Les origines (peut-être) d’un marin mythique !
Qui ne connaît pas Popeye, l’homme aux biceps nourris d’épinards ?… Les auteurs de ce livre ont imaginé la manière dont il est devenu héros de bd…
Ozanam au scénario et Lelis au dessin se lancent avec Popeye dans une entreprise particulière… Imaginer comment un personnage d’os et de chairs peut devenir héros de BD. Et, ce faisant, ils rendent vraiment hommage à Popeye, gloire immortelle de la bd américaine.
Pêcheur pauvre que la mer abandonne en ne lui offrant plus de poissons, artisan perdu dans un monde qui s’industrialise jusque sur la mer, Popeye se nourrit d’épinards parce qu’il a trouvé une réserve de conserves et qu’il est incapable de se payer autre chose, ou presque. Popeye cultive l’amitié, s’essaie à un autre métier, aime se castagner, vit une relation ambigüe avec son père, tombe amoureux d’Olive, une barmaid, et se lance dans une improbable course au trésor ! Tout cela sous le regard curieux d’un certain Elzie Crisler, dessinateur de comics strip.
C’est un livre dans lequel les auteurs se sont amusés, et on le ressent à la lecture.
Ils ont multiplié les seconds rôles, mais en leur donnant, à tous, une véritable texture, de la présence, en les faisant participer pleinement à l’action. Aux actions plurielles !
Ils se sont amusés aussi à utiliser tous les clichés propres à ce style de récit : clichés « marins », clichés de chasse au trésor, clichés de vie dans un port. Ses clichés allègrement détournés de bout en bout ! Et la gageure de détourner ces habitudes narratives tout en respectant le côté originel de Popeye est totalement atteinte et, ma foi, extrêmement réjouissante !
Ces détournements permettent aux deux auteurs d’actualiser leur récit, leur histoire. Le monde de la pêche, en crise, décrit dans ce livre est proche, extrêmement, de ce qu’il vit au jour le jour aujourd’hui. Le portrait social des marins et de leurs proches n’est pas éloigné du tout de ce qu’est la réalité des pêcheurs indépendants de nos jours. La description des nouvelles techniques de pêche, agressives quant à l’environnement marin, est totalement contemporaine aussi. Tout comme le plastique présent dans les océans…
Ozanam est un scénariste accompli, qui a à son actif quelques superbes réussites, comme le journal d’Anne Frank, chroniqué ici…
Ozanam et Lelis avaient déjà collaboré, pour l’excellent « Gueule noire ».
Et les voici donc réunis dans cet album qui parle d’aventure, d’amour, de poésie, d’amitié. Qui parle d’êtres humains qui survivent dans un monde qui les renie peu à peu. Qui nous dit aussi, finalement, que tout un chacun peut devenir héros de sa propre histoire.
Le texte d’Ozanam est ben charpenté, bien différencié aussi au niveau des dialogues dont on ressent, à la lecture, les accents.
Quant au dessin de Lelis, Brésilien extrêmement doué, il est fluide, diaphane parfois, comme s’il subissait les assauts tranquilles des embruns… Et la couleur, en tons pastels, ajoute une ambiance poétique supplémentaire à un récit intelligent, souriant, et ouvert aux réalités du monde d’aujourd’hui !
Jacques Schraûwen
Popeye : Un homme à la mer (dessin : Lelis – scénario : Ozanam – éditeur : Michel Lafon)
https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_journal-d-anne-frank-jacques-schrauwen?id=9250985