Nez De Cuir : le masque de la vie, le masque de la mort

Et une interview de JEAN DUFAUX

Jean de La Varende est un auteur qu’on ne lit plus guère de nos jours. Cette adaptation en bande dessinée d’un de ses meilleurs romans prouve, cependant, toute la connotation universelle de cet auteur à redécouvrir !

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© Fururopolis

Résumer la carrière de Jean Dufaux, scénariste à la fois éclectique et terriblement prolixe, cela tient du pari impossible à gagner ! Tous les domaines de l’imaginaire et du vécu, sans cesse mêlés, ont trouvé grâce à ses yeux et ont pris vie sous sa plume. Amoureux des grandes sagas telles que « la complainte des landes perdues », il a toujours aimé aussi varier les plaisirs, ceux de l’auteur qu’il est, ceux de ses lecteurs aussi, et surtout peut-être ! Ce fut le cas, par exemple, avec « Le chien de Dieu », inspiré du personnage essentiel de la littérature qu’est Louis-Ferdinand Céline. C’est le cas, aujourd’hui, avec cette adaptation originale et respectueuse d’un des grands textes de la littérature française.

Nez de Cuir © Futuropolis
Jean Dufaux : Jean de La Varende et la liberté

« Liberté et respect… » : ce ne sont pas, pour Jean Dufaux, rien que des mots ! Je pense même que ces deux sentiments sont une des grandes constantes de son œuvre. Une œuvre qui se veut fidèle à l’essentiel de la liberté : être un créateur sans d’autres chaînes que celles de l’amitié et/ou de la passion. Et c’est sans doute pourquoi ses goûts l’ont souvent porté à choisir dans l’univers de la littérature ses thèmes, ses constructions narratives, ses imaginaires. Et le personnage de Nez de Cuir, militaire revenu des guerres napoléoniennes vivant mais défiguré, est un de ces anti-héros que Dufaux a toujours aimé « raconter ». Personnage littéraire, certes, mais dont on retrouve la stature à chaque époque de l’Histoire. Gueule cassée avant que cette expression existe, le comte Roger de Tinchebraye se révèle, derrière son masque, d’un cynisme brutal, mais également d’un désir d’amour assouvi dans les bras de celles qu’attire son anonymat masqué.

Il est, dans l’œuvre de jean Dufaux, un jalon de plus qui prouve que la littérature, en bande dessinée, peut être une source d’écriture passionnante, passionnée, voire même passionnelle !

Nez de Cuir © Futuropolis
Jean Dufaux : la littérature comme source d’écriture

Cette histoire, très littéraire dans le rendu qu’en fait Jean Dufaux, par ailleurs dialoguiste d’une belle richesse de langage et d’expression, cette histoire nous parle de la différence, de la beauté et du charme, de l’attirance sensuelle et de l’amour platonique, du désir et de ses assouvissements. Elle se fait ainsi une digression à plusieurs voix sur le sens de la vie, de départ en retour, de honte assumée en besoin toujours inassouvi.

Ce livre est également une réflexion qui n’a rien de « léger » sur le masque, apparent ou non, imposé ou voulu… Cela me fait penser à un spectacle que j’ai vu, il y a bien longtemps, d’Avron et Evrard, un spectacle axé sur le masque et ce qu’il peut imposer à celui ou à celle qui en porte un !

Ce livre, enfin, s’inscrit entièrement dans une thématique chère à Dufaux : celle de la mort comme décor obligatoire de tout acte vivant !

Nez de Cuir © Futuropolis
Jean Dufaux : les masques
Jean Dufaux : l’omniprésence de la mort

A partir d’un scénario presque intimiste, romanesque et romantique en tout cas, à partir d’un récit qui couvre plusieurs années et se construit à partir du temps qui, inexorable, passe et rouille le réel et les sentiments, il fallait que le dessinateur s’immerge, lui aussi, totalement dans cet univers qui pourrait paraître désuet et qui devient universel par la grâce du graphisme comme du texte.

Jacques Terpant est d’un réalisme qu’on pourrait qualifier de classique. Et c’est bien cela qu’il fallait pour rendre compte, sans faux-fuyant, sans effets spéciaux inutiles, de toute l’ambiance qui sous-tend ce récit. Son dessin peut être statique, ou extrêmement mouvementé quand c’est nécessaire. Son dessin rend compte, de bout en bout, de tous les décors qui font de l’existence de Nez de cuir ce qu’elle est : intérieurs, nature… Et sa couleur exprime, elle aussi, les changements de saison, les heures qui s’enfuient… Elle crée une lumière qui réinvente la profondeur de champ et en fait un outil de narration primordial.

Nez de Cuir © Futuropolis
Jean Dufaux : Jacques Terpant, le dessinateur

Pour adapter un roman, que ce soit au cinéma ou au sein du neuvième art, et pour que cette adaptation soit réussie, il n’y a qu’un secret, je pense : le talent de ceux qui décident de se lancer dans une telle aventure ! C’est pour cela, probablement, qu’i y a tellement peu d’adaptations réussies ! C’est pour cela aussi que je vous invite, ardemment, à vous plonger dans cet album qui, lui, respectueux de l’œuvre originelle, parvient cependant à s’en détacher pour en faire une vraie bd actuelle !

Un livre à découvrir, à faire découvrir… A commander chez votre libraire préféré !

Jacques Schraûwen

Nez de Cuir (dessin : Jacques Terpant – scénario : Jean Dufaux – éditeur : Futuropolis – 62 pages – date de parution : août 2019)

Nez de Cuir © Futuropolis