Quipou

Un auteur belge, une chronique qui le laisse parler…

Un livre 100% belge… Deux adolescentes, Lea et Iloa, une Française et une Inca, se retrouvent unies au-delà des siècles et des cultures pour retrouver, ensemble, les routes de l’existence et de la mort… Un livre dense, intelligent, lumineux, dans lequel le fantastique et le réel se mêlent intimement !

 

C’est en 2015 qu’était paru le premier volume de ce  » Quipou « , sous le titre  » L’ombre Inca « , et j’avais eu le plaisir de le chroniquer et d’en rencontrer l’auteur. Deux ans plus tard, les aléas de l’édition font qu’aujourd’hui un autre éditeur a pris cette histoire en charge et a permis à Benoît Roels d’aller au bout de son histoire, en une très réussie intégrale… Une histoire qui mêle l’adolescence vécue de nos jours et celle qui fut vécue, à l’autre bout de la terre, il y a des siècles…

Léa, Française atteinte du syndrome d’Asperger, ne se souvient que très peu de ses origines péruviennes. Adoptée, elle a construit, avec sa mère, une existence plus ou moins  » normale  » en France. Plus ou moins, parce qu’elle ne réussit pas, du fait de son intelligence  » différente  » à nouer des liens, à créer des relations humaines basées sur le respect mutuel. Harcelée, parfois, par ses compagnes de classe, elle l’est aussi par des cauchemars qui lui donnent l’impression de vivre une autre vie que la sienne, celle d’Iloa, une jeune Inca promise à la mort, en sacrifice aux dieux et à leurs pouvoirs.

L’histoire de Quipou, c’est donc celle de Léa… Une Léa qui, à la suite d’un accident, va se retrouver dans le coma et avoir la certitude qu’une autre existence côtoie la sienne, ne fait plus qu’une avec elle.

Et cette certitude va la conduite, au Pérou, sur les traces d’Iloa… Sur les traces, aussi, de son père qu’elle n’a plus vu depuis bien longtemps. Sur ses propres traces, finalement, en des routes où vie et mort se superposent dans une espèce de persistance de la conscience…

Ce livre, vous l’aurez compris, au-delà de l’aventure quelque peu mystérieuse, fantastique, voire ésotérique, nous parle de la foi. De la foi plurielle, plutôt, sans dogmes ni diktats. Une foi qui, aux quatre horizons de la planète, s’ouvre à des réflexions qui parlent de réincarnation, par exemple.

Le  parti pris de Benoît Roels est de croire en cette conscience de Léa devenant double. Mais, en même temps, de ne pas fermer la porte à la science et au doute. Un doute incarné par la mère de Léa, un doute renié par son père, tout au long d’une quête initiatique qui, parfois, se fait aventure historique,  parfois aussi polar presque sociologique, parfois enfin description, de l’intérieur, ce qu’est l’adolescence, de ce qu’est l’éducation, de ce qu’est la transmission de valeurs humaines et humanistes.

Benoît Roels: foi, croyance, doutes…

 

Benoît Roels: les parents et leurs valeurs

 

Pour Léa, Iloa, cette jeune Inca morte depuis bien longtemps, est une amie tangible… Une amie qui accompagne chacun de ses pas… Une amie qui lui parle de sa mort, volontaire, en d’autres temps, un suicide qui, sans doute, l’empêche de rejoindre les territoires qu’on ne sait pas, qu’on ne dit pas, ceux de l’ailleurs…

Le fil conducteur de cet album, c’est l’objet qui lui donne son titre : le Quipou. Une ceinture faite de corde à nœuds, et qui raconte  une histoire, un itinéraire… Un livre, en quelque sorte, qui n’en a nullement l’apparence…

Un symbole, surtout, puisqu’il y a bien, de par la position de chaque nœud et de par leur agencement, un récit, mais aussi un  » chemin « … Et c’est bien de chemins qu’il s’agit, avant tout, dans ce livre, des chemins de vie, des vies toutes différentes les unes des autres, mais toutes, étrangement parfois, dépendant les unes des autres.

Parce que la force de Benoît Roels, c’est de parvenir à nous faire plusieurs récits, et que tous aient leur importance, et à réussir à ce que tous les personnages suivent, finalement, leur propre quipou, en des quêtes identitaires tantôt conviviales, tantôt opposées.

Benoît Roels: tous les symboles du quipou, ceinture et chemin…

 

La force de Benoît Roels, également, c’est de construire sa narration par le dessin, certes, mais aussi et surtout comme un metteur en scène, par le talent qu’il a à ce que chaque personnage ait sa propre manière de parler. C’est presque en tant que dialoguiste, en effet, qu’il fait évoluer son histoire, et on entend, en lisant ses textes, les intonations différentes de chaque interlocuteur, leur manière différente de parler, d’agencer les mots…

Au niveau du dessin, il y a la même volonté, chez Roels, qu’au niveau de l’écriture, celle de permettre au lecteur de deviner et de comprendre les sensations et les sentiments de tous ses personnages. Et pour ce faire, Roels s’est fait le chantre du  » regard « … Ce sont en effet eux, tout au long de cet album, qui définissent les protagonistes, qui en délimitent les présences, les importances… Et dessiner ainsi les regards, pour Benoît Roels, c’est s’approcher au plus près de ses  » acteurs  » et nous offrir à nous, lecteurs, la sensation d’en être tout aussi proches…

Benoît Roels: les dialogues
Benoît Roels: les regards

 

Le graphisme de Benoît Roels s’inscrit résolument dans ce qu’on pourrait appeler une tradition réaliste classique. N’oublions pas qu’il fut, en son temps, adaptateur en bande dessinée de romans pour la jeunesse écrits par des auteurs extraordinaires comme Foncine et Dalens, et illustrés par deux dessinateurs qui ont marqué leur époque de manière indélébile, Pierre Joubert et Pierre Forget.

Avec un tel style classique, un style qui permet une lecture immédiate, sans difficulté visuelle, on pourrait avoir peur de se trouver, graphiquement, dans du tout-venant. Mais il n’en est rien, que du contraire, parce que Benoît Roels est aussi un coloriste de talent. Ce qui caractérise ce Quipou, au-delà de l’histoire, au-delà du dessin, au-delà du fantastique omniprésent, au-delà de la puissance des regards de page en page, c’est la lumière des couleurs qui font plus que créer l’ambiance, qui la précèdent, en quelque sorte. Feuilleter cet album avant de le lire, c’est ressentir, déjà, les différents lieux racontés et décrits, les différents moments dessinés et montrés…

Benoît Roels: le dessin et la couleur

Benoît Roels a réussi son pari, avec ce livre : raconter une histoire passionnante qui aborde des tas de thèmes aussi importants que la transmission, la foi, l’adolescence, la différence, l’acceptation des cultures des autres…

Et ce Quipou est, vraiment, un chemin de mots et d’images qui mérite, assurément, qu’on s’y attarde, qu’on en souligne la beauté et la qualité…

 

Jacques Schraûwen

Quipou (auteur : Benoît Roels- éditeur : sandawe.com)