Jeremiah : 35. Kurdy Malloy Et Mama Olga

Hermann au meilleur de sa forme, pour un album qui nous permet de découvrir le passé de Kurdy, compagnon inamovible de Jeremiah depuis de longues années… Un album passionnant et sombre, sans temps mort!

C’est en 1979 que le premier album des aventures post-apocalyptiques de Jeremiah est paru. Et cela fait donc 38 ans que cet anti-héros essaie de conserver, dans un univers en totale déliquescence, une part d’humanité. Au grand désarroi, le plus souvent, de son compagnon de route, le casqué Kurdy, beaucoup plus intéressé par les plaisirs de la vie que par une quelconque honnêteté, qu’elle soit intellectuelle ou active !

Mais de ces deux personnages, finalement, on ne connaît que bien peu de choses sur ce qu’ils ont été, sur ce qui les a amenés à se rencontrer, à vivre ensemble une étrange amitié aux ambivalences constantes.

Et c’est donc avec un vrai plaisir que, dans cet album-ci, on en apprend un peu plus, enfin, sur Kurdy, son passé de sale gosse à peine adulte.

Mais ne vous attendez pas à de grandes révélations! Hermann travaille à petites touches, son récit se fait syncopé, avec des non-dits pratiquement aussi importants que ce qu’il nous dévoile d’une personnalité particulièrement complexe…

Hermann: le récit

 

 

Ce trente-cinquième tome d’une des séries les plus réussies dans l’histoire de la bande Dessinée se conjugue donc autour de Kurdy. Il est le pivot de la narration, c’est vrai, mais il partage l’affiche avec une femme énorme, Mama Olga, qui rêve d’une piscine en parlant à un certain Jaycee, sorte d’hologramme crucifié, immobile et silencieux.

C’est cette femme qui le recueille, en le cachant sous ses jupes, comme dans le film célèbre et superbe  » Le Tambour « … C’est elle, encore, qui lui permet d’aller, passeur de drogue, dans un camp de rééducation où il devrait pouvoir retrouver et sauver un ami… C’est elle, aussi, qui, pour cet orphelin venu de Dieu sait où, va éprouver des sentiments presque maternels…

Mais tout cela n’est, comme souvent chez Hermann, qu’apparences. Et même si on découvre Kurdy capable d’empathie, voire même d’amour, de tendresse lorsqu’il se fait déniaiser, même si la religion presque saint-sulpicienne occupe une place importante dans le portrait de Mama Olga, il y a aussi le camp de rééducation qui se révèle le plus horrible et le plus violent des endroits concentrationnaires, il y a aussi la méfiance qui estompe les amitiés possibles, et l’appât du gain omniprésent, au-delà même de la nécessité de la survie.

C’est ce qui fait de ce livre un portrait au vitriol des apparences et de ce qu’elles cachent toujours !…

Hermann: les sentiments

 

Hermann: les apparences

 

 

Hermann a toujours aimé jouer avec les couleurs, et c’est encore le cas ici, où sa palette a choisi essentiellement les nuances de la grisaille pour définir la plupart des décors et des paysages dans lesquels Kurdy vit, survit, étrangement effacé parfois, mais toujours bouillonnant de l’intérieur.

Ces décors sont là, d’abord et avant tout, pour créer une ambiance. Mais aussi pour se faire les miroirs sans cesse changeants de ce que ressentent et vivent les protagonistes de l’histoire racontée. Une histoire dans laquelle l’horreur est toujours présente, une histoire qui ne peut que déboucher sur la mort et l’ultra-violence.

Le graphisme d’Hermann n’est pas, depuis bien longtemps déjà, celui d’un auteur soucieux de montrer la  » beauté « . Tout au contraire, et même en décrivant des femmes désirables, il semble toujours éprouver le besoin de fuir la perfection, sans arrêt. Et les plus beaux des intérêts qu’il porte à ses personnages, c’est aux êtres difformes qu’il les réserve. Mama Olga, dans cet album-ci, par exemple, est sans doute une de ses plus belles réussites en guise de monstruosité capable aussi de se faire éblouissante ! C’est, encore une fois, le jeu des apparences, un jeu auquel Hermann adore jouer et nous faire jouer !

Hermann: les paysages, les décors, les couleurs
Hermann: la beauté

 

 

J’avoue avoir arrêté, depuis pas mal de temps déjà, de compter le nombre d’albums dessinés par Hermann! On a l’impression qu’il n’arrête jamais de dessiner, de produire… Et même si, de ci de là, des faiblesses existent, l’ensemble de son œuvre est d’une belle unité. Belle, passionnée, et passionnante ! Autant que le personnage, d’ailleurs, qui, sous des dehors parfois bourrus, cherche toujours à s’étonner lui-même avant que d’étonner et de surprendre ses lecteurs.

Travailleur acharné, ce qui frappe essentiellement chez lui, c’est le feu sacré qui l’habite, et la qualité intrinsèque de tout ce qu’il fait, une qualité qui naît du plaisir qu’il ressent à, toujours, infatigablement, chercher à évoluer dans son dessin et dans sa couleur,  comme dans sa narration.

 

Hermann: le travail…

 

La sortie de ce trente-cinquième album coïncide avec la sortie du huitième opus de l’intégrale de Jeremiah.

Une série qui, en presque quarante ans, n’a absolument pas vieilli et qui, même, se révèle souvent d’une actualité brûlante, comme avec ce camp de rééducation qu’on découvre dans ce  » Mama Olga « .

Une série, en tout cas, qui se doit d’être présente dans la bibliothèque de tous les amoureux du neuvième art !…

 

Jacques Schraûwen

Jeremiah : 35. Kurdy Malloy Et Mama Olga (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – parution également du huitième tome de l’intégrale de Jeremiah)