Une épopée animale de la liberté à l’abattoir !
En « bandeau », ce livre indique : « cet album n’est pas recommandé par votre boucher ». Bien sûr, on y parle de bien-être animal, un sujet bien ancré dans les réalités sociologiques d’aujourd’hui. Mais ne vous y trompez pas : cet album est surtout une aventure, animalière certes, mais d’un symbolisme terriblement humain !
Néo est un cochon nain, une vraie vedette de la télé, un acteur hors pair qui a vanté pour des millions de spectateurs les produits les plus variés. Mais la gloire, pour les modèles animaux comme pour les humains, n’a jamais rien d’éternel ! Heureusement pour lui, sa retraite obligée le mène dans une Z.A.D., au sein d’une ferme pleine d’animaux choyés par une famille d’humains soucieux du bonheur de leurs animaux, qu’ils soient de compagnie ou d’élevage.
Seulement, le bonheur, comme la gloire, n’est jamais qu’éphémère, et les propriétaires de cette ferme sont chassés par des CRS à la brutalité sans commune mesure avec le pacifisme tranquille de leurs convictions. La Z.A.D. est condamnée à la disparition, pour des raisons qui ne sont que celles de la rentabilité, du respect d’un pouvoir aveugle. Et les animaux, eux, comprennent que « l’abattoir », ce mot qu’ils connaissent mais dont ils ne savent pas le sens, ce mot qui leur fait horriblement peur, ils comprennent que c’est l’abattoir qui les attend.
Et Néo s’enfuit, avec quatre autres animaux : Renata, la vache laitière, Bruce, le boeuf des Highlands, Ferdinand, un coq qui n’en est peut-être pas un, et Soizic, une belle brebis bretonne.
Unis par la peur et une amitié qui, peu à peu, devient indispensable à leur survie, ces animaux vont donc fuir mais vouloir, en même temps, sauver leurs autres amis. Et, dès lors, c’est une épopée, oui, qui commence pour eux, une quête… Celle de la liberté, bien sûr, mais aussi celle de la connaissance du monde dans lequel, désormais, ils sont obligés de vivre, tant bien que mal.
Dans la thématique ainsi abordée, on n’est pas loin, mais avec infiniment plus de réalisme, des premiers albums de « Chlorophylle ».
Mais le traitement, ici, est totalement différent. Il abandonne tout manichéisme, il ne cherche pas à cacher la réalité de la mort, il remet l’homme à sa vraie place, celle d’un prédateur impitoyable.
Un traitement différent, oui, mais qui parle aussi d’entraide, qui montre que les rencontres, même si elles se terminent dans l’inacceptable, sont des richesses, des chances de faire de la différence un chemin de liberté. De libertés plurielles, même.
Fable qui, tout compte fait, se révèle bien plus à hauteur humaine qu’animale, ce livre est passionnant. Le scénario de Stéphane Betbeder commence lentement, il prend le temps de nous faire découvrir les différents protagonistes, de nous les faire connaître. Et puis, la fuite venant, l’épopée commençant, le rythme s’accélère, les dialogues se font plus perçants, la peur plus palpable… tout comme l’émotion, celle des différents animaux héros et celle du lecteur !
Et le dessin, lui, est d’une beauté évidente. Paul Frichet se révèle à la fois un illustrateur animalier hors-pair et un coloriste amoureux de la lumière, de la chaleur des tons, d’une efficacité graphique sans défaut ! Il n’y a rien, dans son dessin, de caricatural. Et c’est ce qui fait encore plus la force de cet album, peut-être, c’est de nous immerger, nous, lecteurs, dans la nature, à peine sauvage parfois lorsqu’on voit la sauvagerie de l’être humain !
Ce livre n’a rien d’un pamphlet, même s’il aborde des thèmes qui, de nos jours, sont « à la mode ». Ce n’est pas un album végan. C’est, tout simplement, un excellent récit (dont les derniers dessins nous font espérer une suite encore plus passionnante !) raconté avec talent par deux auteurs qui réussissent à nous parler de nous et de nos travers sans pour cela chercher sans arrêt à nous culpabiliser.
A sa manière, sans aucun doute possible, c’est un livre qui ouvre les yeux, qui fait réfléchir, mais qui, surtout, se révèle être une fameuse bonne histoire !!!
Jacques Schraûwen
L’Arche De Néo : 1. À Mort, Les Vaches (dessin et couleur: Paul Frichet – scénario : Stéphane Betbeder – éditeur : Glénat)