Il a fallu attendre douze ans pour connaître la suite des aventures de Théodore Poussin ! En album et au cours d’une exposition qui mérite le détour ! Une suite superbe, passionnante, et un auteur, Frank Le Gall, que vous pouvez écouter dans cette chronique…
Le dernier voyage de l’Amok©Dupuis
Frank Le Gall: l’aventure
Frank Le Gall: sans manichéisme
On aurait pu avoir peur, au vu du temps écoulé entre deux tomes, de devoir se replonger dans les anciens albums pour comprendre celui-ci. Mais ce n’est -heureusement- pas le cas. Pour les anciens lecteurs, la mémoire resurgit au fur et à mesure que se tournent les pages. Pour les nouveaux lecteurs, le passé des personnages principaux se fait comprendre petit à petit, sans heurts, de manière, tout compte fait, très linéaire.
La raison en est simple, elle tient dans la volonté de Frank Le Gall de privilégier l’aventure, mais une aventure toujours à taille humaine, une aventure nourrie, d’abord et avant tout, de sentiments, de sensations, d’impressions même.
La bande dessinée souffre encore trop souvent de cette volonté qu’ont des auteurs à user et abuser de personnages monolithiques. Avec Frank Le Gall, ce n’est pas le cas, et son héros Théodore Poussin ne ressemble en rien, malgré son visage qui rappelle Hergé, à un héros sans peur et sans reproche.
Dans cet album, on le voit sale paumé, on le voit amer, on le voit avide de vengeance. Même s’ils sont de papier, les personnages créés par Frank Le Gall, incontestablement, ont une existence qui n’a rien de manichéen, et c’est ce qui fait aussi la richesse de cette série.
Le dernier voyage de l’Amok©Dupuis
Frank Le Gall: errances
Frank Le Gall: amber
Au début de ce livre, donc, Théodore Poussin a tout perdu. Son île, ses cocotiers, ses illusions. Mais ce qu’il a conservé, c’est l’envie, souveraine, de se relever, de se battre, et de vaincre, définitivement, le capitaine Crabb, cause de tous ses malheurs.
Pour ce faire, il va entamer une quête dont on devine, très vite, qu’elle ne peut que se révéler meurtrière.
C’est dire que cet album, dans la veine de Corto Maltese mais aussi de Blaise Cendrars, est un livre d’aventures marines et humaines. Un livre qui fait de l’errance un moteur du récit. Un livre qui multiplie les personnages sans pour autant les réduire à de simples éléments de décor, comme le faisait en son temps le romancier Stevenson.
Frank Le Gall joue, certes, avec les êtres qu’il crée au papier du récit qu’il nous livre. Mais il s’y attache, incontestablement, et c’est sans doute le plus monstrueux d’entre eux qui en devient aussi le plus attachant. Et ce n’est pas anodin de constater que le plus insignifiant de ces personnages, le chien Amber, est, finalement, le seul vainqueur de cet épisode puissant…
Le dernier voyage de l’Amok©Dupuis
Frank Le Gall: êtres vivants
Frank Le Gall: symboles
Sans cesse inquiet de son destin, Théodore Poussin se laisse balloter, depuis douze albums, par les événements, par des aléas d’une existence qu’il ne se choisit jamais réellement. Dans ce treizième volume, il en va tout autrement. Il renonce à son destin pour prendre, enfin, sa destinée en main, à pleines mains même. Il abandonne, en quelque sorte, le rêve et la dépendance de l’enfance pour oser s’aventurer (l’aventure, encore, toujours…) dans un monde adulte qu’il va devoir apprivoiser. Et il est significatif, à ce sujet, de remarquer que le seul être qui tente de lui offrir une maturité qui lui manque est une femme qui, physiquement, mentalement, semble avoir tous les attributs de la « vamp » sans intérêt.
Ce qui est significatif, aussi, ce sont les nombreux symboles qui émaillent ce livre. Et, plus encore, le dernier échange de mots entre un de ses hommes d’équipage et Théodore Poussin. On lui demande « qu’allez-vous faire ? ». Et Poussin répond, les yeux perdus vers l’ailleurs : « être vivant ».
Les masques, tous les masques sont tombés, le pardon peut devenir une arme puissante, et les lendemains de Théodore Poussin vont lui créer, on le sent, on le sait, une neuve destinée !
Le dernier voyage de l’Amok©Dupuis
Frank Le Gall: expo
Et donc, cet album, vous l’aurez compris, est une totale réussite, tant par l’intelligence de sa construction narrative que par les fenêtres qu’il ouvre, chez les lecteurs, sur la poésie, sur le rêve, sur l’espérance, sur l’amour aussi…
Il est une réussite, également, grâce au dessin de Frank Le Gall, un dessin qui, en douze ans, a évolué, vers plus de présence du trait, entre autres.
Et l’exposition à Bruxelles, à la galerie Huberty Breyne, au Sablon, est à ne pas rater, puisqu’elle permet à tout un chacun d’avoir une vue complète sur toutes les planches de ce « dernier voyage »…
Une exposition et un livre qui, totalement, prouvent que le neuvième art est bien un art à part entière !
Jacques Schraûwen
Le Dernier Voyage de l’Amok (auteur : Frank Le Gall – éditeur : Dupuis)
Exposition à la Huberty Breyne Gallery jusqu’au 29 avril 2018
https://www.hubertybreyne.com/