Considéré comme le « Nobel » du monde hispanophone, ce prix couronne cette année une auteure française de « polars », dont le jury souligne la portée universelle et l’apport à la revitalisation du roman policier.
Il couronne aussi une femme de lettres qui s’est aventurée quelque peu dans le monde du neuvième art.
Fred Vargas – © Baudouin/Vargas
Fred Vargas n’a rien de sectaire, loin s’en faut, et ses thèmes de prédilection sont d’abord ceux de l’humain. Bien sûr, il y a toujours dans ses écrits les codes du roman policier : des meurtres, une enquête, des fausses pistes… Mais il y a d’abord le plaisir qu’elle prend à nous montrer des personnages hauts en couleur, dont le portrait lui permet de s’aventurer dans différentes époques de la grande Histoire. Sa façon, par exemple, de nous parler de Robespierre dans un de ses récents romans, est absolument fantastique.
Aujourd’hui, c’est peut-être au travers des » polars » que la société dans laquelle nous vivons se dévoile le mieux, puisque ce sont les travers humains, les folies et les errances de tout un chacun qui servent toujours de trame à ces livres aux mille lucidités.
On peut, évidemment citer bien des noms d’auteurs qui, ces dernières années, ont permis d’universaliser ce genre littéraire qui, volontairement, puissamment, s’est toujours voulu proche de la réalité, quelle qu’en soit la démesure.
Et de démesure, il en a toujours été question dans les romans de Fred Vargas, cette femme de lettres issue du monde de l’archéologie. Démesure dans les intrigues qu’elle aime mettre en scène(s), démesure dans la variété des personnages qui sont devenus emblématiques de ses propres démesures littéraires, démesure, surtout, dans la construction extrêmement poétique de tous ses romans. Son personnage « fétiche », Adamsberg (dont on a fait une adaptation plus ou moins réussie en télé, donc plus ou moins ratée…) est l’antithèse du flic tel qu’on l’imagine. Il a, certes, la carrure de Maigret, mais c’est en rêvant, en dessinant, en cultivant le sens du langage, qu’il mène ses enquêtes. C’est un personnage hautement surréaliste, oui, sans aucun doute !…
Fred Vargas – © Baudouin
Et Fred Vargas a fait plus qu’une incursion dans l’univers de la bande dessinée, puisqu’elle a collaboré avec le dessinateur Baudouin, par deux fois si ma mémoire ne me trahit pas, et une troisième fois au cours d’une exposition qui s’est tenue à Bruxelles il y a quelques années.
Baudouin, que j’avais rencontré à cette époque, ne tarissait pas d’éloges sur la disponibilité totale de Fred Vargas, et Fred Vargas, elle, me disait avoir pris un vrai plaisir à voir se transformer ses mots en dessins d’une modernité puissante.
Le Prix qu’elle vient de recevoir couronne une œuvre, certes, mais aussi et surtout, peut-être, une femme ouverte à toutes les réalités de la création artistique, une femme à l’humanisme évident !
Jacques Schraûwen