Cuba, Castro, Guevara et un Américain… Une tranche d’Histoire!
Le quotidien d’une révolution qui fut un des moments clés de l’Histoire du vingtième siècle.
Dans l’imaginaire collectif, la révolution cubaine occupe une place de choix, c’est évident. « Pour » ou « contre », les prises de position, depuis des années et des années, mêlent politique et humanisme, liberté et dictature, pour des avis qui, le plus souvent, oublient de prendre en compte l’élément moteur de cette révolution, comme toutes les révolutions d’ailleurs : l’être humain !
C’est sans doute ce qui a motivé Gani Jakupi lorsqu’il a décidé de se lancer dans l’aventure, longue, étonnante, qui l’a conduit à cet album qui utilise les codes de la bd tout en étant également un reportage à la fois journalistique et historique.
Mais ce qui l’a surtout poussé à cette quête très personnelle, ce sont ses propres souvenirs, l’ombre puissante de son adolescence.
Et le biais qu’il a choisi pour parler des rêves qui furent siens ne manque ni d’ambition ni d’originalité. Il a voulu d’abord et avant tout se mettre à hauteur d’homme, à hauteur de combattant, même, et c’est ainsi qu’il nous offre à découvrir un personnage hors du commun, William Alexander Morgan. Un personnage réel… Un ancien soldat américain qui, par idéal sans doute, par ennui peut-être, s’est fait guérillero aux côtés des guérilleros, prenant fait et cause pour Castro, certes, pour Che Guevara surtout, pour une idée qu’il se faisait de la démocratie.
Une idée de la démocratie que partage sans doute Gani Jakupi. Tant il est vrai que le fait de se lancer dans la création d’un livre comme celui-ci ne peut se faire sans prendre position, sans faire intervenir ses propres certitudes, ses propres idéaux. Mais la force de Gani Jakupi, entre autres, réside dans le fait qu’il ne fait preuve d’aucun manichéisme, et qu’à aucun moment il ne cherche à convaincre, à tenter de mettre en avant des opinions purement politiques imposables à ses lecteurs. S’il est évident que Gapi Jakupi n’est pas un homme de « droite », il est tout aussi évident que son but, dans cet album qui ressemble à un roman graphique et biographique, est avant tout de montrer ce qu’était le quotidien de ceux qui croyaient, avec certitude même, se battre pour la liberté. Et c’est là, dans ce mélange foisonnant d’idéologies le plus souvent sanglantes, que Gapi Jakupi se révèle observateur minutieux des gestes de tous les jours, porteurs de sens par les antagonismes et les partages qu’ils représentent aussi. Il ne nous parle pas d’héroïsme, mais, au travers du portrait d’un homme, c’est celui de toute une époque, de ses espérances et de ses désillusions qu’il trace.
Construit en chapitres, construit également comme une suite d’instantanés, ce Comandante Yankee est un livre qui ne ressemble à aucun autre, et c’est là une de ses qualités. C’est un livre très personnel, certainement, mais qui s’ouvre aussi à tout un chacun. La multiplication des personnages pourrait être un frein au plaisir de la lecture, mais il n’en est rien, puisque tous ces personnages, jusqu’à Hemingway, sont réels ou le deviennent sous la plume de Gani Jakupi. Réels et symboliques, en même temps, de mille courants d’idée qui appartiennent à l’Histoire.
Ce qui est remarquable aussi, c’est le travail de la couleur. En larges aplats ici, en transparences brumeuses, là, ces couleurs restituent, tout autant que le récit, la réalité et les sensations d’un pays qui a vu, dans les années 50, les certitudes libérales vaciller…
Ce n’est pas un livre militant. C’est un livre-regard, c’est un livre-portrait, c’est un livre-miroir dans lequel tout un chacun peut retrouver une part de ses rêves de jeunesse.
En se plongeant, avec Gani Jakupi, dans les années 50, sous le soleil écrasant et somptueux de Cuba, c’est vraiment dans ce qui fut à l’origine de nos réalités actuelles que nous nous plongeons. A ce titre, ce livre n’est pas un roman graphique, mais une suite d’instantanés dessinés, une fresque qui restitue une époque à l’initiale de la nôtre !
Jacques Schraûwen
El Comandante Yankee (auteur : Gani Jakupi – éditeur : Dupuis Aire Libre)