1966… Un homme, de retour de guerre, quitte tout, femme, enfant, travail. Il disparaît, totalement, et son épouse engage un détective privé pour le retrouver. A partir de là, c’est dans une Amérique profonde et mouvementée que les auteurs de ce premier album nous entraînent.
Ce détective, Jack Cool, ne ressemble pas vraiment à ce qu’on connaît de ce métier au travers de la littérature et du cinéma. Il n’est pas désabusé, il n’est pas paumé, il est plutôt » ailleurs « . Mais actif, à sa manière, sans se presser… Et c’est ainsi qu’il retrouve la trace du disparu, dans une communauté hippie où le LSD est plus qu’une habitude, une vraie religion, un disparu qui a pris le sobriquet de Jésus-Gris.
En même temps, Jack Cool mène une autre enquête, à la recherche de la fille d’une actrice célèbre, une enquête qui va le conduire dans l’entourage d’une espèce de guignol qui se prend, et se fait prendre surtout pour une sorte d’adepte de Satan…
Les codes habituels des romans noirs américains des années 60 et 70, ceux de Carter Brown, de Kaminsky, de Hadley Chase, sont donc bien présents dans cet album. Mais pour Jack Manini, le scénariste, par ailleurs dessinateur lui-même, de » Necromancy » entre autres, ces codes ne pouvaient qu’être triturés, distordus, pour correspondre à ce qu’il voulait : montrer une certaine Amérique, en une époque bien précise, celle des hippies, celle de la nécessité ressentie par la jeunesse d’oublier la guerre du Vietnam, de se plonger dans une autre existence, une existence de liberté nourrie de trips lumineux comme d’improbables arcs-en-ciel.
Et pour ce faire, Manini et son complice au dessin Olivier Mangin s’amusent de page en page, d’une part à être fidèles, certes, à ce pays et à cette époque dans lesquels ils s’immergent en même temps que leurs lecteurs, mais d’autre part à perdre ces lecteurs dans des récits parallèles qui finissent par converger vers un même horizon, le tout à force de faux-semblants de toutes sortes… Le premier de ces faux-semblants narratifs et graphiques étant déjà le titre et la couverture de cette série, qui nous font croire à un héros bien précis, alors que, finalement, il n’en est rien !…
Olivier Mangin: le portrait d’une Amérique
Olivier Mangin: les faux-semblants
Par contre, ce qui est une réalité, dans cet album, c’est la façon dont le dessinateur, Olivier Mangin, a décidé d’aborder l’univers imaginé par Jack Manini. Son style oscille entre le réalisme et la caricature, entre la description et l’introspection onirique, entre la réalité et le délire sous acide.
Cette technique narrative accompagne à la perfection un scénario qui entre de plain-pied dans ce monde américain où la drogue et la jeunesse cherchaient à inventer des mondes meilleurs, dont on sait qu’ils n’ont jamais vraiment pris vie.
Une autre des caractéristiques de ce dessinateur, c’est de s’inspirer, tout au long de ses dessins, d’une construction cinématographique assez typique de ce que le cinéma des années 70 nous montrait : des plans séquence, des perspectives à peine accentuées, des scènes rêvées ou délirées incorporés au fil du récit. Incontestablement, cet album nous immerge, oui, dans une époque révolue, celle où se mêlaient drogue et religion, libertés désirées et gourous arnaqueurs, sectes et sexe, cinéma et promotions canapés… Rien de bien neuf sous le soleil, finalement…
Olivier Mangin: un récit par séquences
Les références du dessin d’Olivier Mangin sont nombreuses, vous l’aurez compris. La franco-belge, bien sûr, mais aussi le manga… et, de ci de là, les comics américains et le cinéma…
Des références que la couleur de Yoann Guillé accompagne en rendant hommage, elle aussi, à un septième art qui osait tout, tant au niveau des ambiances que du récit…
Olivier Mangin: la couleur
Ce livre est un faux polar qui, lentement devient une vraie enquête policière à la manière des romans noirs américains. C’est un livre dans lequel plusieurs histoires se mélangent, d’abord de loin puis de plus en plus intimement… C’est un livre sur les déchirures de quelques personnages, leurs failles, mais aussi et surtout les déchirements et les folies de toute une époque bien précise, celle des années 60/70…
C’est un livre plus qu’agréable à lire, et dont on se demande déjà comment les auteurs en construiront la suite…
A découvrir, donc, sans modération…
Jacques Schraûwen
Jack Cool 1966 : Quelques Jours Avant Jésus-Gris… (dessin : Olivier Mangin – scénario : Jack Manini – couleur : Yoann Guillé – éditeur : Bamboo/GrandAngle)