Régis Loisel au scénario et Olivier Pont au dessin: une équipe de choc pour une aventure dans laquelle les femmes ont le premier rôle! Et une chronique qui laisse la parole à ces deux auteurs!
Il est évidemment inutile de présenter Régis Loisel. Il est de ceux qui ont fait de la bande dessinée ce qu’elle est aujourd’hui : un creuset de création qui ne renie rien de ses origines tout en réussissant sans cesse à innover, à inventer. « Peter Pan », « Le Grand Mort », « Magasin Général » sont autant de séries dans lesquelles il prouve depuis bien longtemps ses talents à la fois de dessinateur et de scénariste.
Olivier Pont, son cadet, ne manque pas de talent non plus, et il est l’auteur de l’extraordinaire « Où le regard ne porte pas ».
Et les voici tous deux, donc, réunis pour une série d’aventures tropicales et humaines aux mille sensations…
Max, à la mort de sa mère, découvre dans son héritage deux photos. Deux clichés où il se reconnaît, tout enfant, au Brésil, en compagnie de sa mère. Mais aussi en compagnie, sur chaque photo, d’un homme différent. L’un des deux, il en a la conviction, doit être son père.
Et donc, il retourne au Brésil, et commence pour lui une aventure de laquelle, on le sait, on le sent, il ne sortira pas indemne. Parce qu’un des deux hommes présents sur les photos est un putain de salopard… Ce sera donc une aventure qui va lui offrir quelques rencontres hautes en couleur, des femmes, surtout, deux infirmières gay, une baba cool aussi qui l’enfouit en deux temps trois mouvements au fond de son lit…
Les personnages sont nombreux… Et tous, par la magie d’un Loisel passionné par l’âme humaine et toutes ses dérives, même charnelles et violentes, forment la trame d’un récit écrit et dessiné à taille humaine. Loisel et Pont sont de superbes raconteurs d’histoire(s) !
Il n’y a pas qu’un seul récit, dans ce premier tome… Tout est multiple, mélangé, les récits se croisent, se fuient, se retrouvent. Ils sont des regards portés sur la différence, celle de l’héroïne, muette, celle des deux infirmières, lesbiennes. Des regards accrochés, également, à la douleur, à la résistance, à la non-civilisation comme échappatoire à la mort programmée.
Ces regards, qui auraient pu être disparates et faire perdre son unité à l’histoire qui nous est narrée, c’est Olivier Pont qui les met en scène, en transformant en dessins des mouvements cinématographiques comme les champs/contrechamps, les plongées, les contre-plongées… Et puis, il y a dans ce livre un élément majeur, moteur même à certains moments, et c’est la couleur. J’avoue que le travail de François Lapierre m’a totalement ébloui. On ressent vraiment, grâce à sa couleur, la densité et la moiteur des matières, la sueur et la fraîcheur épaisse des sous-bois, la brutalité de la pluie qui tombe sans s’arrêter.
Et ce qui fait la totale réussite de cet album, c’est le mélange parfaitement dosé entre le texte, le sens du dialogue, le dessin, ses envolées somptueuses et ses trognes presque caricaturales, et la couleur d’une puissance d’évocation exceptionnelle !
Le dessin non réaliste d’olivier Pont lui permet, en racontant une histoire, qui, elle, est parfois d’un réalisme brutal, de différencier par le trait, le visage, les expressions, tous les personnages imaginés par Régis Loisel. Il y a comme une continuité entre l’idée, le texte et l’image, qui n’est pas vraiment fréquente dans la bande dessinée.
Ce trait aime la courbe de l’humain et la mêle aux arêtes de certains décors, et, de ce fait, ne magnifie rien, ni les physionomies ni les environnements. De ce fait aussi, les canons de la beauté n’intéressent pas vraiment Olivier Pont. Et il nous démontre ainsi que la beauté est d’abord et avant tout affaire de regard… De regards pluriels… Les femmes qu’il dessine sont des femmes vraies, vivantes, attirantes et attendrissantes parce qu’elles sont, tout simplement, les vrais miroirs du quotidien, de tous nos quotidiens !
Tout vrai créateur a ses lignes de force. Régis Loisel, quoi qu’il en dise, n’échappe pas à la règle. On ne parle bien, finalement, que de ce qu’on connaît, de ce qu’on a vécu, de ce qu’on a subi. Ainsi, tous les livres de Loisel parlent de l’amour, de la naissance de l’amour, surtout, dans un monde qui cherche sans cesse à le refuser. Il est aussi le chantre de la différence, sexuelle, intellectuelle, physique. Ses livres sont toujours aussi, un peu des quêtes, identitaires, familiales même. Il s’en défend en affirmant que tout cela est inconscient et qu’il n’est finalement qu’un passeur d’histoires.
Et c’est ce rôle de raconteur qui le pousse aussi, souvent, à ouvrir dans le quotidien des failles qui permettent au fantastique d’influencer l’intrigue et ses péripéties.
C’est encore le cas dans ce « Putain de salopard », avec un fantôme qui apparaît, de manière très floue d’abord, et puis de plus en plus nette…
Je ne vous cacherai pas que j’ai toujours aimé les livres de Régis Loisel, qu’il soit dessinateur ou scénariste.
J’avais d’ailleurs eu l’intention de chroniquer ici la fin du « Grand Mort », superbe série profondément fantastique et profondément humaine en même temps, avec un déroulé temporel surprenant et envoûtant.
Mais « Un putain de salopard » est arrivé, et j’ai été plus que séduit, immédiatement, par l’alchimie qui réunit les trois auteurs à part entière de cette série naissante.
Et la dernière page tournée, une pleine page qui est une porte ouverte sur des ailleurs à venir, l’impatience m’est venue d’en découvrir la suite le plus vite possible !…
Jacques Schraûwen
Un Putain de Salopard – tome 1 dessin : Olivier Pont – scénario : Régis Loisel – couleur : François Lapierre – éditeur : Rue de Sèvres)