C’est au milieu des années 80 qu’est apparue cette héroïne aux courbes voluptueuses. Une femme perdue dans ce qui ressemble à un monde post-apocalyptique. Une femme aux nudités affolantes pour tous ceux et toutes celles qu’elle croise. Une femme aujourd’hui de retour !
Que les choses soient claires, tout de suite : ne me demandez pas de vous résumer cet album, et encore moins ceux qui l’ont précédé ! C’est d’ailleurs la grande caractéristique de cette série : être devenue mythique malgré un scénario pour le moins hermétique !
Tout ce qu’on sait, c’est que Druuna, nue le plus souvent, se retrouve, d’album en album, dans des mondes différents, mais tous marqués par une ambiance d’horreur évidente, par une sensation constante qu’une catastrophe a pratiquement détruit toute l’humanité.
Et dans ces mondes, cette femme plus que gironde, à la poitrine et à la croupe imposantes, à la beauté exhibée sous toutes ses coutures, cette femme aux sensualités exacerbées cherche à survivre. Elle le fait de rencontre en rencontre, elle le fait en se donnant, en subissant de mâles assauts de toutes sortes, souvent monstrueux. On ne peut vraiment pas dire de Druuna qu’elle est le symbole du féminisme, loin s’en faut ! Mais elle est le symbole de la lutte, à tout prix, pour exister, pour que subsiste, même dans l’horrible, la sensation et, qui sait, la réalité de l’amour… Même si cet amour n’est, finalement, que charnel à chaque fois.
Il faut d’ailleurs reconnaître que le succès de cette série tient à ce qui sous-tend toute sa narration, graphique surtout : l’érotisme. Voire même la pornographie, reconnaissons-le !… Mais pour Serpieri, comme pour Manara, comme pour Crepax avant eux, l’érotisme, même hard, n’est jamais une finalité. C’est un moyen, narratif et graphique, pour raconter plus qu’une histoire, pour raconter et montrer un plaisir… Le plaisir de dessiner la chair, de lui donner vie sur le papier, de lui offrir des reliefs insensés.
Comme Manara et Crepax, Serpieri, au travers de son scénario, aussi difficile d’accès puisse-t-il être, parvient, au-delà d’un simple récit, à agripper le lecteur par les thèmes qu’il aborde.
Et dans ce cinquième opus, Serpieri abandonne le hard, se contente en quelque sorte d’un érotisme torride, certes, mais sans provocation, pour revenir à ses premières passions dessinées, par exemple, le western. Pour parler, aussi, de la religion, aujourd’hui, en faisant dire à un de ses personnages : « plus personne ne respecte l’autorité spirituelle ». Pour, en utilisant un langage à la fois psychologique et pseudo-scientifique, faire dire à un autre de ses personnages que les machines, omniprésentes dans cet album, sont là « pour sauvegarder l’humain, ou du moins ce qu’il en reste dans le monde ».
Ce cinquième album des aventures de Druuna est donc très différent des précédents. C’est un livre qui nous parle de la mémoire, de son retour, par à-coups, de ses vides. C’est un livre qui nous envoûte en nous plongeant dans la spirale du temps. C’est un livre qui nous parle de nos présents et de nos passés en réinventant le réel jusqu’à l’horreur. C’est un livre de science-fiction qui se nourrit de références de toutes sortes, de Klaus Kinski à Einstein.
C’est une bd presque surréaliste, qui donne l’impression, souvent, d’avoir été dessinée et écrite comme les poètes proches de Breton réinventaient le forme poétique : en usant d’écriture automatique.
C’est un livre charnel qui nous parle de la virtualité.
Druuna, je le pense, j’en suis certain, continuera pendant longtemps à plaire. Pour son érotisme, oui, évidemment. Mais aussi, et surtout sans doute, parce que c’est une série BD qu’on ne peut rattacher à aucun genre, qu’on ne peut jamais codifier !
Et ce cinquième « épisode » est peut-être le meilleur, lui qui abandonne la provocation érotique gratuite pour ne plus laisser la place qu’à une essentielle sensualité !
Jacques Schraûwen
Druuna : 5. Celle Qui Vient Du Vent (auteur : Paolo Eleuteri Serpieri – éditeur : Glénat/Lo Scarabeo)