du mouvement et de l’expression, on sent tout le plaisir qui a été le sien à se faire le maître d’œuvre d’une telle histoire, pleine de rebondissements…

Les couleurs chaudes de Céline Labriet sont à mettre en évidence, elles aussi, puisqu’elles réussissent, de bout en bout, à donner un suivi d’ambiance particulièrement réussi à tout l’album.

Je parlais de rebondissements, et la toute dernière planche de ce qui doit être le premier volume d’un diptyque nous en montre un, et de taille ! Comment ne pas se découvrir impatient, en refermant l’album, d’en découvrir la suite ?

Une très belle réussite, donc, que ce premier volume, vous l’aurez compris, avec un excellent suspense. Je le disais, c’est un polar… Avec même un vrai flic privé !… Avec de la violence, du sang, de l’angoisse, un rythme parfois pesant…

Vivement la suite, et la fin de cette histoire, oui !…

 

Jacques Schraûwen

Le Vétéran (premier tome – dessin : Gilles Mezzomo – scénario : Frank Giroud – couleurs : Céline Labriet – éditeur : Glénat)