Etrange personnage que ce « Duke », et qui, malgré son nom, n’a rien à voir avec John Wayne ! Etrange, envoûtant, déroutant. Et dessiné par l’immense Hermann !
Oui, je suis inconditionnel du travail d’Hermann, je l’avoue. Depuis des années et des années, il a enchanté mes lectures. Comment oublier Bernard Prince, comment oublier Comanche, deux séries qui auraient pu n’être que codifiées « en tradition » mais qui, cependant classiques, osaient s’aventurer dans d’autres chemins que ceux de la ronronnante bande dessinée des années 60.
Ensuite, il y a eu plusieurs one-shots, avec différents scénaristes, dont Van Hamme qui, avec Hermann, est parvenu à varier ses thèmes d’inspiration habituels et redondants. Il y a eu ses propres scénarios, et des séries qui, de plus en plus, ont permis à son graphisme de se personnaliser totalement, de par le sens de la laideur embellie qu’Hermann pratique avec un talent exceptionnel…
Avec Duke, on se retrouve dans une série western, une série pure et dure, sans concessions, avec un personnage central qui n’a rien d’un héros, loin s’en faut.
Disons-le tout de suite, j’ai une critique à formuler quant à cette série. Le scénario d’Yves H. y manque parfois de consistance et pratique un peu trop le raccourci. Mais, surtout, il est impossible d’entrer dans un album, le trois en l’occurrence, sans avoir lu les précédents, et les avoir gardés en mémoire ! Un petit résumé ne serait pas de trop, loin s’en faut, pour que le lecteur ne se perde pas en route.
Parce que cette route, graphique et colorée, mérite, assurément, qu’on s’y plonge… L’histoire, le récit, les récits plutôt, abordent bien des thèmes qui dépassent la simple anecdote narrative.
Duke se donne l’illusion d’être un homme droit, entier, honnête. Mais il découvre lentement que ce n’est pas le cas. Et que, finalement, il n’est qu’une ombre, celle de la grande faucheuse, une ombre dont toutes les attaches humaines se détruisent, s’effacent, famille et amis, par sa seule présence, par se seule vérité de tueur…
Duke, c’est une bande dessinée très sombre, désespérée, désespérante. Classique de par son contenu immédiat : il y a des bons, il y a des méchants, il y a une diligence, une attaque, de l’argent volé, des duels, des coups de feu, des morts, encore des morts. Mais le tout est montré et raconté dans un style qui s’éloigne complètement de celui de John Ford ou de même de Giraud ! La violence et la mort sont omniprésentes et font partie du décor. A ce titre, j’ai adoré cette séquence pendant laquelle débarquent des tueurs dans un village mexicain, un village en fête et qui n’arrête pas cette fête malgré les coups de feu et les cadavres.
Il y a ainsi toujours, chez Hermann, le besoin, sans discours, de montrer la réalité telle qu’elle est, telle qu’elle était, telle qu’elle pourrait être, et de dévoiler, en même temps, tout ce que cette réalité peut cacher comme mensonges et comme vérités sans cesse emmêlées, pour le meilleur et le pire, pour la trahison et le partage, pour la vie et la mort.
Dans chacun de ses livres, Hermann réussit à éblouir par quelques planches somptueuses… Par l’utilisation de la couleur, aussi, par la façon qu’il a de toujours envisager ses découpages par séquences, à la fois graphiques et colorées.
J’ai toujours trouvé exceptionnel, chez lui, le fait que, quel que soit le scénariste avec lequel il travaille, c’est sa « patte » qui prend toujours le dessus !
Et sa « patte », dans cet album-ci, est à admirer, totalement, dans les quelques planches, en fin de livre, qui nous montrent Duke et toute une ville se perdant dans la grisaille d’une pluie plus désespérante encore que les personnages.
Duke, c’est de l’excellent western… Mais, s’il vous plait, pour le prochain album, que l’on n’hésite surtout pas à l’introduire par un petit résumé !
Jacques Schraûwen
Duke : 3. Je Suis Une Ombre (Dessin et couleurs : Hermann. Scénario : Yves H. Editeur : Le Lombard)