Du fantastique pour mieux parler du présent…
Cinq histoires teintées de fantastique et qui parlent de la mer, de la mort, de passés réinventés et de présents morcelés.
» Le Long Bec » est un éditeur qui se caractérise par un choix d’édition axé essentiellement sur la qualité et la » différence « . Ce n’est pas chez lui qu’on trouvera des best-sellers de la bande dessinée, du tout-venant en guise de récits dessinés, de la routine au niveau des scénarios et du graphisme. Mais, par contre, ce qu’on trouve dans le catalogue de cette maison d’édition, ce sont des livres qui sortent de l’ordinaire, qui s’écartent des sentiers battus, qui cultivent l’imaginaire, tant dans le texte que dans le graphisme.
Bien entendu, je n’aime pas toutes leurs parutions. Mais je reconnais que toutes font preuve, à chaque fois, d’originalité… Des originalités multiples qui, comme avec ce » Mer d’Aral « , me touchent réellement. Et qui, dès lors, me donnent l’envie de partager mes impressions, et de vous donner envie de découvrir cet album à la poésie fantastique omniprésente.
On pourrait parler, avec ce livre, à l’instar des romans graphiques, de » nouvelles graphiques « , tant il est vrai que l’écriture et le dessin font corps, tout au long de cinq petites histoires, pour créer une narration, à chaque fois, étincelante… et envoûtante !
La Mer d’Aral s’assèche mais la vie continue, même pour les poissons dont l’évolution s’accélère.
Un bœuf occupe, Dieu sait comment, le toit d’un immeuble.
Un fantôme parle de la vie après la mort.
On inaugure le canal de Panama et une vieille femme se souvient.
Et, finalement, pour en revenir à l’élément liquide, la dernière histoire nous fait découvrir un éleveur de saumons, qui leur apprenait l’art de la nage à contre-courant.
On se trouve face à un fantastique tranquille, un fantastique s’inscrivant dans la lignée d’écrivains comme Seignolle ou Jean Ray, ou même de Jacques Sternberg, mais en y ajoutant une once de surréalisme, ou, plutôt, d’étrange…
Rien n’est absurde dans ces cinq récits : il suffit d’accepter un axiome de base pour tout accepter des péripéties tranquilles du scénario, du texte, à la fois très littéraire et très succinct dans sa forme.
Le trait d’union de ces cinq nouvelles dessinées est de plonger le lecteur dans tout ce qui fait l’existence de l’humain : l’âge, l’évolution, le changement, l’absurde de plus en plus présent, la nature et, évidemment, la mort.
Et tout cela crée une ambiance qui, dépassant la trame des récits, fait de ce livre une suite de poèmes graphiques nourris de fantastique.
Chaque histoire est traitée différemment, tant au niveau des décors que du trait lui-même, des angles de vue comme de la couleur qui joue avec les tonalités et n’hésite pas à certains moment à choisir la voie (voix) de la monochromie.
Ce livre, c’est celui, sans doute, de l’éleveur de saumon qui n’a plus de poisson à qui apprendre à nager à contre-courant, et qui, dès lors, laisse les mots et les phrases, en une prose sans hésitation, s’écrire à contre-pensée…
Cette » Mer d’Aral » est comme un courant, oui, qui n’a rien de limpide et nous mène de l’ailleurs au néant…
Jacques Schraûwen
Mer D’Aral (dessin : Roberto Gomes – scénario : José Carlos Fernandes – éditeur ; éditions du Long Bec)