Les ombres de la Sierra Madre sont nombreuses… Elles sont celles de la guerre de 14/18… Elles sont celles des Mormons… Elles sont celles des derniers Apaches et de leur colère meurtrière… Et elles construisent ici un western quelque peu à contre-courant des codes propres à ce genre…
Les Ombres de la Sierra Madre©sandawe.com
1917. Dans les tranchées de la forêt d’Argonne, la première guerre mondiale fait rage. Moroni Fenn y vit, au quotidien, l’horreur quotidienne de la mort, de la violence. Son appartenance à « l’Eglise des Saints des Derniers Jours » ne l’aide pas à supporter ce conflit dans lequel l’humanité n’a plus droit de cité.
1920. De retour à Salt Lake City, Moroni Fenn sombre dans l’alcool, les cauchemars, le mal vivre, l’agressivité. Sa violence incontrôlable et peu en accord avec les principes des Mormons pousse les sages de cette communauté à l’envoyer protéger leur colonie installée au Mexique. A peine arrivé, il fait la connaissance d’un vieux fou, Merejildo, de sa nièce, la belle Guadalupe, et il arrache des griffes d’un margoulin une jeune indienne exhibée comme une bête de foire.
1923. Moroni est marié avec Guadalupe, qui attend un enfant, et la petite indienne, Bui, est leur fille adoptive. Quant à Merejildo, il veille sur eux, en attendant, inlassablement, la venue d’Apaches, disparus pourtant depuis bien longtemps de cette région.
Les Ombres de la Sierra Madre©sandawe.com
A partir de ce canevas, Philippe Nihoul raconte une histoire ancrée dans la grande Histoire, de manière évidente. Fouillé, documenté, son scénario répond, certes, aux besoins du genre western, avec Indiens, combats, chevaux, mais il s’en éloigne par l’époque, d’abord, le début du vingtième siècle, par le personnage central, ensuite, un Mormon fier de l’être, malgré ses problèmes identitaires. Bien entendu, le thème central reste la différence, la confrontation de différentes cultures, l’hégémonie d’une race sur l’autre, la puissance, non pas de la religion, quelle qu’elle soit, la force, aussi, de la résistance, même la plus inutile.
Classique dans sa construction, le scénario de Philippe Nihoul ne manque vraiment pas d’intérêt, de rebondissements, de réflexions sur l’humanité et ses dérives ; notre humanité, donc…
Quant au dessin de Daniel Brecht, il est lui aussi d’une facture très classique, avec d’évidences influences de Giraud et de Cosey… Mais sa manière de travailler la couleur, en une dominante de bruns, d’ocres, et de bleus légers donne à son style une vraie présence, une belle personnalité, même si, de ci de là, quelques erreurs graphiques, dans les perspectives et proportions existent.
Cela dit, ce livre est aussi une belle plongée dans l’enfance, et ce qu’elle peut avoir de plus sombre et de plus lumineux en même temps. Et ce premier volume appelle une suite qui, espérons-le, viendra vite ponctuer une histoire réellement passionnante !…
Jacques Schraûwen
Les Ombres de la Sierra Madre : 1. La Nina Bronca (dessin : Daniel Brecht – scénario : Philippe Nihoul – éditeur : sandawe.com)