Olivier Berlion, interviewé dans cette chronique, est l’auteur complet d’une BD qui nous emmène dans une Amérique des années 30, sur les traces de Lucky Luciano et d’une superbe blonde !
Nous sommes en 1931. Agata est une jeune polonaise, blonde et souriante, musicienne et déracinée, qui débarque aux Etats-Unis, fuyant son pays et le » péché » qu’elle y a commis, un avortement.
Cette Amérique dans laquelle elle arrive sera-t-elle pour elle le lieu d’un nouveau départ, ou n’est-elle qu’un mirage de plus, comme pour tant et de migrants qu’elle croise à Ellis Island, porte d’entrée dans un monde qui n’a rien d’idyllique?
Un monde dans lequel le pouvoir n’appartient (déjà !…) plus à la politique, un monde dans lequel la mafia occupe tous les échelons de la société dite civile.
Et cette série naissante nous dresse le portrait, certes, de cette jeune femme, amoureuse de la musique, qui va découvrir le jazz, qui est recueillie par des compatriotes, qui travaille dans un bar et tombe amoureuse de son propriétaire, qui se lie d’amitié avec un gamin espiègle et remuant.
Mais elle nous dresse aussi, en parallèle, le portrait sans concession d’un des plus connus et des plus puissants des mafiosi : Lucky Luciano !
Olivier Berlion, pour nous conter ces deux histoires, aurait pu faire le choix d’un graphisme aussi noir que le sont les romans abordant ces thèmes sombres de la littérature et de l’Histoire mêlées. Il n’en est rien, et c’est la première des qualités de cet album : la lumière, chaude, souriante, qui sert de trame de fond à son récit, au travers d’une couleur puissante.
Et cette lumière, née sans doute de la beauté de la belle Agata, cette jeune femme qui pourrait n’être qu’une » vamp » et qui se révèle infiniment plus forte et plus intelligente, cette lueur qui ressemble à celle de l’espoir, elle jaillit aussi de la façon dont Olivier Berlion nous montre à voir un des éléments importants de ce livre : la musique, et, plus spécifiquement, le jazz. Une musique pour laquelle, en quelques endroits de son récit, Berlion se fait didactique. Une musique, surtout, qui devient le rythme presque chaloupé à certains moments, endiablé à d’autres, des mots et des dessins.
Olivier Berlion est un dessinateur réaliste… Surtout ici, dans cette nouvelle série. Un dessinateur dont on ne peut pas oublier la superbe série » Sales Mioches « , dans laquelle son réalisme se faisait souple, presque poétique. Son style, alors, faisait penser à quelques grands aînés, comme Poulbot, Forget ou Joubert.
Cette manière qu’il avait d’approcher la physionomie de ses personnages, Olivier Berlion ne l’a pas perdue totalement, loin s’en faut. Et même si, dans ce » Agata » comme dans Toni Corso ou l’Art du Crime, autres œuvres qu’il a signées, le sujet traité demande à son trait d’être résolument proche du réel, Olivier Berlion retrouve cette espèce de fraîcheur qui était la sienne dans l’approche graphique qu’il fait de l’enfance… Et d’un personnage qui, dans ce premier volume, se révèle vite bien plus qu’un simple second rôle.
Auteur complet de cet album, Olivier Berlion a fait le choix, également, de privilégier, malgré le parallélisme des histoires racontées, une unité de temps, une immédiateté de lecture, aussi, grâce à un découpage classique.
A partir d’une documentation parfaitement assumée, en utilisant quelques raccourcis temporels qui n’enlèvent rien au plaisir de la lecture, en mêlant le polar, le romantisme, voire même le mélo, cet auteur parvient à étonner…
A étonner aussi par la facilité qui semble sienne à nous faire ressentir le poids du temps qui passe, et ce en passant de séquence en séquence, sans jamais briser le rythme de la narration.
Dans ce premier volume, on découvre les Etats-Unis des années 30, la violence presque institutionnalisée, la déliquescence du monde politique. On rencontre, surtout, quelques personnages hauts en couleurs, dont les existences se laissent découvrir avec un véritable naturel.
La mise en scène de ce premier acte est vraiment réussie, presque cinématographique, tout en restant ancrée aux codes du roman américain noir.
Tout est en place, désormais, pour que Luciano, Agata et le destin se retrouvent en face à face dans les albums à venir !
Jacques Schraûwen
Agata: Tome 1 – Le Syndicat Du Crime (auteur : Olivier Berlion – éditeur : Glénat)
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