Nestor Burma, ce n’est pas uniquement Guy Marchand, même si cet acteur a réussi à incarner en profondeur ce détective privé parisien.
Nestor Burma, c’est un anti-héros créé par un auteur inclassable et, j’ose le dire, génial, Léo Malet.
C’est en 1943 que Nestor Burma, sans doute le premier vrai détective privé de la littérature française, a vu le jour, en une époque où l’interdiction, plus ou moins, de la littérature américaine en France Occupée laissait l’opportunité à des auteurs français de se lancer dans un genre littéraire très particulier, celui des polars, des romans noirs.
« Les Nouveaux Mystères de Paris », titre générique des enquêtes de Nestor dans la seule capitale française, enquêtes entamées dans les années 50, était un hommage à la littérature feuilletonnesque du dix-neuvième siècle. C’est que Léo Malet est un écrivain qu’il est impossible d’enfermer dans une seule case.
Politiquement anarchiste, d’abord, proche, ensuite, du mouvement dada et puis du surréalisme, Léo Malet a toujours eu, semble-t-il, l’écriture chevillée autant au corps qu’à l’âme. Une âme révoltée, toujours. Contre un monde qui, au fil des aventures qu’il a imposées à son détective de choc, se fait de plus en plus éloigné de « l’humain ». Contre les profiteurs de la guerre, contre les traîtres à leur propre enfance, contre les cons toujours proches de ceux d’Audiard.
Nestor Burma, aujourd’hui, redevient un personnage littéraire actuel, contemporain. Avec trois livres dans lesquels je me suis plongé.
Le premier, « Les loups de Belleville » est, à mon humble avis, à très vite perdre dans les oubliettes des nanars inutiles…
Le deuxième, « Crime dans les Marolles », aurait pu être plus intéressant. Mais l’auteure, Nadine Monfils, se perd dans une intrigue inspirée par la réalité, elle se veut presque enquêtrice elle-même, elle essaie de faire preuve d’un humour qui tombe à plat, et tout cela fait de ce livre quelque chose d’indigeste, déjà pour le Belge que je suis, certainement pour tous ceux qui ne connaissent que peu les Marolles, traitées ici comme en une carte postale presque exotique et un peu ridicule !
Deux déceptions, donc, et pas qu’un peu !
Et puis, il y a Michel Quint, enfin ! Un écrivain, un vrai, qui a su retrouver le style de Malet sans pour autant le copier, qui a su insuffler à son récit tous les codes qui semblaient n’appartenir, pourtant, qu’au seul Léo Malet.
Il y a dans ces « Belles de Grenelle » quelques pages rythmées comme des poèmes, il y a des descriptions de lieux (la foire du livre, à Paris, par exemple) que Malet aurait certainement adoré faire, il y a, comme avec le Nestor Burma originel, l’omniprésence de la boisson comme révélateur de nostalgie, de mélancolie, d’inventivité, de douce folie, de rêveries s’ouvrant à la réalité.
Comme Malet, Michel Quint parle de la vie et de la mort, toujours intimement mêlées, chacune se nourrissant de la puissance de l’autre pour créer des paysages dans lesquels les sentiments, au sens large du terme, occupent tout l’espace.
Et comme chez Léo Malet, c’est aussi d’amour que ce livre nous parle, puisque Nestor Burma enquête sur le meurtre de celle qui fut le premier amour de sa vie, égorgée dans le parc Georges Brassens.
Michel Quint aime les mots, il les apprivoise, avec un naturel presque poétique, il aime les symboles, il aime les personnages, les « trognes », et il écrit avec un plaisir communicatif… Il y a dans son style littéraire quelque chose de Malet, mais aussi de Dimey.
Et ces « Belles de Grenelle » deviennent ainsi, de par sont talent et son intelligence, plus qu’un hommage à Léo Malet : une vraie continuité !…
Jacques Schraûwen
Les nouvelles enquêtes de Nestor Burma : Les Belles de Grenelle (auteur : Michel Quint – éditeur : French Pulp Editions)