Arale

Une uchronie parfaitement réalisée.

L’uchronie est à la mode, en bande dessinée, depuis quelques années, avec plus de ratages que de réussites, il faut bien le dire. Parce que construire une totale fiction à partir de faits historiques réels mais détournés, cela demande à la fois de la culture historique et de l‘imagination débridée. Et c’est bien le cas ici !

 

 

Arale © Dargaud

 

Nous sommes au début des années trente. La première guerre mondiale ne s’est jamais terminée. Le tsar de toutes les Russies et le sombre Raspoutine affrontent les ennemis de l’extérieur autant que ceux de l’intérieur. Mais c’est la magie qui dirige le monde ! Et dans cette ambiance délétère, un homme, un guerrier, un soldat fidèle au souverain, va devenir un pion entre les mains de quelques mages soucieux de conserver tous leurs pouvoirs.
Parce que le Tsar, en fait, est mort depuis bien longtemps ! Mais par la puissance des forces des ténèbres, Raspoutine est parvenu, depuis le décès du tsar, à garder en vie son corps, mais un corps habité, plusieurs fois déjà, par une autre existence.
Et Kyril, le personnage central de cette histoire, de ce premier tome en tout cas, va être choisi pour prendre la place de ce tsar auquel il voue une fidélité inébranlable.

Arale © Dargaud

 

Kyril, c’est un soldat, un héros, que tout le monde en Russie connaît, dont tout le monde vante et chante les exploits, et ceux de ses deux amis qui ont sauvé le pays : la lumineuse Saskia et le révolté Youri.
Youri qui a disparu, mort sans doute… Alors que Saskia, elle, en compagnie de Kyril, apprend à des jeunes recrues à utiliser une arme redoutable.
Les personnages sont en place, l’histoire peut commencer. Et pour sauver, une fois de plus, la pseudo-réalité du tsar, Kyril va devoir plonger dans l’inconscient, dans un univers de limbes où les morts côtoient quelques vivants égarés, où la guerre et l’horreur déforment et détruisent les âmes autant que les corps.
Dans ces limbes, territoire entre envie et mort, lieu de haine et d’indicibles combats, Kyril a comme mission de se rendre jusqu’à Arale, cité dans laquelle il pourra rencontrer les magiciens qui le feront « entrer » dans le corps du tsar.

 

Arale © Dargaud

 

Entre Histoire réinventée et science-fiction, entre fantastique et réflexion sociale, entre philosophie et galerie de personnages étonnants, ce premier tome de ce qui devra être une saga à la fois intimiste et pleine d’aventures à rebondissements, ce « Arale » m’a incontestablement séduit. Par le propos, qui réussit à parler d’un climat social qui, de par bien des aspects, nous rappelle ce qu’est aussi notre société. Le tsar est une icône, comme notre monde contemporain aime en créer à tire larigot, de téléréalité en téléréalité. Dans ce livre, on parle d’une technologie qui prend le pas sur le réel. On y montre aussi un personnage, Youri, qui incarne la révolte, une révolte intellectuelle, d’abord, dont on devine, à la fin de ce premier volume, qu’elle va devenir tout autre…
Soulignons, outre le scénario de Tristan Roulot qui, vous l’aurez compris, fourmille d’inventions passionnantes, la qualité du dessin et de la couleur. La vivacité du trait et les cadrages choisis par Denis Rodier ne sont pas sans rappeler l’art des comics américains. Mais Rodier s’éloigne de l’influence des super-héros, poussé par une histoire qui demande de sa part une approche plus observatrice de l’action qu’il dessine. Et la couleur de Bruno Tatti crée quand il le faut des ambiances tantôt délétères, tantôt brutales, tantôt fantasmagoriques, tantôt extrêmement réalistes.
Un bon début de série, donc, que ce « Arale », en espérant que les épisodes suivants rempliront les r-promesses de ce premier opus.

 

Jacques Schraûwen
Arale (dessin : Denis Rodier – scénario : Tristan Roulot – couleur : Bruno Tatti – éditeur : Dargaud)

Arale © Dargaud