Quatrième tome, déjà, pour cette excellente série, destinée à tous les publics. Les enfants deviennent adolescents, ils résistent toujours, et la guerre plonge doucement dans l’horreur du génocide… Une chronique à lire, à regarder, et où écouter les auteurs !…
Dans les trois premiers volumes de cette série passionnante, on se trouvait dans une aventure dangereuse, mais aussi vécue par des enfants comme un » grand jeu « . Même si la mort y avait déjà sa place, l’accent était surtout mis sur la manière dont ces trois enfants, deux garçons et une fille, appréhendaient leur quotidien, tentaient de pallier les manquements des adultes frileux les entourant, l’accent était aussi mis sur la façon dont ils entraient en résistance en toute connaissance de cause, mais avec une sorte de détachement presque amusé parfois.
Ici, les choses changent lentement, tranquillement ai-je envie de dire, même si ce mot n’est pas tout à fait approprié à l’époque décrite, racontée.
Il y a une vraie gradation dans l’intrigue, avec l’apparition, tangible, des premières vraies collaborations entre Français et Allemands, avec les délations anonymes, avec la rafle du Vel d’hiv, avec des wagons à bestiaux remplis d’humains porteurs d’une étoile jaune…
Mais ce qui rend cet album véritablement intéressant, c’est que tout cela est traité avec pudeur. Et, surtout, à hauteur du regard des enfants qui deviennent des héros encore plus concernés par une résistance nécessaire, essentielle.
Pour ce faire, il y a le scénario de Vincent Dugomier, linéaire, ne cherchant à aucun moment à éblouir, à extrapoler non plus. Et il y a le dessin, simple, rond, souriant, sans ostentation mais extrêmement efficace dans le graphisme comme dans la couleur, qui reste, sans cesse, construit à l’aune du regard des enfants en train de devenir adolescents. Le lecteur, d’une certaine manière, découvre la guerre avec eux, même si tout lui est connu de ce qui y fut vécu… L’enfance est un filtre narratif particulièrement réussi dans cette série !
Vincent Dugomier: l’évolution de la guerre
Benoît Ers: l’enfance
Et c’est là aussi que cette bande dessinée prend encore plus de force, peut-être : dans les liens qu’une fiction basée sur une réalité ancienne peut tisser avec le monde d’aujourd’hui !
Les enfants de la résistance se demandent jusqu’où ira l’horreur, la violence, le racisme, sans oser croire vraiment que d’inacceptables limites puissent être franchies.
Les auteurs semblent ainsi appeler à résister les jeunes d’aujourd’hui, ces enfants, souvent jeunes, qui sont de plus en plus nombreux à être fans de cette série. Résister à l’indifférence, comme le chantait Bécaud, résister à l’injustice, résister et, surtout, agir, parler…
Vincent Dugomier: »jusqu’où? … »
Cela dit, ne croyez pas que ce livre est un livre à messages ! C’est, d’abord et avant tout, un livre d’aventure, comme je le disais, un album qui se plonge dans les rêves de l’enfance toujours prête à se jeter à la poursuite des trésors les plus fous, à empoigner la vie comme on s’agrippe à un vaisseau fantôme voguant sur les flots de tous les possibles !
Mais cette aventure qu’ils vivent, qu’ils veulent vivre et qui, petit à petit, les dépasse, cette aventure qui pourrait être horrible, est tempérée, dans ce livre, par un sens du décor, de la part de Benoît Ers, bucolique souvent, presque poétique aussi, et se livrant au fil du temps qui passe.
L’enfance devient adolescence, l’hiver laisse la place au printemps, et ce sont ces contrastes quotidiens qui permettent à l’histoire de rester pudique, humaine, humaniste. Les saisons de la guerre sont aussi celles de l’existence qui vieillit…
Benoît Ers: les contrastes dans le dessin
Vincent Dugomier: l’adolescence
Quand on aborde le sujet de la guerre 40/45 en littérature, en bande dessinée ou au cinéma, la tentation du manichéisme est omniprésente. Le film » Dunkerke » en est un bel exemple : belle œuvre d’aventure spectaculaire, ce film est loin, très loin même, d’avoir l’intensité humaine du » dernier week-end à Zuydcoote » !
Ici, aucune vision à l’emporte-pièce d’une époque certes révolue, mais toujours sujette à bien des dérives ! Le fait d’avoir pris des enfants comme héros n’est pas étranger à cette sorte d’objectivité narrative, c’est vrai. Mais il y a aussi la volonté des deux auteurs de coller au plus près, également, de ce que fut le quotidien de monsieur et madame tout le monde pendant cette période sombre de l’histoire du vingtième siècle. Et de ne porter aucun jugement a posteriori, même en ce qui concerne les collaborateurs, voire la personnalité et la personne d’un officier allemand confronté à une dénonciation…
Vincent Dugomier et Benoît Ers: pas de manichéisme …
Quatrième tome, déjà, de cette série qui plaira autant aux adolescents qu’à leurs parents.
Quatrième tome, oui, et d’autres doivent encore venir, pour nous enthousiasmer, nous passionner, toutes et tous.
Quatrième tome, et l’intérêt, à aucun moment, ne faiblit.
Une série importante, avec évidence, qui prouve, si le besoin s’en faisait encore sentir, que la bande dessinée est un art, et un langage surtout, à part entière !…
Jacques Schraûwen
Les enfants de la Résistance : 4. L’Escalade (dessin : Benoît Ers – scénario : Vincent Dugomier – éditeur : Le Lombard)