Le regard que porte un » grand » du neuvième art sur les migrants… Un livre à ne pas rater !!!
Christian Lax est un artiste hors-pair, qui, de livre en livre, semble ne traiter, vraiment, que les sujets qui le touchent profondément. C’est encore le cas dans cette » Maternité Rouge « , qui s’ancre à la fois dans l’universel et le contemporain !
Les éditions Futuropolis, en collaboration avec » Louvre éditions « , permettent à la bande dessinée à s’enfouir profondément dans le monde de l’art, le neuvième et tous les autres… Et de le faire en permettant à l’imagination des auteurs d’aujourd’hui de coller du plus près possible avec la réalité d’un lieu mythique, lieu de cultures plurielles plus que musée national !
Christian Lax, lui, nous parle à la fois de la richesse des collections d’art premier du Louvre et d’un aujourd’hui, à Paris comme dans toutes les cités qui ont la chance de se trouver loin des guerres, qu’elles soient militaires ou économiques, d’un aujourd’hui de peur, de honte, d’espérances trop souvent déçues.
En nous racontant l’histoire du jeune Alou, découvrant, en fuyant les djihadistes, une statue dans un vieux baobab, en nous décrivant la façon dont un vieux » sage » lui donne mission d’aller mettre cette statue, une « maternité », à l’abri à Paris, en nous montrant tout le trajet de ce jeune garçon jusqu’à Paris, Christian Lax nous dessine une longue ligne brisée, la ligne de la vie, la ligne du temps… Le « temps » de ce jeune héros, le temps, aussi, qui fut le sien pour rédiger cet album superbe.
Pour parler d’art, quel qu’il soit, on peut écrire des essais savants, on peut montrer des œuvres dans toutes les positions, on peut faire de la bd historique et didactique, explicative.
Mais on peut aussi le faire par des moyens détournés, des moyens qui, en vérité, furent aussi ceux, le plus souvent, des » créateurs « , du plus reconnu au plus anonyme.
Les arts premiers sont ceux de l’humain, avant tout, de l’humain qui, par le biais de la création, se rapproche en même temps de lui et des dieux. Un album de bande dessinée pour parler de cet art-là ne pouvait donc que le faire en parlant d’abord et avant tout de l’humain !
Livre humaniste, livre symbolique aussi, livre terriblement actuel, cette » Maternité rouge » s’adresse directement à nous, les yeux dans les yeux, sans rien cacher de l’horreur de la migration mais en montrant un trajet d’homme avec une pudeur évidente.
On pourrait croire, en suivant le trajet d’existence d’Alou, que l’Art est plus essentiel que l’existence. Mais ce que Christian Lax nous dit, c’est tout autre chose… Sans art, l’homme n’aurait aucune prise sur le monde qui est sien. L’art est mémoire, également, et toutes les civilisations ont toujours eu besoin, pour se perpétuer, d’artistes capables de dépasser les codes du passé pour éclairer le présent.
L’art est aussi, peut-être, utopiquement sans doute, l’ultime rempart contre la barbarie !
C’est pour cela que l’objet axial de cette narration éclatée dans le temps comme dans les lieux est une statue de » maternité « . Une maternité rouge comme le sang, comme la mort, donc.
Les symboles sont extrêmement nombreux dans ce livre, et permettent mille et une lectures… Des symboles qui, tous, nous ramènent à des réflexions élémentaires, propres à tout un chacun depuis toujours : le hasard existe-t-il ?… L’art se révèle-t-il éternel ?… Et quels sont les rapports à construire avec le monde, la nature, et le divin !…
Le dessin de Christian Lax est d’une superbe efficacité, mais sans aucun » effet spécial « , sans aucun manichéisme. Lax aime le portrait, c’est évident, et sa façon de s’approcher au plus près des visages en est une preuve. Tout comme sa manière de dessiner tout simplement le quotidien, dans ses gestes, dans ses regards, dans ses sourires. Et les mots qui accompagnent ce récit sont, eux aussi, des portraits rapprochés, ceux des personnages, certes, ceux de l’une ou l’autre culture, aussi… J’épingle à ce sujet une petite phrase d’un migrant africain apprenant à parler le français : » j’habite votre lange » !
Ce livre est fait de dessins, de mots, et de longs silences, aussi, le silence d’une traversée humaine, le silence d’une horreur quotidienne qui ne peut que se dévoiler avec moins encore que des demi-mots.
Outre les portraits, Christian Lax adore aussi nous plonger dans des paysages puissants, véritables acteurs de son récit, que ce soit en pleine Afrique ou en plein Paris.
Et puis, il y a cette tonalité pratiquement monochromatique de cet album, avec, uniquement, ici et là, quelques touches de couleur… Le blanc des cheveux, le rouge de la Maternité, le bleu de la mer…
Migrer, c’est à la fois voyager vers la mort et vers un renouveau rêvé.
Voyager, c’est aussi vouloir dépasser les apparences, celle du physique comme de l’espérance intime.
Cette » Maternité Rouge » sera, j’en suis totalement persuadé, un des plus beaux albums de bd de l’année 2019. Par son dessin, sa narration, et tout ce que Christian Lax réussit à y intégrer, avec lucidité, intelligence, et poésie…
Ne ratez pas ce livre, croyez-moi ! Il est la preuve que la bande dessinée est un art essentiel parce que proche de chacune et de chacun !
Jacques Schraûwen
Maternité Rouge (auteur : Christian Lax – éditeur : Futuropolis et Louvre éditions)